Pétition à Lausanne
Contraints de les enlever, des commerçants luttent pour leurs terrasses

Une association de petits commerçants lausannois a été montée et une pétition est en marche pour réclamer à la Ville le droit pour ces établissements de disposer de terrasses qu'on leur demande de supprimer.
Publié: 09.06.2023 à 18:07 heures
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Dernière mise à jour: 09.06.2023 à 18:19 heures
Gonzalo Amaya, dont le café n'est pas un café, sur sa terrasse qui n'est pas une terrasse.
Photo: Fabien Goubet
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Fabien GoubetJournaliste Blick

À deux pas de la place de la Riponne, c'est un agréable bout de quartier piéton du centre de Lausanne, avec ses restaurants et son petit tea room «funky», comme on peut le lire sur l'enseigne. Rue Pré-Du-Marché, devant l'entrée d'À côté de la plaque, une table, deux chaises, de quoi siroter un délicieux café cold brew à l'ombre en regardant les passants. Des enfants jouent en se chamaillant, des cyclistes remontent les pavés, des voisins se saluent pendant qu'un cuistot fume sa cigarette devant une porte de service. Un scénario on ne peut plus anodin, sauf qu'en s'approchant, un petit panneau sur la table intrigue, indiquant «Ceci n'est pas une terrasse». Ha bon?

Car c'est bien sa terrasse qui occupe l'esprit de Gonzalo Amaya, le tenancier de ce petit établissement aux effluves d'encens, un bric-à-brac qui fait du commerce équitable, de la torréfaction, et qui vend accessoirement boissons et petite restauration. Alors que sa mini-terrasse de deux tables et 4 chaises n'avait dérangé personne jusqu'ici, il a reçu en mars dernier une lettre de la Ville de Lausanne le priant de débarrasser le plancher de son mobilier boisé. Car en tant que «magasin traiteur», selon la missive, il ne peut prétendre à la moindre chaise dehors.

Une pétition qui fait mouche

Gonzalo Amaya confie se sentir trahi, lui qui affirme «faire office de toilettes publiques» depuis que la Ville a fermé les toilettes plus bas à cause des nuisances des toxicomanes. «Je ne me plains pas, je rends service, il y a des enfants qui ont besoin d'aller aux toilettes, raconte-t-il. Alors quand j'ai reçu cette lettre, je me suis dit que c'était injuste. Surtout qu'entre la pose d'un échafaudage sur l'immeuble, la pandémie et les travaux dans la rue, je n'ai pas mis une chaise dehors pendant quatre ans. Je ne veux pas me laisser faire.»

Résolu, Gonzalo Amaya rédige au printemps une pétition qui a recueilli quelque «500 signatures en trois semaines». Le bouche-à-oreille aidant, il est ensuite contacté par d'autres petits commerçants lausannois qui, comme lui, assurent avoir dû virer tables et chaises ces derniers mois. Aujourd'hui, «27 commerces» lui ont emboîté le pas, et «1600 à 1700 signatures ont été récoltées». Le document doit être déposé le 16 juin aux services compétents de la Ville de Lausanne. Objet des doléances? «Réclamer une autorisation, au moins temporaire, de ressortir le mobilier pour l'été», dit le commerçant, avant de s'attaquer à un plus gros morceau: demander une révision de la loi cantonale qui régit toutes ces questions.

Un café, mais sans le statut

La situation est en effet complexe. Si À coté de la plaque se voit prié de rentrer ses meubles, c'est en raison de son statut: l'établissement a beau servir café et thés, il n'est pas considéré comme un café ni un salon de thé.

Les raisons sont en partie historiques (l'établissement était d'abord une boutique, l'activité de torréfaction et de coffee shop ayant commencé dans un deuxième temps). En tant que magasin, il a donc droit à neuf places assises. À l'intérieur. Il a beau placer ses chaises sur la partie privée de la chaussée, il a beau rester dans la limite des neuf places, il n'a pas le droit de mettre le bout d'un pied de table dehors.

Pourquoi? Parce que le règlement stipule que ce privilège est réservé aux cafés et aux restaurants tels que définis par GastroLausanne et GastroVaud. À côté de la plaque ne satisfait pas ces critères. Pour changer de statut, le café qui n'en est pas un devrait aménager ses toilettes et surtout changer son système de ventilation pour se mettre en conformité avec ce qu'on attend d'une cuisine professionnelle de café-restaurant. Un devis estimé à 80'000 francs, selon Gonzalo Amaya. «Ça fait cher pour quatre chaises, plaisante-t-il. D'autant que je n'ai aucun besoin de modifier la ventilation: on ne cuisine pas ici, on ne fait que réchauffer!»

Quatre chaises jugées comme une concurrence déloyale

Le patron dit également regretter l'attitude de GastroVaud. «Ils m'ont dit qu'ils se méfiaient des food trucks, des bars éphémères, ce genre de choses qui sont selon eux dans la concurrence déloyale avec les cafés. Mais je n'ai rien à voir avec un food truck ou un bar éphémère: je vends des cafés, exactement comme eux. Je ne sers pas d'alcool. J'ai 9 places assises. Je ferme à 19h. C'est ça, de la concurrence déloyale?», ironise-t-il.

Pour ces raisons, Gonzalo Amaya et les signataires de la pétition, qui ont par ailleurs mis sur pied une association baptisée Les 101 terrasses, espèrent obtenir un peu de mou sur un règlement qu'ils estiment trop rigide. «La nouvelle politique d'urbanisation de la ville de Lausanne cherche à encourager sa population à interagir davantage avec les espaces urbains. Mais dans le même temps, elle interdit à ses petits commerçants d'interagir avec leur clientèle en leur interdisant toute possibilité de consommer en extérieur (chaises, tables ou même consommation sur un banc)», lit-on en préambule de la pétition.

La Ville rappelle qu'il existe 600 terrasses

Dans un message écrit, le conseiller municipal lausannois chargé de la sécurité, de l’économie et de l’eau, Pierre-Antoine Hildbrand, dément toute opération de nettoyage des trottoirs: «Il n’y a pas eu de 'campagne' spécifique de contrôles et d'inspections avec l'arrivée du printemps.» Et le responsable de rappeler, citant un rapport de la Haute école de Lucerne sur les horaires des terrasses: «La Ville de Lausanne a été la première à mettre en place, après Vilnius, les extensions de terrasses, gratuites, dans le cadre de la pandémie. Presque toutes ont été maintenues et légalisées.»

Si certaines terrasses sont priées de disparaître, c'est tout simplement qu'elles ne sont pas en règle, poursuit-il: «Les magasins, sans licence d'établissements de jour au sens de la Loi sur les auberges et les débits de boissons (LADB), n'ont pas pour vocation de permettre la consommation sur place.» Si on laissait ces établissements jouir de terrasses, il faudrait s'attendre à en voir partout, y compris dans toutes les Coop et Migros, qui vendent également des boissons chaudes, rappelle-t-il. Le municipal renvoie enfin à un communiqué de la Ville paru ce jour, le 9 juin. Le document rappelle que 600 terrasses sont disponibles à Lausanne, et qu'au moins deux buvettes lacustres sur les trois testées en 2022 seront conservées ces prochaines années.

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