Ils sont les responsables du grand blocage social français annoncé pour ce mardi 7 mars. Ils? Syndicalistes, ministres, élus… Tous, chacun à leur place, ont choisi de ne pas céder. Les uns, parce qu’ils considèrent le projet de réforme des retraites indispensable au retour progressif de l’équilibre des comptes publics en France, et en phase avec l’évolution démographique et productive du pays. Les autres, parce qu’ils jugent l’âge légal actuel de départ à la retraite de 62 ans conforme au modèle social français, et qu’ils refusent de «sacrifier» la vie des salariés sur l’autel de la productivité.
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La France à l’arrêt est le résultat de leur confrontation. Déjà, les appels à la grève reconductible à partir du 7 mars promettent des semaines d’affrontement jusqu’à l’adoption finale du texte législatif à l’Assemblée nationale, au plus tard le 26 mars. En même temps, entre 65% et 77% des Français interrogés pensent que la réforme sera finalement adoptée et appliquée. Seuls 34% pensent qu’elle sera retirée. Voici les protagonistes de cette bataille si française.
Un gouvernement intransigeant. Et pour cause…
Parler ici du gouvernement français, donc de la première ministre Élisabeth Borne, est à la fois logique et erroné. Logique, parce que le projet de loi sur la réforme des retraites a bien été présenté par l’actuelle locataire de l’hôtel Matignon. Logique, parce que le ministre chargé de ce dossier, l’ancien député socialiste Olivier Dussopt, est bien l’homme que les syndicats et la gauche veulent faire céder. Logique, parce que les équations budgétaires qui justifient le projet de report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite sont sans cesse réaffirmées par le ministre des Finances Bruno Le Maire et celui du Budget, Gabriel Attal.
Logique… mais erroné. Car derrière ce projet de réforme se trouve la détermination d’un homme: Emmanuel Macron. Dès sa campagne présidentielle de 2016-2017, le président français a promis de réformer le système de retraites, en l’unifiant (fin des régimes spéciaux) et en le rendant compatible aux exigences économiques liées à l’allongement de la durée de la vie. À l’origine, le plan Macron consistait à créer une véritable révolution via l’instauration d’un système de retraite à points unique, sur le modèle de la Suède. Modèle qui aurait sans doute ouvert la porte à une introduction plus importante des assurances privées sur le marché de la retraite qui, en France, est par répartition (les actifs paient pour les retraités).
Échec de cette première tentative, bloquée par la pandémie au début 2020. Et retour désormais avec cette cote mal taillée des 64 ans. La raison est simple: Macron l’Européen a besoin de prouver qu’il peut réformer la France, dont la dette publique s’est aggravée en 2021-2022 pour atteindre aujourd’hui 113% du Produit intérieur brut. Les 64 ans sont un affichage. Le chef d’État joue sa crédibilité financière sur cet indicateur. Impossible pour lui de reculer, d’autant que les comparaisons européennes lui donnent raison: tous les pays voisins de la France ont reculé leur âge légal de départ à la retraite.
Des syndicats jusqu’au-boutistes. Et pour cause…
Les syndicats français ont, pour partie, une tradition révolutionnaire. Traditionnellement, ils règlent les problèmes dans la rue et non autour d’une table de négociations avec le patronat, comme cela se fait en Suisse et en Allemagne. Il y a aussi, ne l’oublions pas, le poids très français de l’influence durable du parti communiste sur la vie syndicale, à travers la CGT qui fut longtemps son bras armé. Or les bastions de la CGT sont connus: SNCF (Chemins de fer), EDF (Énergie), Fonction publique… S’ajoute, dans le cas de ce syndicat, le dernier round social pour son leader Philippe Martinez, qui devrait être remplacé lors du prochain congrès de Clermont-Ferrand, du 27 au 31 mars. Même colère du côté de Sud, l’aile syndicale plus radicale encore que la CGT, très présente chez les cheminots et dans les transports en commun métropolitains.
