Les fromages ont le Valaisan Luisier-Affineur pour briller sur les réseaux sociaux. Les produits carnés, eux, peuvent compter sur le boucher lausannois Sébastien Losey, de La Bouche qui Rit, pour faire saliver les internautes: les différents profils du commerce engrangent jusqu’à 10 millions de vues par mois, toutes plateformes confondues.
En temps normal, l’artisan — filmé et mis en scène avec délice par son fils Romain Losey — met en avant son métier, son savoir-faire et les denrées qui remplissent sa vitrine, située à la rue de la Madeleine, à un jet de pierre de l’Hôtel de Ville. Mais pas ce mardi soir 26 décembre, où son ton habituellement enjoué a fait place à de l’agacement.
«Des toxicos entrent et volent»
Dans une vidéo passée en privée depuis, Sébastien Losey pousse un sérieux coup de gueule. «Pourquoi je suis énervé? Parce qu’on m’a volé de la marchandise, tonne-t-il. Parce que maintenant, les toxicos entrent dans le magasin, avec les autres clients, et on les voit partir avec de la marchandise cachée dans la veste. Quand on leur court après, on n’ose même pas aller trop près parce qu’on ne sait pas comment ça peut finir.»
La vedette romande des réseaux sociaux ne s’apaise pas. Et interpelle les autorités: «Je lance un appel à la Municipalité (ndlr: l'Exécutif à majorité de gauche) pour savoir si c’est normal ce genre de choses dans le quartier de la Riponne.»
Cette capsule, en ligne moins de quatre heures, est rapidement devenue virale. Alors pourquoi l’avoir masquée? «On avait déjà 184'000 vues sur TikTok, entre 30’000 et 40’000 sur Instagram et environ 10’000 sur YouTube ainsi que presque 300 commentaires au total, détaille au bout du fil ce mercredi matin Romain Losey. L’écrasante majorité de ces commentaires étaient très critiques envers la Municipalité, presque trop pour qu’ils soient affichés sur nos comptes.»
Le diplômé d’HEC Saint-Gall enchaîne: «Nous faisons du commerce, pas de la politique. Alors, nous avons décidé de suspendre notre mouvement d'humeur. Je suis toutefois en train d’écrire à la Municipalité pour solliciter une rencontre afin de lui exposer notre réalité et de lui demander de trouver des solutions.»
Un shootoir à ciel ouvert
Pour mémoire, cet été, la place de la Riponne, véritable scène ouverte de la drogue de la capitale vaudoise, avait défrayé la chronique. Une photo d’un toxicomane se piquant devant un enfant avait largement choqué. Sous pression, la Ville avait annoncé une série de mesures. Notamment l’entrée en action le 25 août d’un nouveau groupe antidrogue composé de 42 policiers.
La Bouche qui Rit, installée à quelques mètres du lieu de deal et de consommation, a-t-elle remarqué une différence? «Il y a une présence policière accrue et celle-ci est bienvenue, glisse Romain Losey. Mais on voit bien que les forces de l’ordre ne peuvent pas faire grand-chose. J’ai le sentiment qu’il manque des outils législatifs pour qu’elles puissent réellement avoir un impact.»
Un brin amer, il estime qu’il y a un deux poids deux mesures. Ses mots exacts déplorent «une grande asymétrie de traitement»: «La police du commerce est très tatillonne, y compris avec les acteurs qui respectent les règles. Tant mieux. On nous a par exemple refusé l’installation d’un grill à poulets devant notre enseigne, notamment pour des raisons de bruit et d’odeur. Parallèlement, on voit des transactions de drogues chaque jour et en public sous nos fenêtres. De là à penser qu’il est plus simple de vendre dans la rue des stupéfiants que de la volaille, il n’y a qu’un pas.»
Bien décidé à faire changer la situation, le jeune homme ne se dégonfle pas. Il affirme qu’il ira jusqu’au bout: «Nous voulons travailler avec tout le monde, peu importe si les gens sont de gauche ou de droite. Il faut cependant que les pouvoirs publics nous entendent. Le phénomène que nous dénonçons n’est pas exceptionnel: il est régulier et touche plusieurs commerçants du quartier. Maintenant, s’il est impossible de se réunir avec les autorités pour aller de l’avant et que nous devons utiliser notre forte audience pour défendre des libertés élémentaires comme travailler sans se faire voler, nous nous résoudrons à le faire.»