Hurlements sur X (ex-Twitter). La psychiatre alsacienne Martine Wonner, égérie des complotistes et des antivax francophones, exerce à la célèbre Clinique Le Noirmont, dans le canton du Jura, depuis février 2023. Le hic? Le 25 novembre 2022, en France, la médecin a été suspendue pour une durée d’un an par le conseil de l’ordre des médecins du Grand Est. En cause: ses propos controversés tenus pendant la pandémie de Covid-19.
«Ce n’est pas normal, peste Steve Claude, pharmacien jurassien, sur le réseau social. Notre pays mérite mieux que d’être le refuge de médecins radiés.» Le tweet initial avait été vu près de 20’000 fois ce mercredi matin.
Le conseil national de l’ordre des médecins français et l’association de médecins français No FakeMed avaient porté plainte contre cette ex-députée à l’Assemblée nationale, soulignait la chaîne de télévision publique France 3. Parmi les reproches des parties plaignantes: la diffusion de fausses informations et la promotion de traitements contre le Covid «sans fondements scientifiques», notamment l’ivermectine ou l’hydroxychloroquine, sur son compte Twitter, où Martine Wonner se présente notamment comme psychiatre.
Cette dernière avait dénoncé le masque «qui ne sert à rien» et les vaccins «qui ne protègent personne», titrait «Le Monde» en juillet 2021. Elle était apparue dans le film polémique et jugé complotiste «Hold-up».
«Décision politique scandaleuse»
Fondatrice du parti Ensemble pour les libertés, la Française avait annoncé qu’elle ferait recours. La quinquagénaire pouvait ainsi bénéficier d’un effet suspensif. Jointe par nos confrères de la chaîne de télévision publique, la militante avait dénoncé une «décision politique scandaleuse» et une atteinte à la liberté d’opinion et à la démocratie.
La défense avait souligné que Martine Wonner s’est toujours exprimée en tant que députée et non en tant que médecin. Profession qu’elle n’exerçait plus depuis son élection en 2017, note «Le Monde». La rédaction de France 3 relève, elle, que Martine ne pratiquait plus depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 août 2021, qui interdit au personnel soignant non vacciné contre le Covid de travailler, abrogée en mai 2023. Elue sous la bannière de La République en marche — parti du président Emmanuel Macron — en 2017, elle avait été exclue du groupe parlementaire en 2020, mais avait siégé jusqu'en juin 2022.
Martine Wonner est-elle encore suspendue en France? Pourquoi une praticienne qui a été suspendue en France exerce-t-elle dans un établissement jurassien? La Clinique Le Noirmont, qui se présente comme «un centre de référence national en réadaptation cardiovasculaire, psychosomatique, musculo-squelettique et de médecine interne», souscrit-elle aux déclarations de Martine Wonner faites durant la pandémie?
Sa «longue expérience» saluée
Dans un premier temps, Yannik Didelot, médecin-cheffe de l’unité psychosomatique, sous-entend que sa subalterne a reçu une autorisation d’exercer délivrée par les autorités jurassiennes. «Tous les médecins qui sont engagés à la Clinique le Noirmont, y compris les médecins français, doivent satisfaire à des exigences légales et professionnelles qui doivent être attestées, de façon à ce que le Canton du Jura permette le droit de pratique sur le territoire jurassien», écrit la psychiatre-psychothérapeute dans un courriel adressé à Blick.
Plus tard dans la matinée, Arian Kovacic, directeur de la clinique, rectifie le tir, également par voie électronique. «Il est important de comprendre […] que la Dre Wonner n’a pas de responsabilité médicale au sein de la clinique, puisqu’elle n’est pas médecin-cheffe et qu’elle n’a pas demandé le droit de pratique afin de pouvoir gérer une patientèle ambulatoire. Aussi, ses diplômes sont reconnus en Suisse et nous n’avons jamais rencontré d’opposition à leur reconnaissance.» Le quadragénaire loue par ailleurs la «longue expérience», «la motivation» et les «idées de développement de notre unité psychosomatique» de sa recrue.
Quid des saillies de Martine Wonner? «La direction a indiqué que ces thématiques n’ont pas leur place au sein de notre clinique et qu’elles doivent être bannies, appuie cependant Arian Kovacic. [...] Nous sommes opposés à ce type de déclarations concernant la pandémie Covid-19 et nous ne les soutenons pas. […] Nous avons compris la volonté de la Dre Wonner de vouloir tourner la page et son engagement à bannir ce type de propos au sein de notre clinique et de manière générale. Elle n’est plus en politique aujourd’hui et ne désire d’ailleurs plus s’exprimer sur ce sujet.» Un rapide tour sur le compte Twitter de Martine Wonner tend pourtant à prouver l'inverse.
Mais le capitaine du navire a d'autres arguments. «Par ailleurs, d’après [les dires de] Dre Wonner, elle n’est plus suspendue depuis mai 2023, date de la réintégration de tous les professionnels de santé en France (30’000 professionnels touchés par la suspension)», poursuit-il. N'y a-t-il pas ici confusion entre l’abrogation de la loi du 5 août 2021 et la suspension spécifiquement prononcée à l’encontre de Martine Wonner? Peut-être.
Mais qu'importe, la Clinique Le Noirmont a décidé de séparer la femme politicienne de la médecin. Sur le fond, «nous avons estimé que cette suspension en France pour ses opinions politiques et non pour ses compétences médicales ne devaient pas avoir de répercussion sur sa vie de médecin en Suisse […], étaye Arian Kovacic. Si elle avait été suspendue pour une erreur médicale, la situation aurait été différente.»
Le médecin cantonal ne peut pas intervenir
Qu’en pensent les services du médecin cantonal? «Légalement, l’engagement de la médecin en question ne pose pas de problème», écrivent-ils dans un e-mail envoyé à Blick. En clair, comme Martine Wonner travaille sous la responsabilité d’une médecin-cheffe, elle n’a pas besoin d’autorisation d’exercer délivrée par l’Etat, qui n’en a donc pas accordé. «Si la fonction de la personne avait nécessité une autorisation de pratique, une enquête aurait été menée en sollicitant les autorités sanitaires françaises et l’ordre des médecins afin de permettre au médecin cantonal de prendre une décision», précise le texte.
La Clinique Le Noirmont avait bel et bien demandé une autorisation de pratiquer pour Martine Wonner. Dans ce cadre, la direction a été «sensibilisée au profil et au parcours» de cette dernière, développent les services du médecin cantonal.
Les prises de position de la psychiatre ne semblent toutefois pas ravir les autorités. «Nous connaissons les propos tenus par la médecin en question uniquement via les médias. Évidemment que si ces derniers sont avérés, le service de la santé et le médecin cantonal ne peuvent pas les cautionner.» Et Julien Hostettler, porte-parole, de préciser: «L’État ne peut pas légalement intervenir si aucune autorisation de pratiquer n’est nécessaire et s’il n’y a pas de plainte. En l’état, il n’y en a pas.»
Également contactée, la principale intéressée n’a pas pour l’heure pas répondu aux sollicitations de Blick.