Je suis à bout de commentaires. Je l’avoue: l’actuelle crise des retraites, en France, m’inspire plus de la stupéfaction que des velléités éditoriales sur le bien-fondé, ou non, de cette réforme.
Stupéfaction, parce que l’arithmétique des finances publiques et de la démographie m’apparaît incontournable. Faites le calcul: endettement + espérance de vie, et je vous mets au défi de trouver une autre solution que celle de l’allongement de la vie active, sauf à emprunter davantage ou à réquisitionner des milliards sur le dos des multinationales, comme aimerait le faire une partie de la gauche.
Je ne vois pas d’issue…
Stupéfaction, parce que je ne vois pas d’issue. Pardon, je corrige aussitôt: l’issue institutionnelle existe bien pour ce projet de loi sur la réforme des retraites. Le gouvernement dispose, on le sait, de tous les instruments de procédure pour le faire adopter d’ici au 26 mars. Soit à l’issue d’un vote majoritaire à l’Assemblée nationale avec le soutien d’une partie des députés de droite. Soit par ordonnances, comme l’y autorise la constitution française dans son article 47.1 pour les textes budgétaires ou relatifs au financement de la sécurité sociale, ce qui est ici le cas.
Ma stupéfaction la plus grande porte toutefois sur un autre sujet: la crise démocratique que cet ouragan social révèle encore une fois. Faites cet autre calcul: deux tiers des Français environ, selon les sondages, rejettent le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite. Tandis que la même proportion de personnes interrogées, à peu de chose près, s’avoue convaincue que cette réforme sera adoptée et entrera finalement en vigueur. Ce match nul est terrible. Car il dit l’impuissance de la colère sociale. On manifeste. On bloque. On crie. On déteste Macron. Mais on courbe l’échine, puisque le couperet de la loi finira par tomber.
L’héritage du «grand débat national»
C’est sur cette réalité que mise, sans surprise, l’actuel gouvernement. En espérant qu’une partie de la droite traditionnelle, fidèle à ses convictions, votera pour cette réforme dictée encore une fois par les exigences économiques. Et après? Peut-on penser que tout le monde retournera tranquille chez soi, sans ruminer et sans frustrations? Emmanuel Macron a-t-il à ce point oublié les volontés de changement et de respiration démocratique exprimées par les Français lors du «Grand débat national» qu’il avait lui-même lancé après la crise des «gilets jaunes»? Souvenez-vous: les doléances avaient afflué dans les mairies, les débats avaient fleuri, le pays fleurait bon l’envie d’un renouveau. Puis tout s’est arrêté. La pandémie de Covid-19 a, fort utilement pour l’Exécutif, sifflé la fin de partie.
Déni démocratique
Le déni français n’est pas social. Il est démocratique. Le système présidentiel n’est que verticalité. La société d’aujourd’hui n’est que demandes d’horizontalité. La République héritée du Général de Gaulle suppose la confiance entre le peuple et son chef, alors que les radicalités de 2023 minent l’adhésion à un projet commun. Les réponses? Aucune. Le référendum est rejeté, grosso modo, par les élites. Les partis politiques traditionnels, ces amortisseurs républicains, ont été détruits par le tsunami Macron. L’actuel ministre de la Réforme des retraites est un ancien socialiste «frondeur» qui piaffait de ne pas avoir été ministre de François Hollande.
Richard Werly raconte les colères françaises:
Tout est brouillé. Marine Le Pen fait sa pelote politique en incarnant une forme de stabilité nationale-sociale-populiste. Le camp Mélenchon rumine les rancœurs d’une partie de la population éduquée, mais qui s’estime marginalisée. Tous, jusque-là, se tapent contre le mur de la Constitution écrite en 1958 pour l’homme de la France libre. Et pour lui seul.
Ce n’est pas le pays qui est bloqué. C’est la République.