Plusieurs heures d’audition devant une procureure du canton de Vaud: c’est l’expérience peu agréable qu’a vécue Benoît Gaillard avant l’été, selon des informations de Blick. Contacté, le conseiller communal lausannois ne veut faire aucun commentaire.
L’affaire est complexe et très sensible. Commençons par poser le décor, qui remonte aussi loin que 2019. Au Parlement de la capitale vaudoise, Benoît Gaillard s’exprime au sujet d’un dossier immobilier qui empoisonne la vie lausannoise depuis une décennie. Le socialiste met en cause l’immobilisme des travaux. En tribun expérimenté, il se lance dans une diatribe qui met en cause l’entrepreneur, s’étonnant de la confiance qui lui a été accordée alors que plusieurs réalisations par le passé n’ont semble-t-il pas donné satisfaction.
Le conseiller communal a-t-il atteint à l’honneur du constructeur? La justice devra y répondre. Les investigations sont si poussées que la controverse porte autour de chaque terme utilisé, a appris Blick. L’entrepreneur incriminé ne s’est pas limité à l’élu socialiste, puisque d’après nos informations, il a arrosé de plaintes de nombreuses personnes concernées. Y compris des fonctionnaires lausannois et tous les protagonistes liés à un article de «24 heures» qui s’est fait écho des propos de Benoît Gaillard: journaliste, rédaction en chef et éditeur.
«Dérive inquiétante pour la démocratie»
Un élu poursuivi pour des propos tenus dans le cadre de ses fonctions: d’après nos investigations, il s’agit d’une première en Suisse. Si les médias sont coutumiers de ces plaintes, qui visent souvent à intimider, ce n’est pas le cas des politiciens. Au sein du PS vaudois, l’affaire choque, ce d'autant plus que la procureure a accepté d’entrer en matière. «C’est une dérive inquiétante pour la bonne marche de la démocratie, réagit Jessica Jaccoud, présidente du parti. Il y a une disproportion claire entre les moyens d’un entrepreneur qui multiplie les plaintes et un élu communal, qui doit se défendre tout seul et avec ses deniers.»
Sur le fond aussi, la cheffe de file du PSV y voit un gros problème. «Dans le débat politique, les limites dans les délits d’expression sont plus importantes. Et malgré cela, Benoît Gaillard est attaqué pour des éléments qui ont toujours été validés: l’entrepreneur en question a à chaque fois perdu jusqu’ici, tant contre les autorités que contre la justice. Cela ressemble fortement à une tentative d’intimider la politique dès qu’elle agit contre ses intérêts», analyse Jessica Jaccoud.
Coprésident du parti à l'échelle nationale, Cédric Wermuth n'est pas étonné par la plainte, mais bien davantage par l'entrée en matière. «Je suis surpris que le pouvoir judiciaire se saisisse de l'affaire. Il est inadmissible que les élus ne puissent plus s'exprimer librement et exercer leur rôle critique, réagit le conseiller national argovien. Cette affaire est symptomatique de la tendance croissante à vouloir intimider les politiciens. Nous constatons que la pression provient de plus en plus de puissants intérêts commerciaux.»
Système de milice sous pression
Au pays où la milice est reine, l’affaire fait tache. Surtout dans un contexte où il devient de plus en plus difficile de trouver des personnes prêtes à s’engager. D’abord parce que les dossiers sont, indépendamment du spectre judiciaire, très complexes. Dans le canton de Fribourg, 160 membres d’un exécutif ont démissionné durant la seule année 2019, rapportait la RTS.
Cet été, la télévision alémanique faisait même état d'une désertion généralisée dans la politique locale en Argovie. En cause: des exigences accrues ainsi qu'une polarisation croissante. «Il y a toujours des gens qui savent tout mieux que vous», résumait le directeur de l'Association des communes suisses Christoph Niederberger.
Le spectre de devoir passer plusieurs mois à se défendre — à ses propres frais — face à la justice ne risque en rien d'améliorer les choses.