De l'ascension au chaos
Comment l'affaire Sanija Ameti a plongé les Vert'libéraux dans la crise

L'affaire Sanija Ameti révèle la jalousie et les conflits incessants qui animent les Vert'libéraux. Des membres du parti soupçonnent même le président Jürg Grossen de profiter du scandale pour se débarrasser de celle qui, jusqu'à peu, était l'étoile montante du parti.
Publié: 16.09.2024 à 06:05 heures
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Dernière mise à jour: 16.09.2024 à 07:21 heures
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La «secte des panneaux solaires»: les Vert'libéraux le 19 août 2023 à Rüschlikon, dans le canton de Zurich.
Photo: keystone-sda.ch
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Reza Rafi
Le post Instagram fatal de Sanija Ameti, le 7 septembre dernier.
Photo: Capture d'écran/Instagram

L'affaire Sanija Ameti a été déclenchée par une bêtise monumentale d'une élue au conseil municipal (législatif) de la ville de Zurich. Elle s'est transformée en crise pour un parti national en quête de succès.

Après la publication de ce post Instagram fatidique, le vendredi 6 septembre au soir, tout est allé très vite. Trop vite même pour les Vert'libéraux. Lundi, 48 heures seulement après la publication du premier article de Blick sur le sujet, tous les élus du parti au Grand Conseil zurichois ont été réunis à la hâte pour une discussion qui a vite semé la zizanie au sein même du groupe: faut-il renvoyer Sanija Ameti? Faut-il se ranger derrière elle? Faut-il trouver un entre-deux? Et de toute façon, se demandaient certains, que faisons-nous ici, nous les députés cantonaux, alors qu'il s'agit d'une élue communale?


Le siège des Vert'libéraux vient probablement de vivre des heures mouvementées. Alors que les responsables du parti luttaient encore pour définir une orientation et une stratégie commune, le président du Conseil national et président du parti au niveau national Jürg Grossen a pris les devants en annonçant le lancement d'une procédure d'exclusion à l'encontre de Sanija Ameti. Le Bernois a ainsi définitivement propulsé cette affaire personnelle sur le devant de la scène, conférant à cette politicienne locale une importance nationale.

«Nous sommes une secte de cellules solaires»

Mais surtout, cet incident – déjà désagréable pour les Vert'libéraux – restera encore plus longtemps dans l'actualité en raison de cette coûteuse et laborieuse procédure d'exclusion. L'attitude de la section communale du parti à Zurich sera décisive. Et selon ce qui se raconte, celle-ci est aussi divisée que l'ensemble du parti: certains membres se sont plaints des dégâts causés par Ameti, tandis que d'autres ont signé la pétition en faveur de la jeune damnée.

Ces turbulences mettent en lumière le manque d'adresse d'un jeune parti en pleine ascension. Né dans les années 2000 d'une lutte intestine avec les Vert-e-s et mis sur pied par le Zurichois Martin Bäumle jusqu'à récolter 7% des sièges au Conseil national, le mouvement peine à se trouver une identité et une réelle cohérence politique. Ses plus grands dénominateurs communs? Le soutien à la pose de panneaux photovoltaïques sur les toits, à la présence de Tesla dans les garages et à un rattachement à l'UE. Le reste est vague. Plan d'études 2021, dépenses de sécurité, prévoyance vieillesse, asile: les Vert'libéraux sont incapables de parler d'une seule et même voix sur ces sujets. 

«En fait, nous ne sommes qu'une secte de cellules solaires», regrette un parlementaire zurichois. Les différences d'origine politique des divers membres du parti se font parfois douloureusement ressentir. Ainsi, le torchon brûlerait notamment entre Chantal Galladé – ancienne conseillère nationale socialiste (PS) et actuelle élue Vert'libérale au Parlement cantonal zurichois – et sa section de Winterthour. Les discussions entre les deux parties seraient actuellement au point mort.

