Jean-Luc Addor remet une pièce dans la machine. Ce jeudi, il diffuse sur les réseaux sociaux une lettre ouverte à l’attention de Mathilde Mottet, la jeune socialiste valaisanne qui a publié un selfie où elle fait un doigt d’honneur devant un drapeau suisse le jour de la Fête nationale.
Selon le conseiller national de l’Union démocratique du Centre (UDC), insulter un drapeau, quel qu’il soit, n’est jamais insignifiant. «Depuis toujours, les drapeaux ont été des symboles rassembleurs, écrit-il. C’est évidemment le cas du drapeau suisse. C’est même le cas, pour des minorités, du drapeau LGBTQ + qui te semble cher. Par ton geste offensant envers un drapeau suisse, tu n’insultes pas simplement notre pays, mais aussi ses valeurs et ses habitants.»
L’élu conservateur n’en démord pas et condamne à nouveau ce geste, sans pour autant clore la discussion. Qu’on soit d’accord ou non avec les arguments de celle qui était encore récemment vice-secrétaire centrale de la Jeunesse socialiste suisse, les analyses et les jugements moraux divergent. Mais, sur le fond, que dit la loi? Peut-on impunément dresser son majeur face à un drapeau rouge à croix blanche?
Un débat technique
Blick a posé la question à Alessandro Brenci, avocat indépendant à Lausanne, qui a esquissé quelques pistes de réflexion concernant ce cas sur son blog. Surprise: la grande démocratie libérale qu’est la Suisse n’est pas forcément insensible à ce genre de provocations. Alessandro Brenci cite rapidement l’article 270 du Code pénal: «Celui qui, par malveillance, aura enlevé, dégradé, ou aura par des actes outragé un emblème suisse de souveraineté arboré par une autorité, notamment les armes ou le drapeau de la Confédération ou d’un canton, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.»
Dans l’affaire Mathilde Mottet, le débat porte en particulier sur trois éléments: le fait que le drapeau soit «arboré par une autorité», «l’outrage» et «la malveillance». «Je ne sais pas si c’est l’autorité qui a mis en place le drapeau que l’on voit sur la photo litigieuse, lance au bout du fil l’avocat. Il faudrait vérifier. En ce qui concerne 'l’outrage', la pratique considère que ce comportement concerne un acte matériel.» En clair: le fait d’enlever un drapeau, de l’altérer, de le brûler, de le souiller, etc. «Selon la doctrine, des paroles ne suffisent pas, enchaîne le Vaudois. Cela laisse ouvert la question du geste, y compris celui en photographie.»
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Abordons «la malveillance» maintenant. «Cette notion, toujours selon différents auteurs, se définit par du mépris à l’encontre de l’emblème outragé, parce qu’il s’agit d’un signe de souveraineté, assure Alessandro Brenci. On en revient donc à la définition de l’outrage.» Bref. A priori, si on en croit l’homme de loi, la question n’a pas encore été tranchée.
Des dénonciations antérieures
Pourtant, des précédents plus ou moins similaires existent. L’avocat cite, par exemple, une affaire vieille de 20 ans. Au début 2003, Stuart Eizenstat, ancien sous secrétaire d’Etat américain qui était intervenu dans l’affaire des fonds en déshérence, a fait paraître un livre intitulé «Imperfect Justice». En couverture y figure un drapeau suisse, dont la croix fédérale est recouverte de lingots d’or prenant la forme d'une croix gammée.
Plusieurs personnes s’étaient insurgées de l’offense pour la Suisse que représentait cette image et s’étaient plaintes auprès du Ministère public de la Confédération. «Ce dernier n’était pas entré en matière puisque l’auteur ne s’en est pas pris à un emblème de souveraineté arboré par une autorité», résume l'avocat.
Dans le dossier valaisan, serait-il opportun de dénoncer le selfie à la justice, comme l’ont suggéré plusieurs internautes? «Un citoyen ne pourrait pas le faire, rétorque du tac au tac notre interlocuteur. Seul l’Etat pourrait agir.»
Le seul lésé: «l'Etat»
Pour étayer ses assertions, il cite un arrêt de 2002. Un spectacle avait alors été dénoncé au Ministère public de la Confédération. Le plaignant reprochait au metteur en scène d’inviter les citoyens suisses à des actes «antinationalistes», tels que celui de brûler leur passeport. Pour le mécontent, il y avait là une incitation publique à porter atteinte aux emblèmes nationaux réprimée par le fameux article 270 du Code pénal.
«Les juges ont estimé que l’éventuel lésé, dans ce cas, est l’Etat, relate encore le conseil. Le citoyen, quant à lui, n’est pas lésé directement et personnellement par les actes délictueux visés.» Il est donc fort peu probable que Mathilde Mottet soit inquiétée. Et c’est peut-être tant mieux. Avant de raccrocher, Alessandro Brenci souligne que c’est un privilège de vivre dans un pays qui tolère ce type de manifestations, «symbole en réalité d’une liberté d’expression vivante». «Dans d’autres contrées, de tels comportements seraient, au mieux, blâmés, au pire, sévèrement châtiés», déplore-t-il.