La sanction est à la fois très sévère et rare en Suisse romande. Depuis le 20 janvier dernier, un apothicaire vaudois est privé du droit d'exploiter sa pharmacie et de pratiquer son métier. Pour justifier une telle décision lourde de conséquences pour ce professionnel, les autorités l'accusent d'avoir fait courir des risques pour la santé publique en vendant des produits controversés nécessitant des ordonnances médicales et en se substituant aux toubibs durant la crise du Covid-19.
Une procédure administrative est en cours contre lui. Le Conseil de santé — une commission vaudoise présidée par la conseillère d'État Rebecca Ruiz, avec le médecin cantonal Karim Boubaker comme vice-président — statuera sur cette affaire. Son verdict est attendu dans les mois à venir.
Risques pour la santé publique
Que reproche-t-on exactement à ce pharmacien? Comme la procédure est en cours, le Département de la santé refuse de commenter ce dossier. Même posture de la part du prévenu et de son avocat, qui avaient fait recours auprès de la Cour cantonale de justice. Les juges ont confirmé fin avril la sévère sanction car «compte tenu des risques pour la santé publique rendus vraisemblables par le Département cantonal, l'atteinte à la liberté économique est justifiée par un intérêt public et est proportionnée».
Le président de la Cour et ses deux juges assesseurs ont cependant émis deux bémols: le droit d’être entendu avant la prise de sanction n’avait pas été respecté, et la mesure provisionnelle lui interdisant de pratiquer devait être limitée à une année, soit jusqu’au 31 janvier 2024. La Cour estime que d’ici là, le Conseil de santé aura terminé son instruction et établi les faits reprochés. «La durée d’une mesure provisionnelle n’est habituellement pas déterminée d’avance puisque celle-ci est liée à la durée de l’enquête administrative, qui varie selon les cas», justifie Cathy Gornik, du service de presse du Département de la santé.
Grâce à l’entrée en vigueur de ce jugement rendu public, Blick a pu lire les griefs retenus contre le pharmacien incriminé. Après des dénonciations du milieu médical, la pharmacienne cantonale et ses adjointes ont établi un rapport à la suite de deux contrôles surprises effectués dans les locaux commerciaux du prévenu. Il est notamment accusé d’avoir vendu de l’ivermectine à de nombreux clients, avec ou sans ordonnance.
Le 1er octobre 2021 par exemple, une blouse blanche rattachée au service des maladies infectieuses du CHUV a informé l'Office du médecin cantonal que «la pharmacie fautive prescrivait le cocktail ivermectine, azithromycine, acide acétylsalicylique (...) à tout patient ayant le Covid qui s’y faisait tester». Ces trois médicaments ne peuvent être prescrits que sur ordonnance d’un médecin. L’azithromycine est un antibiotique susceptible de générer des bactéries résistantes au traitement. Quant à l’ivermectine, c’est un antiparasitaire qui avait été considéré dans certaines études comme potentiellement efficace contre le Covid-19, tout comme l’hydroxychloroquine, un temps.
Interdiction de se substituer à un médecin
L’OMS et la plupart des institutions médicales suisses ont déconseillé l'utilisation de ce vermifuge, tant pour son inefficacité contre le coronavirus qu’en raison d’un danger potentiel sur la santé en cas d’absorption incontrôlée. Cela n’a pas pour autant empêché des médecins vaudois et romands d’en prescrire durant le pic de la pandémie, comme l’ont constaté certains départements cantonaux de la santé (lire l'encadré ci-dessous). Pourquoi alors sanctionner ce professionnel vaudois qui en a vendu? En tant que pharmacien, il n’avait pas le droit de se substituer à un médecin et il a passé outre les courriers de mise en garde du médecin cantonal.
Selon le Département vaudois de la santé, il n’y a pas eu d’interdiction de pratiquer à l’égard de pharmaciens dans le canton au cours de ces dix dernières années. Selon nos sources, des médecins, voire des apothicaires, auraient pourtant prescrit ou vendu de l’ivermectine. «Un courrier de mise en garde du médecin cantonal leur a été adressé concernant la prescription d’ivermectine contre le virus du Covid-19», répond la porte-parole du Département vaudois.
Du côté du Valais, la pharmacienne cantonale, Leslie Bergamin, précise: «Pendant la crise Covid, aucun pharmacien n’a été sanctionné par le Service de la santé publique pour des cas de vente de substances comme l’ivermectine. Néanmoins, quelques cas de plaintes en rapport avec la pandémie concernant des médecins ont été traités.»
D’après la pharmacienne cantonale fribourgeoise, il n’y a pas eu de décompte des annonces d’utilisation hors indication de produits de type ivermectine dans son canton. Et aucune sanction n’a dû être prise envers des pharmaciens durant la pandémie.
