Tensions sur l'Arc lémanique
Un mystérieux site américain utilisait la détresse des locataires romands

La plateforme e-coach.me proposait contre rémunération des annonces de logements à visiter sur l'Arc lémanique consultables ailleurs gratuitement. Alertée, la Fédération romande des consommateurs semble avoir fait plier le site basé dans un paradis fiscal américain.
Publié: 06.10.2022 à 05:56 heures
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Dernière mise à jour: 06.10.2022 à 10:58 heures
Le site e-coach.me a été signalé à de nombreuses reprises à la Fédération romande des consommateurs. (Image d'illustration)
Photo: Keystone
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Chercher un logement dans les régions lausannoise ou genevoise s’apparente à un chemin de croix. Il faut toquer (et retoquer) à la porte des régies, enchaîner les visites — la plupart du temps sur ses heures de travail, voire prendre un chasseur d’appart', et… attendre. Attendre que son dossier finisse enfin par atterrir sur le haut de la pile.

Comme toutes les pénuries, celle-ci profite à certains. De nombreux services, facturés à des prix plus ou moins élevés, promettent de transformer votre parcours du combattant en balade de santé. Alléchant, non? Sans doute, mais gare aux arnaques.

La Fédération romande des consommateurs (FRC) reçoit régulièrement des signalements en la matière. Depuis plusieurs mois, le site internet e-coach.me cristallise les mécontentements.

Une montagne de plaintes

Tout commence ce printemps. Une dizaine de plaintes arrivent en seulement quelques jours dans les mains de Jean Tschopp, responsable du secteur conseil au sein de l’association forte de 25’000 membres. En cause, une offre alors proposée par la plateforme basée dans le paradis fiscal américain du Delaware: un listing payant d’appartements vacants.

Jean Tschopp, responsable du secteur conseil à la FRC.
Photo: D.R.

À y regarder de plus près, les logements, plus particulièrement sur l’Arc lémanique, sont l’un des domaines d’activité phares du site étasunien. En complément d’un petit guide du parfait futur locataire disponible gratuitement, e-coach.me vend, au moment des plaintes, ce fameux catalogue aux personnes en recherche d’un toit. Son prix: 190 francs par semaine ou 490 francs par mois. À quoi s’ajoute encore un forfait de 590 francs à l’éventuelle signature du bail.

Pour ferrer les clients souvent pressés, la plateforme se met rapidement à inonder les réseaux sociaux de publicités. Faisant augmenter encore les alertes adressées à la FRC. «Nous sommes entrés en contact avec le site mais les problèmes n’ont pas cessé pour autant», déplore Jean Tschopp.

Les factures explosent

Les problèmes? Après avoir accepté les conditions générales d’e-coach.me sans les lire attentivement, plusieurs personnes se sont retrouvées avec des factures colossales sur le dos. Elles pensaient s’engager pour un seul et unique paiement, mais signaient en réalité un contrat «de durée».

Et une fois le document paraphé, difficile de faire machine arrière: selon les termes de l’accord, si celui-ci n’est pas résilié dans les 72 heures avant l’échéance, il est prolongé tacitement semaine après semaine. «Un contrat reconduit ainsi est assez inhabituel mais il s’agit d’une pratique légale, tempère Jean Tschopp. Même si la FRC est critique à ce sujet

Ce n’est donc pas seulement cet aspect qui fait tiquer le juriste vaudois. Toujours à des fins commerciales, la plateforme publie des vidéos de prétendus clients satisfaits, que Blick a pu visionner. L’une montre une expatriée remerciant e-coach.me pour son aide dans sa recherche d’un appartement à Lausanne. «Nous avons demandé au site s’il s’agissait d’un témoignage véridique ou d’une mise en scène, détaille notre interlocuteur de la FRC. Nous n’avons pas obtenu de réponse précise, mais la vidéo a été supprimée après notre intervention.»

Le consommateur manipulé?

