Il y a exactement un an, Internet (et la fachosphère) s’enflammait autour de mon doigt d’honneur au drapeau suisse. Ça a beaucoup fâché, à droite comme à gauche, blessé parfois, et on s’est tellement concentré sur mon majeur que le fond de mon propos n’a plus intéressé personne. Cette année, j’ai mis des moufles, alors vous avez intérêt à écouter.
La Suisse est prétentieuse, égoïste et amnésique. Convaincue d’avoir la meilleure démocratie du monde, elle prive pourtant plus d’un quart de sa population de droits politiques. Elle qui se dit si fière de sa tradition humanitaire, elle choisit les conflits où elle souhaite aider en fonction de la couleur de peau et la religion des personnes dont la vie est en danger: l'Ukraine, c’est évident, la Palestine, non merci.
A lire sur son doigt d'honneur
La Suisse et l'argent des nazis
Cette Suisse défend qu’on ne pourrait pas accueillir toute la misère du monde, mais ne voit aucun problème à accueillir toute la richesse de quelques un-es. Partager, ce serait «mauvais pour l’économie». La Suisse est persuadée d’être neutre mais elle a caché le butin des nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale et a rechigné pendant 50 ans à rendre l’argent des juif-ves victimes de l’Holocauste.
Des «pas si fun facts» comme ça sur la Suisse, j’en ai plein. Et ils sont importants, car celles et ceux qui maîtrisent le récit du passé maîtriseront aussi l’écriture du futur.
Peut-être que vous saviez déjà que le chocolat suisse est à l’origine un produit de l’esclavage des Noir-es en Amérique du Sud, ou que l’histoire des 3 rigolos sur le Grütli était une pure invention pour renforcer le sentiment des Confédérés d’appartenir à une même communauté à un moment fragile de leur alliance. Pas étonnant que la raclette soit un plat national suisse: rien de plus collant pour faire tenir des morceaux ensemble qu’un fromage bien fondu.
Détester les étrangers c'est pratique
Il est où le problème, vous me direz? Dans la création de tout roman national, on définit un «nous», mais aussi un «eux». Et eux, c’est souvent les étrangère-ers, les Noir-es, les musulman-nes et toutes celles et ceux qui ont eu la malchance de naître ailleurs.
C’est pratique de les détester, puisque des ennemis communs, ça soude un groupe. Le niveau de haine varie évidemment selon les gens, mais il est probablement corrélé à l’amour porté à l'emblème suprême du groupe (devant lequel nous ne montrerons aucun doigt aujourd’hui). Dans toute nation, on décide donc arbitrairement de refuser des droits à une partie de la population, qu’elle soit là depuis 24 heures ou 24 ans.
Il faut plaire à l'UDC
Sans surprise, la politique migratoire suisse n’est pas devenue plus humaine depuis l’année passée. Beat Jans, conseiller fédéral socialiste (PS) en charge du Département fédéral de justice et police, n’aide pas vraiment.
Sa nouvelle devise pourrait être «moins de solidarité, plus de sécurité, plaire à l’UDC». Sauf que l’UDC elle-même ne trouve qu’il ne va pas assez loin dans les durcissements de l’asile décidés, et prépare déjà sa prochaine campagne xénophobe en vue de l’initiative «Pas de Suisse à 10 millions». Vous ne devinerez jamais l’ennemi visé.
Mais l’UDC rêve d’un monde qui n’existe plus. Moi, je suis réaliste: les étrangère-ers, les Noir-es, les musulman-nes et toutes celles et ceux qui ont eu la chance de naître ailleurs font partie du monde tel qu’il est, elles et ils ont des rêves, le droit à une vie digne et à un futur en sécurité.
D'autres chroniques de Mathilde Mottet
Rêvons à nouveau ensemble!
S’ils vivent du racisme, c’est parce qu’on nous fait croire à une compétition pour des ressources limitées: pas assez de jobs, pas assez de logements bon marché, bientôt pas assez d’air à respirer? Sauf que nos richesses ne sont pas limitées, elles sont juste mal distribuées.
Je crois que si mon geste l’année passée a pu blesser, c’est aussi parce que le besoin d’appartenir à une communauté est bien réel. Seulement, je crois trop en nous pour accepter que la communauté nationale est le mieux que nous puissions faire.
Le capitalisme a supprimé nos visions sociales et politiques pour mieux nous enchaîner: maintenant, il est temps de rêver à nouveau et d’écrire ensemble notre récit collectif, pluriel et sans frontières. Finalement, une utopie n’est pas un projet qui n’existe pas, mais seulement un projet qui n’existe pas encore.