Deux générations. Deux parcours aux antipodes. Des convictions antagonistes. Et, surtout, deux personnalités de plus en plus décidées à en découdre sur le ring du pouvoir.
Jean-Luc Mélenchon, 71 ans, est un cogneur politique invétéré, issu du trotskisme, cette mouvance révolutionnaire passée maître dans l’art d’infiltrer les sphères intellectuelles, pour mieux s’assurer du contrôle sans partage des leviers de commandes politiques et économiques, comme le préconisait son fondateur Léon Trotski (1879-1940).
Emmanuel Macron, 45 ans, est un président de la République d’inspiration libérale, pour qui la mondialisation demeure incontournable et gérable, à condition que l’Union européenne assume sa souveraineté stratégique et industrielle.
Trois fois battu à la présidentielle
Le premier, trois fois battu à l’élection présidentielle (21,95% des voix au premier tour de la présidentielle 2022), voit dans l’opposition populaire à l’actuel projet de réforme des retraites la bataille qui peut (enfin) tout faire chavirer, avec sans doute l’espoir d’un nouveau scrutin présidentiel anticipé. Le second, ovni politique qui a raflé la mise en accédant à l’Élysée en 2017, est un chef de l’État de plus en plus isolé, dont la base politique s’est considérablement effritée au fil de son premier quinquennat.
Vous pensez que j’ai tort en braquant ma focale sur le duel Macron-Mélenchon? Vous pensez que tout va dépendre aussi, en France, de la popularité et de la capacité politique de Marine Le Pen et du Rassemblement national, à qui cette crise sociale profite? C’est vrai. Je l’ai moi-même écrit.
Mais côté duel, c’est entre Emmanuel et Jean-Luc que tout se joue à la veille de la dixième journée de mobilisation sociale contre la retraite à 64 ans, ce mardi 28 mars. Car Jean-Luc Mélenchon a choisi la rue. Avec pour objectif d’y faire descendre la jeunesse en colère, étudiants et lycéens, pour mettre le pouvoir exécutif le dos au mur.
Le révolutionnaire et le président se sont pourtant longtemps regardés à distance, avec estime mutuelle. Tous les deux ont des points communs. Ce sont deux intellectuels. Ils aiment les livres et l’histoire. Ils ont, aussi, une affection partagée pour Marseille, cette ville portuaire dont Jean-Luc Mélenchon fut le député du Vieux-Port, et où Emmanuel Macron (fan assumé de l’équipe de foot de l’OM) pourrait un jour, dit-on, atterrir comme maire.
En septembre 2018, alors que couvait la crise des «gilets jaunes», les deux hommes s’étaient d’ailleurs rencontrés à deux pas de la Canebière, le fameux boulevard marseillais. Emmanuel Macron n’a pas oublié que l’un de ses premiers mentors en politique fut Jean-Pierre Chevènement, l’ex-ministre socialiste qui, au PS, défendit longtemps Jean-Luc Mélenchon avant que ce dernier opte pour la rupture avec son parti d’origine dont il fut longtemps l’élu.
Sauf que tout a changé au fil du premier mandat de l’actuel président. Emmanuel Macron a clairement mis le cap à droite. «Méluche» (le surnom de Jean-Luc Mélenchon) est devenu, lui, le chantre d’une gauche radicale, eurosceptique et dominante au sein de la NUPES, l’alliance entre La France Insoumise (LFI), le PS et les Verts. Entre les deux, le respect a été remplacé par la castagne.
Une gauche radicale, contestataire en cheffe
Emmanuel Macron a toutes les raisons de redouter Jean-Luc Mélenchon et ses troupes. À l’Assemblée nationale, les députés LFI sont les plus bruyants et ils monopolisent l’attention médiatique, profitant de la sympathie d’une partie des milieux intellectuels, culturels et médiatiques français.
Dans la rue, au fil des journées de mobilisation, la gauche radicale s’est aussi installée dans le rôle de contestataire en cheffe, au point que l’intersyndicale a pris ses distances. Les relais mélenchonistes jouent aussi à plein du côté de l’autre théâtre d’affrontement revenu à la «Une» ce week-end: celui de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) où les militants écologistes et anti-agriculture intensive se mobilisent contre la construction de «grandes bassines» agricoles.
Bref, Jean-Luc Mélenchon joue le pavé et l’agitation tandis que Marine Le Pen parie sur la respectabilité et veut poursuivre la normalisation de son mouvement de droite nationale populiste. La fièvre révolutionnaire est cultivée par la France Insoumise.
L’autre inquiétude macroniste tient à la stratégie mélenchoniste en ce printemps 2023. Le leader de la France Insoumise défend, depuis des années, une VIe République plus parlementaire. Il a tenté en vain, aux législatives de juin 2022, de se faire élire Premier ministre.
Plus préoccupant: Jean-Luc Mélenchon ne cache pas sa sympathie pour l’action violente et son parti accuse régulièrement les forces de l’ordre. Le fondateur de LFI a, plusieurs fois, perdu ses nerfs face à la police et il distribue même des conseils aux groupes protestataires, leur suggérant de se montrer «fluides» pour éviter les interpellations et harceler les forces de l’ordre.
Bref, Jean-Luc Mélenchon ne se positionne pas seulement comme un adversaire politique du président, mais comme un adversaire du régime, dont il veut venir à bout en convoquant une assemblée constituante. À l’inverse, le Rassemblement national, fidèle à sa culture autoritaire, défend l’idée d’un pouvoir exécutif fort, plus conforme à la constitution de la Ve République.
Mélenchon-Macron: plus que deux France, deux visions de la politique et de la nation. Emmanuel Macron défend sa réforme des retraites par la nécessité de remettre sur les rails l’actuel système par répartition, selon lui en déficit chronique. Le président s’inquiète des marchés financiers et d’une hausse possible des taux d’intérêt qui rendrait de moins soutenable la dette publique française qui atteint désormais 3000 milliards d’euros.
Jean-Luc Mélenchon, lui, a souvent déclaré que cette dette irremboursable, et que son annulation partielle devrait être envisagée. «Je ne parle pas d’annuler la dette que nous avons auprès des particuliers, expliquait-il en 2019. Il se trouve que 20% de cette dette correspond à ce que la Banque centrale européenne (BCE) a dans son coffre parce qu’elle en a racheté les titres aux banques privées. Ça ne coûtera pas un rond à la BCE de dire que dorénavant ces titres de dettes sont à taux zéro, je les garde dans mon bilan, elle n’est pas annulée, et je compte sur l’inflation pour la ronger petit à petit.»
Le duel est engagé
Le duel est engagé. Il bat son plein et tant pis si la France en sort K.O. Lorsque Emmanuel Macron a parlé, le 22 mars, de «factieux» et de «factions», les oreilles du tribun Jean-Luc Mélenchon ont sans doute résonné.
Mais pas question pour ce dernier de céder: malgré son âge, et après avoir suggéré le contraire, l’idée d’une nouvelle candidature présidentielle le taraude. Avec objectif d’accéder enfin à ce second tour du scrutin roi qui, pour l’instant, s’est toujours refusé à lui.