Scène ouverte de la drogue à Lausanne
«Nous recherchons les éventuelles seringues avant l'arrivée des enfants»

A la place de la Riponne à Lausanne, des toxicomanes se piquent non loin d'un espace récréatif gratuit accueillant des enfants et leurs parents. La responsable Michèle Montet assure à Blick que les mômes ne sont pas en danger à la Grenette.
Publié: 25.08.2023 à 06:00 heures
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Dernière mise à jour: 25.08.2023 à 13:43 heures
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«Je pense que les enfants qui fréquentent l’espace récréatif de la Grenette sont en sécurité, au même titre que dans un parc public, voire plus», affirme Michèle Montet, directrice.
Photo: DARRIN VANSELOW
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Amit JuillardJournaliste Blick

Un homme se pique devant un enfant en trottinette, en pleine rue et en plein jour, à Lausanne: l’image publiée lundi par «20 minutes» n’en finit plus de choquer. Dans l’article, le lecteur auteur de la photo rappelle la présence du «jardin d’enfants de la Grenette» à proximité. Les gamins qui s'amusent — sous l'œil de leurs parents la plupart du temps — dans ce lieu gratuit appartenant à la Ville sont-ils en danger?

«Je pense que les enfants qui fréquentent l’espace récréatif — nous ne sommes pas une crèche — de la Grenette sont en sécurité, au même titre que dans un parc public, voire plus, avance la responsable, Michèle Montet, assise dans un fauteuil, recyclé, comme tous les objets qui nous entourent. Il n’y a pas eu d’accident en lien avec les personnes toxicodépendantes. Nous sommes ici depuis neuf ans, ces personnes étaient présentes dans le secteur dès le départ du projet.» D’autre part, le bambin sur la photo publiée par le journal gratuit ne s’était pas échappé de sa structure, qui accueille quelque 600 personnes chaque semaine, appuie-t-elle.

«Nous sommes ici depuis neuf ans, les personnes toxicodépendantes étaient présentes dans le secteur dès le départ du projet», rappelle Michèle Montet (à gauche).
Photo: Darrin Vanselow

Un dispositif est en place pour garantir la sécurité des petits. Tous les matins à 6h, son équipe arpente la zone, située au nord de la place de la Riponne, dont les toilettes publiques et les alentours sont des spots de défonce. «Avec un aimant, nous recherchons les éventuelles seringues dans les bacs potagers avant l’arrivée des enfants. Grâce au travail effectué par les acteurs sociaux de la place ainsi que le service de la propreté urbaine, cela fait plusieurs semaines que nous trouvons moins de déchets liés à la consommation. Environ une seringue par semaine. Je n’ai pas l’impression que la situation est pire qu’avant, en termes de déchets retrouvés. Par contre, l’hygiène des personnes dépendantes s’est détériorée.»

Le médecin cantonal s’en mêle

Lundi, alors que la halte-jeux était fermée, Blick a vu une femme s’injecter à quelques mètres de l’entrée. Et il y a bien eu un couac, dernièrement. «Une crèche, dont le concept est de faire des activités en forêt, donnait rendez-vous aux parents devant l’entrée de service, en haut, située sur la coursive, à côté d'où se trouvait le bureau des objets trouvés auparavant. A part quelques membres du personnel, peu de monde passe par là. Un après-midi, les parents sont tombés sur quelqu’un qui se piquait et la crèche a dès lors opté de se rendre dans une autre structure d’accueil pour le matin et le soir.»

L'espace récréatif s'inscrit sous le signe du développement durable: tous les objets sont de la récup' et toutes les classes sociales s'y croisent.
Photo: Darrin Vanselow

Venons-en à la topologie des lieux, essentielle pour comprendre les enjeux. La coursive se trouve au niveau du deuxième étage. Au rez-de-chaussée, à la même hauteur que la place de la Riponne, trône l'entrée. Juste devant, les gosses jouent, peignent et font du tricycle dans un espace ouvert, uniquement délimité par des lignes jaunes. Courbes colorées traçant un parcours menant notamment à travers les bacs potagers. En face de l’entrée, de l’autre côté de la petite place, se dresse les tables et les chaises du convivial bar en plein air de La Superette, anciennement celui de la Grenette. A une trentaine de mètres, l'endroit où a été pris le cliché choc est aisément accessible.

«Les enfants visualisent les limites de la Grenette et n'ont pas envie d'en partir, promet Michèle Montet, également déléguée au développement durable au sein du Service de la petite enfance. En tout cas pas ceux qui sont sous notre surveillance — et donc pas sous la responsabilité de leurs parents.» L’espace récréatif — pérennisé depuis 2018 après le dépôt d’une pétition munie de plus de 10’000 signatures — offre dix places de garde pour une durée maximale de trois heures, pour les mômes de 3 à 12 ans. Les autres sont accompagnés d'adultes ou font partie d’une des garderies profitant parfois des infrastructures.

Collaboration avec les «marginaux»

«L’ouverture et la mixité sociale sont nos raisons d’être, tant au sein de l’espace récréatif qu’autour, martèle l’employée communale, qui rappelle que personne n’est obligé d’amener sa marmaille ici. C’est même pour cela que la Grenette est née lors de l’édition 2014 de Lausanne Jardins. La Ville m’avait demandé d’animer cette petite et triste place squattée par des marginaux en y amenant de la vie, des familles.» Aujourd’hui, quatre d’entre eux sont sous contrat «pour tout ce qui a trait au nettoyage de la structure d’accueil, de la terrasse et du potager».

«Ils ne se piquent pas, je précise. Et grâce à leur présence, ils assurent au maximum la sécurité des usagers de la Grenette.» Lors d’un reportage publié mercredi, Blick avait rencontré le sympathique groupe, qui affirmait qu’aucun rejeton n’avait été en contact avec des seringues dans le coin. «D’autre part, nous sommes régulièrement en contact avec les toxicomanes et ils sont conscients qu’ils ne doivent pas venir consommer ici», certifie Michèle Montet.

Une maman s’inquiète

Reste que cette maman, présente ce mercredi matin avec ces deux terribles de 2 et 4 ans, n’est pas toujours tranquille. «L’endroit est génial et nous rend bien service, amorce Anett. Mais, quand je suis ici, je suis inquiète, j’ai peur qu’ils croisent quelqu’un qui se drogue ou un dealeur. Je fais attention, je regarde où ils circulent à vélo.»

Inquiète face à la consommation de drogue et au deal, Anett garde toujours un œil sur ses enfants de 2 et 4 ans.
Photo: Darrin Vanselow

Une grand-maman, qui observe ses deux petites-filles enduire leurs mains de peinture devant un chevalet, se fait moins de mouron. «Vous savez, ils ne se piquent pas ici, mais plus loin. Je ne les ai d’ailleurs jamais vus ici. Et puis, ils ne sont pas méchants, ils sont malades. Ça peut arriver à tout le monde de tomber dans la drogue. La société devrait les aider.»

Dans le quartier, le voisinage est furax et en a ras-le-bol «des tox'». L’ouverture, prévue en automne, d’un nouveau local d’injection à une cinquantaine de mètres du jardin d’enfants fait jaser. Dans l'entourage de l’espace récréatif, on s’alarme plutôt des horaires réduits du futur centre de consommation sécurisé: de 15h30 à 21h30. «En plus, il n’y aura pas d’endroit où ils pourront se poser après avoir consommé, déplore cette femme, souhaitant rester discrète. Si le bar ferme pour la saison froide, ils viendront squatter là-devant…»

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