Quid du canton de Genève? Le service de la pharmacienne cantonale a été sollicité en 2021 par quelques pharmacies à propos de l’attitude à adopter quand des patients se présentaient avec des prescriptions d’ivermectine ou d’hydroxychloroquine, selon Laurent Paoliello, directeur de la communication du Département de la santé et de la population.
«Pour cette raison, nous avons adressé une circulaire le 17 août 2021, à l’attention des médecins et des pharmacies du canton, relatif à la prescription et la remise de certains médicaments pour la prise en charge de patients atteints de Covid-19, déclare-t-il. Nous n’avons eu aucune information de pharmaciens qui auraient outrepassé leurs droits et devoirs en matière de remise de médicaments non approuvés tels que l’ivermectine ou l’hydroxychloroquine.»
Selon le Département vaudois de la santé, il n’y a pas eu d’interdiction de pratiquer à l’égard de pharmaciens dans le canton au cours de ces dix dernières années. Selon nos sources, des médecins, voire des apothicaires, auraient pourtant prescrit ou vendu de l’ivermectine. «Un courrier de mise en garde du médecin cantonal leur a été adressé concernant la prescription d’ivermectine contre le virus du Covid-19», répond la porte-parole du Département vaudois.
Du côté du Valais, la pharmacienne cantonale, Leslie Bergamin, précise: «Pendant la crise Covid, aucun pharmacien n’a été sanctionné par le Service de la santé publique pour des cas de vente de substances comme l’ivermectine. Néanmoins, quelques cas de plaintes en rapport avec la pandémie concernant des médecins ont été traités.»
D’après la pharmacienne cantonale fribourgeoise, il n’y a pas eu de décompte des annonces d’utilisation hors indication de produits de type ivermectine dans son canton. Et aucune sanction n’a dû être prise envers des pharmaciens durant la pandémie.
Quid du canton de Genève? Le service de la pharmacienne cantonale a été sollicité en 2021 par quelques pharmacies à propos de l’attitude à adopter quand des patients se présentaient avec des prescriptions d’ivermectine ou d’hydroxychloroquine, selon Laurent Paoliello, directeur de la communication du Département de la santé et de la population.
«Pour cette raison, nous avons adressé une circulaire le 17 août 2021, à l’attention des médecins et des pharmacies du canton, relatif à la prescription et la remise de certains médicaments pour la prise en charge de patients atteints de Covid-19, déclare-t-il. Nous n’avons eu aucune information de pharmaciens qui auraient outrepassé leurs droits et devoirs en matière de remise de médicaments non approuvés tels que l’ivermectine ou l’hydroxychloroquine.»
Il est aussi reproché au prévenu d’avoir utilisé des produits périmés dans ses préparations concoctées sous l’appellation «compléments alimentaires». Selon le rapport établi par le Département de la santé, leur conditionnement, leur étiquetage ou leur mode d'emploi suggéraient plutôt un usage thérapeutique, et ces préparations nécessitaient une autorisation cantonale de fabrication, respectivement de mise sur le marché, comme le prévoit la loi. Il a de nouveau agi au-delà de ses compétences lorsqu’il a pratiqué des injections en intraveineuse dans sa pharmacie.
Titre de «Docteur»
Plus surprenant, les autorités retiennent contre lui le fait d’avoir «importé illégalement des produits dopants, en particulier de la DHEA». Considéré il y a vingt ans comme une hormone de jouvence, ce stéroïde est contre-indiqué en Suisse et en Europe pour de nombreuses personnes, notamment en cas de cancer.
Autre faute commise, selon le médecin cantonal: le pharmacien incriminé portait un badge avec le titre de «Dr» sur sa blouse blanche, sans préciser sa spécialité. Vérification faite, Blick souligne cependant que le prévenu est également Docteur en médecine chinoise, après avoir suivi des études universitaires à Pékin et obtenu un diplôme.
Existe-t-il une zone grise en Suisse ou dans le canton de Vaud quand un professionnel de la santé possède plusieurs titres après des formations reconnues? «Tout titre de docteur utilisé dans le cadre d’une pharmacie et qui n’est pas un doctorat en pharmacie est susceptible d’induire le client en erreur, rétorque la porte-parole du Département vaudois de la santé, Cathy Gornik. Le problème n’est pas d’afficher un titre en médecine chinoise, mais l’utilisation qui en est faite dans le cadre d’une pharmacie.» La loi sur la santé publique recommande aux professionnels de s’abstenir de toute publicité qui peut induire en erreur.
Parallèlement à cela, Blick s'est fait confirmer par le Ministère public qu'une procédure pénale est aussi ouverte contre ce pharmacien de l'arc lémanique. Et ce, sur «dénonciation de la Direction générale de la santé, par le médecin cantonal et la pharmacienne cantonale en février», précise Vincent Derouand, porte-parole des procureurs vaudois. Relevons encore que le procureur général, Eric Kaltenrieder, siège également au sein du Conseil de santé.