Je me laisse volontiers prendre au jeu des films de braqueurs. Ma scène préférée est celle où les bandits se partagent le butin avant même que le casse ne commence. Chacun s’étend sur ses rêves de yacht, de voyages de luxe. Pour l’honneur, on en trouve souvent un qui braque la banque pour la recherche contre le cancer. Plus beaux sont les rêves, plus grande est la chute quand le gangster finit au clou ou, pire, deux balles dans le buffet, les mains encore dans le coffre.
C’est un peu le sort de la classe politique suisse. Depuis des années, les élus rivalisent d’imagination pour dilapider le capital de la Banque nationale. En alignant les motions soumises au Parlement, on aurait déjà dépensé l’argent des autres plusieurs fois. Pour les retraites, pour les grands et les petits travaux, contre le Covid, pour les start-ups. Les cantons ne sont pas en reste: les budgets votés en décembre comprennent souvent les hypothétiques recettes de la BNS, claquant les dividendes avant de les avoir touchés.
Des coffres vides. Pire, percés
Et voilà que, catastrophe, Thomas Jordan annonce lundi que l’établissement a essuyé en 2022 une perte de 132 milliards de francs. Deux fois le budget de la Confédération. 20'000 kilomètres de billets de 1000 francs mis bout à bout. Bref, au moment de braquer la banque, on découvre des coffres vides. Pire, percés.
En juin 2021, la présidente du PS me reprochait mon manque d’empathie à refuser d’accaparer le revenu des taux négatifs pour les retraites. Moins de deux ans plus tard, il n’y a plus de taux négatifs (tant mieux). Il n’y a plus non plus de revenus (tant pis). Imaginez une seconde le désastre si nous avions suivi la gauche et scellé le sort de l’AVS à celui de la BNS? Au lieu d’un chèque, on aurait envoyé une facture aux retraités?
Chaque franc dépensé doit être gagné
En politique comme dans la vie, «there is no shortcut». Il n’y a pas d’argent magique. Chaque franc dépensé doit être gagné. Même si cette vision empreinte de «bon sens paysan» ne suscite pas l’enthousiasme, elle nous évite les mirages. On connaît ces pays qui ont cru trouver l’œuf de Colomb en pillant leur réserve nationale. Et qui ont fini par se chauffer à la flamme des billets d’une monnaie de singe.
La vie politique est rythmée depuis dix ans par des utopies irréalistes. Consommer de l’énergie qu’on ne produit pas. Dépenser de l’argent qu’on n’a pas gagné. Penser toujours «besoins» avant «moyens». Ce coup de semonce de la BNS devrait nous rappeler, à quelques mois des élections fédérales, que les politiques les plus réalistes sont les plus viables en période de crise. Travailler, produire, inventer, avant de dépenser, promettre et consommer. À défaut, on risque bien de finir comme le braqueur malchanceux du casse du siècle ingénieux, mais lamentablement raté.