Vous serez filmés. Ou plutôt disséqués, analysés, recoupés, mémorisés, exploités, puis conservés numériquement, et littéralement découpés en tranches. Vos gestes. Votre apparence. Vos vêtements. Vous? Non, votre image, engrangée et filtrée par les centaines de caméras de vidéosurveillance disposées le long des sites des prochains Jeux olympiques d’été, ou installée sur des drones en survol permanent.
Tel sera l’ordinaire du quadrillage algorithmique lors des JO 2024. Le projet de loi destiné à encadrer cet événement sportif, qui aura lieu dans moins de 500 jours à Paris et à Saint-Denis (banlieue nord) est actuellement examiné par les députés français. Or ceux-ci ont voté, mercredi 22 mars en soirée, l’article du texte législatif qui autorise le recours aux algorithmes pour le traitement des images.
Un cauchemar orwellien
Ne croyez pas que cet aspect du projet de loi soit anodin. Au contraire. Depuis des jours, il fait le buzz sur les réseaux sociaux. «Un cauchemar orwellien au pays des lumières», a tweeté la députée écologiste Sandra Regol. «Vidéosurveillance intelligente avec reconnaissance, pas seulement faciale. Détection par algorithmes des situations 'anormales'. Partout, tout le temps. Voici à quoi nous serons exposés», rage un détracteur du texte défendu par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Coïncidence malheureuse: le vote de mercredi soir, à l’Assemblée nationale, après son adoption en janvier par le Sénat, est intervenu la veille de la neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Côté pile, le vote d’un dispositif coercitif qui s’en prend aux libertés. Coté face, dans la rue, la rébellion contre une mesure accusée de démanteler le système social français. Et si le premier était, à terme, plus antisocial que la seconde?
A Genève, l’Institut Edgelands se propose de répertorier l’ensemble des caméras de sécurité dans la ville, «permettant ainsi une approche pratique de la discussion sur la façon dont ces données sont traitées et ce qui en est fait». A Paris, le projet de loi olympique balaie, dans les faits, toutes les limites à l’exploitation numérique des images récoltées.
Même si le gouvernement promet que des «garanties» seront mises en place pour limiter les abus et les entorses à la vie privée, l’autoroute de la vidéosurveillance dite «intelligente» sera ouverte presque sans restrictions pour la période allant de septembre 2023 (date de l’ouverture de la Coupe du monde Rugby à paris) à la fin 2024, au-delà des Jeux olympiques d’été.
Détection de comportements jugés anormaux
De quoi parle-t-on? «Du recours à l’intelligence artificielle, ou plutôt aux d’algorithmes, pour détecter en temps réel les comportements jugés 'anormaux', comme des mouvements de foule, une personne qui court, un attroupement, dans les transports, mais aussi les gares. Les forces de l’ordre sont alors alertées. L’idée est d’en faire un outil d’aide à la décision», explique Stéphane Peu, député communiste de Saint-Denis, la commune sur laquelle le village des athlètes sera en partie construit. L’intéressé connaît par cœur le dossier des JO.
Pour lui, deux sujets demeurent problématiques: la sécurité et les transports, puisque le cahier des charges de Paris prévoit le convoyage des spectateurs via les lignes de métro et de train existantes, déjà saturées. «L’anticipation des problèmes va donc être déterminante» poursuit-il. D’où l’importance, affirme le gouvernement, de détecter «des mouvements de foules, des colis suspects, les goulets d’étranglement dans les couloirs ou les gares». Les algorithmes permettront d’anticiper en rapprochant les images en direct de celles enregistrées et préalablement analysées. Pour chaque comportement, un scénario…
«Les JO sont un prétexte pour jouer aux apprentis sorciers de la vidéo surveillance. C’est une loi d’exception qui met un coup de canif supplémentaire dans nos libertés publiques», avait tonné, lors du vote au Sénat, l’élu écologiste Thomas Dossus. L’exemple de la Chine est bien sûr dans toutes les têtes.
Amnesty International tire donc la sonnette d’alarme: «La décision de la France d’autoriser le recours à des mesures de surveillance de masse pendant les Jeux olympiques de 2024 nuit au travail de l’Union européenne en vue de réglementer l’intelligence artificielle et de protéger les droits fondamentaux. Cette décision, qui légalise pour la première fois le recours à la surveillance assistée par intelligence artificielle en France et dans l’UE, risque d’instaurer de manière permanente une surveillance d’État dystopique en France et de permettre des violations à grande échelle des droits humains.»