En outre, après avoir étudié attentivement les doléances accumulées au fil du temps, celui qui est par ailleurs député socialiste au Grand Conseil soupçonne des infractions à la loi contre la concurrence déloyale puisqu’il y a, selon lui, risque de confusion pour les internautes. «Concernant les listings de logements, les consommateurs qui s’engagent consciemment au paiement d’un prix aussi élevé, le font vraisemblablement en pensant que e-coach.me offre un service exclusif, ou du moins impliquant directement des propriétaires ou des régies», déroule Jean Tschopp.

Il rebondit, agacé: «Il apparaît toutefois que le site se contente de rassembler des offres de logements vacants très probablement accessibles gratuitement en ligne ou ailleurs. Il y a donc un risque de confusion quant aux prestations offertes, vu la manière dont elles sont présentées par e-coach.me.»

Toujours en ligne malgré les promesses

Blick a scruté la correspondance entre la FRC et l’entreprise américaine. Pendant des mois, cette dernière modifie à chaque fois ce qui doit impérativement l’être pour se conformer aux bonnes pratiques rappelées par l’organisation de défense des consommateurs. Mais n’agit pas sur les questions tombant dans des zones grises juridiques.

Et soudain fin septembre, retournement de situation. Dans son dernier courriel, e-coach.me annonce abandonner son litigieux listing payant. Plus étonnant encore, la plateforme assure en parallèle renoncer à toute activité commerciale en Suisse.

Vraiment? Nous avons voulu vérifier. Surprise: ce lundi, un lien permettait encore de s’abonner à la liste d’appartements vacants. Contactée par e-mail, e-coach.me plaide l’erreur. «Après vérification, le lien était toujours en ligne, sans que le menu du site ne pointe dessus. Il a été retiré depuis.»

Face aux critiques, la plateforme — qui ne donne aucun nom de collaborateur — bat sa coulpe. «Nous sommes vraiment navrés que des personnes considèrent avoir été abusées par nos services. Notre objectif est avant tout d’apporter des prestations intéressantes pour nos utilisateurs. […] Nous avons continuellement cherché à améliorer nos services, notamment en échangeant régulièrement avec la FRC pour prendre en considération au mieux les retours des consommateurs et avons adapté le site en conséquence.»

Quid de la vidéo de la prétendue expatriée installée à Lausanne grâce à e-coach.me? S’agit-il d’une actrice ou d’une vraie cliente épanouie? «Ce contenu ayant été réalisé par un prestataire externe, nous ne pouvons pas vous dire si la personne est une cliente ou si la vidéo illustre un avis reprenant un témoignage-client écrit.»

La mystérieuse personne chargée du rôle de porte-parole complète: «Il est cependant à préciser que ce contenu n’a jamais été utilisé ni comme support commercial, ni comme témoignage-client. Il était proposé dans un descriptif du service expliquant le fonctionnement de ce dernier. Elle n’a par ailleurs jamais été publiée sur des médias sociaux ou sur une page de commande, de sorte que les gens qui [payaient pour notre listing] n’ont a priori pas visualisé cette vidéo.»

«La ficelle est un peu grosse»

Et les appartements vacants proposés, sont-ils véritablement des pépites introuvables ailleurs? «Nous ne proposons pas d’annonces de logements de manière exclusive, concède e-coach.me. Cela a d’ailleurs toujours été précisément indiqué dans nos descriptifs, qui indiquent bien que le produit proposé permet avant tout d’agréger les informations.»

Enfin, l’entreprise confirme avoir cessé ses activités commerciales en Suisse. Mais pas à cause des accusations pesant contre elle, insiste-t-elle. «Ce choix n’a pas de lien avec l’aspect légal du service, qui est sans équivoque […]. Il s’agit d’un choix interne qui vise à privilégier le contenu gratuit et le partage d’informations utiles aux lecteurs du site.»

Jean Tschopp ne se laisse pas convaincre. «La ficelle est un peu grosse, soupire le juriste. En tout cas, les plaintes de nombreux consommateurs à la FRC commencent à porter leurs fruits. On garde les deux yeux ouverts et surtout le bon.»

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