Après son tir polémique sur Jésus, la Vert’libérale Sanija Ameti a-t-elle trouvé son salut dans les rangs du Parti socialiste (PS)? L'ex-conseiller communal lausannois Benoît Gaillard a pris ouvertement sa défense ce mardi 10 septembre sur X.
Pour lui, la décision du Parti vert’libéral d’ouvrir envers Sanija Ameti un processus d’exclusion est expéditive. Ce que la conseillère nationale vert'libérale vaudoise Céline Weber qualifiait de «manifestation de violence et de haine» dans Blick n'est qu'un «geste malheureux» pour Benoît Gaillard.
Le responsable de la communication de l’Union syndicale suisse (USS), par ailleurs président du Conseil d’administration de la CGN, s'émeut du sort de son adversaire politique, amenée à démissionner de son rôle à la direction de son parti à Zurich, de son poste et sujette de plusieurs plaintes pénales et menaces. Le socialiste revendique la nécessité d'une critique acerbe des «sentiments religieux» à la «Charlie Hebdo». Interview.
Benoît Gaillard, avec son coup d’éclat, Sanija Ameti a-t-elle pris sa carte au Parti socialiste?
Je ne crois pas. Je ne partage pas la plupart de ses positions. Elle est tenante d’une vision individualiste, libérale de la société. Ce n’est pas mon cas. Malgré cela, j’ai voulu m’opposer à l’acharnement dont elle fait l’objet. La brutalité avec laquelle en deux jours, elle est sanctionnée provoque chez moi une forme de solidarité que je pourrais qualifier de chrétienne.
Pour vous, «cette exécution en 2 jours pour un geste malheureux et immédiatement regretté va beaucoup trop loin». Pourquoi?
Ce qui me dérange, c’est la rapidité du procès et des condamnations de fait qu’elle subit pour un écart malheureux. Il doit être possible de faire des erreurs, les sanctions doivent être proportionnées. En l’occurrence, elle regrette son geste et s’est excusée. Médiatiquement, publiquement, elle va payer un prix élevé de toute façon. Mais qu’elle perde son travail et soit la cible d’attaques personnelles, ça va trop loin. Elle nous dit s’être trompée et a droit à une seconde chance.
Il est tout de même question de la religion catholique, la plus répandue en Suisse…
Dire qu’on ne devrait pas toucher à un symbole religieux me gêne profondément. Les symboles religieux méritent autant de respect que tout autre symbole lié à des convictions. Mais on a le droit de jouer avec ces symboles, de les mettre en cause, de les critiquer et de les caricaturer. Je trouve dommage qu’en réaction à l’affaire Ameti, on ait des gens qui disent «on ne doit jamais jouer avec la religion». Si, justement, on peut! C’est autorisé! C’est une conquête importante héritée des Lumières. On protège les personnes contre l’insulte ou la discrimination. Mais aucune idée ou conviction n’est sacro-sainte.
Si je vous comprends bien, la réaction des Vert’libéraux n’est pas très Charlie?
Non, effectivement. C’est d’ailleurs étonnant de la part d’un parti qui ne revendique pas d’approche confessionnelle particulière. La liberté d’expression va de pair avec le fait d’être régulièrement confronté avec des propos et des comportements qui nous choquent, sont contraires à nos valeurs, à nos idées ou notre religion. Les limites, ce sont celles du droit pénal, celles qui menacent l’intégrité ou la sécurité des personnes. Les limites ne peuvent pas être fixées par ce qui offense tel ou tel groupe. Autrement dit: ne pas être offensé n’est pas un droit. On ne peut pas vouloir interdire tout ce qui pourrait offenser.
Donc on ne devrait pas faire preuve de prudence pour éviter de choquer?
Non. Selon moi, cette réserve est mauvaise pour le débat public. Si je vis dans un monde libre, démocratique, où les gens pensent et disent ce qu’ils veulent, par définition, je risque d’être choqué ou offensé par certaines choses. Je n’ai pas envie de vivre dans un monde dans lequel on ne serait jamais offensé par rien! J’ai défendu le droit de «Charlie Hebdo» à attaquer qui ils voulaient. D’ailleurs, ils se sont davantage fait attaquer en justice par l’Église catholique que par quiconque d’autre. Toucher à un symbole religieux ne doit pas valoir une condamnation particulière.
C’est un coup de sang ou coup de com’? Ou aucun des deux?
Je n’en sais rien. Je ne la connais pas, enfin je ne l’ai rencontrée qu’une fois. On a le droit de faire une erreur, de le dire. Qu’il y ait des conséquences, c’est normal. Je trouve juste que cela va trop loin. De ce que j’en sais, personne n’est mort, n’a été blessé ou attaqué individuellement. Personne n’a été injurié personnellement non plus d’ailleurs.
Vous semblez considérer le délit de blasphème comme une aberration…
On pourrait abolir le délit de blasphème. Dans les faits, il n’est plus appliqué et ne donne plus lieu à des condamnations depuis longtemps. On peut se demander s’il est encore pertinent dans le droit suisse.
Les Vert’libéraux estiment que leurs valeurs ont été bafouées par cet acte. Pour vous, la liberté d’expression fait-elle encore partie de ces valeurs?
Je croyais que c’était un point d’accord avec les partis de droite qui se disent libéraux: on peut limiter la liberté d’expression pour protéger les personnes — contre la haine, la discrimination. Et on doit le faire avec réserve. Mais on a le droit d’attaquer les convictions collectives, les idées, et donc les religions.
Au-delà du geste de Sanija Ameti, ce sont les réactions qui vous font craindre pour la liberté de caricaturer ou de moquer…
En 2015, quand il y a eu les attentats de Charlie Hebdo, il y a eu consensus sur le droit de caricaturer librement. Le geste de Sanija Ameti provoque des réactions qui vont plutôt dans le sens inverse, comme si la religion était intouchable. La comparaison n’est pas parfaite: Mme Ameti ne revendique pas son geste. Au contraire, elle s’en excuse. Mais il fait apparaître une tendance qui laisse penser que critiquer une confession religieuse, c’est insultant pour les personnes qui y adhèrent. Cette tendance n’est pas bonne pour le débat public.