L’autre raison de la colère syndicale française est le grand raté que représente, à leurs yeux, la présidence d’Emmanuel Macron. C’est surtout vrai pour la CFDT de Laurent Berger – réformiste et à l’origine prête à négocier un pacte sur les retraites – à condition que la réforme proposée offre un réel donnant-donnant aux salariés. Mais le locataire de l’Élysée n’a pas voulu saisir la main tendue de ces sociaux-démocrates qui, pour lui, font trop de politique et pas assez de syndicalisme. Emmanuel Macron est par ailleurs coincé pour ce second mandat, puisqu’il n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée. Il doit séduire la droite. Pour les syndicats, c’est donc le tout ou rien. Ils savent que le gouvernement a les moyens institutionnels de passer en force, y compris en faisant adopter la réforme des retraites par ordonnance. Pas question, pour eux, d’apparaître comme des complices.
Des parlementaires en guerre contre Macron. Et pour cause…
Depuis le jeudi 2 mars, le projet de loi sur la réforme des retraites est examiné au Sénat, où la majorité conservatrice paraît disposée à le voter. Le président du Sénat, Gérard Larcher des Républicains (droite traditionnelle) a en plus les moyens de procédure pour accélérer le débat sur les vingt articles du texte. Symbole: son article 7, qui prévoit le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite, devrait être examiné ce mardi 7 mars, en plein blocage social. La majorité sénatoriale joue donc, à ce stade, la carte de la raison.
Trois catégories de parlementaires, en revanche, n’ont aucun intérêt à ce que cette réforme soit votée. Ils savent qu’ils ne pourront pas empêcher son adoption, compte tenu de la procédure particulière réservée aux textes budgétaires. Mais ils veulent mettre le gouvernement le dos au mur
- Les premiers sont les élus de la gauche radicale, et en particulier de la France insoumise, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Leur spectacle, lors du débat en première lecture à l’Assemblée nationale, a été accablant. Leur objectif est de capitaliser au maximum sur la colère sociale. Ils savent que leur électorat est vent debout contre la réforme. Ils jouent l’obstruction maximale. Ils ont les écologistes et les socialistes avec eux.
- Les seconds sont les élus du Rassemblement national. Ils ont été, jusque-là, beaucoup plus discrets lors des débats. Ils ont proposé – comme la France insoumise – une motion référendaire rejetée. Ils s’affirment comme les porte-parole de la France qui se lève tôt et de la France qui souffre. Marine Le Pen, leur ex-candidate présidentielle, a longtemps proposé un retour à la retraite à 60 ans. Le Rassemblement national ne prête guère attention aux déficits budgétaires. Il prône des dépenses publiques massives. Il assimile cette réforme des retraites aux exigences du capitalisme mondialisé.
- La troisième catégorie d’élus hostiles à toute solution négociée se trouve au sein de la droite traditionnelle. Cette fraction est incarnée par le jeune député du Lot Aurélien Pradié, que le syndicaliste Laurent Berger doit rencontrer ce mercredi. Ces élus de droite redoutent de faire face à leur électorat, souvent rural ou issu des villes moyennes, fortement hostile à un report de l’âge légal de départ à la retraite. Ils savent que leurs électeurs ne digèrent pas la fausse promesse d’une retraite minimale pour tous à 1200 euros faite initialement par le gouvernement, mais qui ne se confirmera pas dans les chiffres. Une vingtaine de députés de droite (sur 61) seraient dans ce cas. S’ils ne votent pas le projet de loi, la majorité sur laquelle compte le gouvernement ne serait pas au rendez-vous.
Il faut 44 voix supplémentaires à la majorité relative présidentielle de 245 députés (sur 577) pour atteindre les 289 voix indispensables. À quelques voix près, les renforts des Républicains pro réforme ne suffiraient donc pas. Il restera alors, pour le gouvernement, la possibilité de légiférer par ordonnances, sans débat. Ou de solliciter un vote de confiance via le fameux article 49.3 de la constitution.
Débat sur les retraites en France à TV5 Monde, avec Richard Werly