«Pas la bougie la plus scintillante du gâteau»

A cela s'ajoute le fait que le parti semble dépassé lors des situations de crise, ce qui est typique des organisations qui grandissent rapidement. Lorsque la Zurichoise Isabel Garcia a quitté les Vert'libéraux de façon controversée pour rejoindre le PLR en 2023, la direction cantonale n'a pas fait bonne figure en termes de communication. Même le président du parti au niveau national Jürg Grossen y est allé de ses dérapages verbaux. Notamment lorsqu'il a expliqué que la conseillère fédérale socialiste Elisabeth Baume-Schneider n'était «pas la bougie la plus scintillante du gâteau» dans le journal satirique «Nebelspalter».

Le parti est devenu le point de ralliement de politiciens «lifestyle» qui, avec une bonne dose d'assurance, construisent aussi leur propre carrière. Le touche-à-tout Nicola Forster, par exemple, n'a pas eu de chance avec sa candidature au Conseil national. Il a même quitté son poste de coprésident de la section cantonale à Zurich. Mais il a tout de même fini par se faire réélire la semaine dernière au comité de cette même section. Le mot d'ordre quand on est un Vert'libéral: persévérer.

«J'ai une grande gueule»

Avec Opération Libero, mouvement urbain et europhile, le parti s'est trouvé une organisation partenaire, voire satellite. Cette dernière compense son manque d'accès aux institutions par des appels, des pétitions, des actions coup de poings et des campagnes sur les réseaux sociaux... Des modes d'actions qui lui permettent de se faire une place dans le paysage médiatique et d'imposer certains de ses thèmes de prédilection à l'agenda politique.

Personne n'incarne mieux cela que Sanija Ameti, qui a fait sensation en 2021 à la tête de la campagne contre la «loi sur les mesures policières contre l'antiterrorisme». «Cette femme a du courage et possède l'esprit combatif qui fait le succès des hommes et des femmes politiques», s'enthousiasmait alors la «NZZ». Pour aller chercher les étudiants s'adonnant volontiers au vélo, Sanija Ameti convenait parfaitement aux Vert'libéraux.

Mais le fait qu'elle ait annoncé seule, avec les Vert-e-s, une initiative européenne mal ficelée en 2021, sans le soutien des milieux économiques, a fait grincer des dents au-delà même de son parti. «J'ai une grande gueule», concédait volontiers Sanija Ameti dans le journal «Republik». Une «grande gueule» de plus en plus mal perçue par le chef de parti Jürg Grossen.

Le silence des femmes du parti

Jürg Grossen a convoqué plusieurs fois Ameti à Berne, par exemple après qu'elle eut déclaré qu'elle trouvait le ministre de l'Environnement Albert Rösti (UDC) «imbuvable – sur le plan politique». Grossen et ses collègues s'étaient également agacés d'un portrait bienveillant à l'égard d'Ameti publié dans les pages de la «NZZ», peu avant les élections de 2023 et intitulé «Culture populaire, Balkanbeats et Blocher». Toujours est-il qu'Ameti a ensuite gagné du terrain de manière impressionnante: alors qu'elle était 18e de la liste vert'libérale à Zurich aux dernières élections fédérales, elle avait manqué l'élection de peu en se classant 9e, ce qui lui avait valu des jalousies au sein même de son parti.

Avec l'affaire de la Vierge et l'enfant, Grossen a-t-il flairé et saisi l'opportunité de se débarrasser de cette fauteuse de troubles zurichoise qui l'agaçait tant? C'est en tout cas ce que laissent entendre plusieurs membres de son parti. Le président du parti ne répond toutefois pas aux questions, son entourage renvoie à la procédure d'exclusion en cours... qu'il a lui-même lancée. Le silence d'éminentes femmes du Parti vert'libéral, notamment Melanie Mettler, Corina Gredig et surtout la coprésidente d'Alliance F Kathrin Bertschy, est criant.

Une attitude qui est tout de même peu compréhensible. Car comme les autres, les femmes du parti sont prises dans un dilemme entre se solidariser et se distancer. Et ce dilemme risque de durer au sein du mouvement.

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