Être de droite signifie-t-il encore quelque chose en France? Pour le dire encore plus clairement, les élus de droite ont-ils, ou non, le devoir de défendre des mesures a priori favorables au plein emploi, à la réduction des déficits budgétaires et à la productivité du pays et des entreprises?
Si oui, alors changez de pays! Car la droite traditionnelle française, celle qui se prétend conjointement l'héritière du général de Gaulle, de Valéry Giscard d'Estaing, de Jacques Chirac ou de Nicolas Sarkozy est, elle, en train de jouer à la loterie le projet de réforme des retraites présenté le 10 janvier par la Première ministre, Élisabeth Borne.
En quelques mots, le principe de cette réforme est simple: un salarié devra travailler plus longtemps (jusqu'à 64 ans au minimum au lieu de 62 ans) et cotiser plus longtemps aussi (43 années) pour pouvoir prétendre à une pension intégrale. Une réforme que le MEDEF, l'organe du patronat français, juge «indispensable» pour sauver le système par répartition en vigueur depuis 1946, où les actifs cotisent pour les retraités.
Où est la droite bourgeoise, libérale et pro-entreprises?
En théorie, vu de n'importe quel pays européen, la droite bourgeoise, libérale et pro-entreprises devrait réclamer un départ à la retraite encore plus tardif. 65 ans est d'ailleurs l'âge auquel le gouvernement français avait initialement pensé. Mais voilà, en France, tout est plus compliqué. Une partie des élus conservateurs ont perdu la notion d'équilibre budgétaire qui, pourtant, constituait la principale raison d'une précédente réforme des retraites, sous le gouvernement de François Fillon, en 2010.
Mieux: une frange de ce camp conservateur, composée en majorité d'élus ruraux, redoute le coup de bâton électoral s'ils devaient demander à leurs concitoyens de travailler plus. Plus redoutable encore: la menace du Rassemblement national, la formation de droite nationale-populiste de Marine Le Pen, plane au-dessus de leurs circonscriptions.
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Le RN incarne une droite sociale, étatiste, dispendieuse, qui a fait de l'assistanat son programme. Les libéraux qui osent encore se dire comme tels se comptent sur les doigts d'une main. Même Nicolas Sarkozy, l'ancien président de la République toujours influent, ne sait plus à quel saint se vouer: «La droite devrait tenir compte des combats qui ont été les siens», a rappelé, un tantinet désespéré, l'ex-locataire de l'Élysée, aujourd'hui proche d'Emmanuel Macron.
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Ce casting de la droite est en plus compliqué par le jeu parlementaire. À l'Assemblée nationale, qui a le dernier mot législatif en France, le groupe Les Républicains (LR) ne compte que 61 élus, dont un tiers environ n'apprécient guère d'être les supplétifs du gouvernement en mal de majorité absolue depuis les législatives de juin 2020. Au Sénat, où le projet de réforme des retraites sera débattu à partir du 2 mars, la majorité est de droite, mais se demande ce qu'elle doit faire. Faut-il amender le texte et le rendre ensuite acceptable par les députés LR, ce qui fera le jeu de Macron? Faut-il exiger de nouvelles concessions? Faut-il procrastiner?
La seule certitude est que la gauche radicale n'a pas, au Sénat, les moyens de bloquer les débats comme l'ont fait les députés. Les 20 articles du texte devraient donc pouvoir être discutés. L'adoption finale du projet doit intervenir au plus tard le 26 mars, en raison de l'adoption par le gouvernement d'une procédure d'urgence qui lui permet, de toute façon, d'imposer in extremis sa volonté.
Un feuilleton politique très révélateur
Ce feuilleton des retraites est donc bien plus révélateur qu'il n'y paraît des blocages français. D'un côté, il démontre la coupure sociale du pays, et l'opposition massive à l'idée de travailler plus. À plusieurs reprises, 2 millions de manifestants sont descendus dans les rues lors des journées d'action et un «blocage total» du pays est anticipé par les syndicats le 7 mars.
De l'autre, ce texte souligne l'implosion politique de la République. La droite n'est plus vraiment la droite. Les sociaux-démocrates ont perdu pied face aux gauchistes. Les écologistes demeurent des agitateurs, plutôt qu'un parti de gouvernement. L'extrême droite avance ses pions, en évitant tout débordement et en prônant des mesures sociales ignorantes de la dette publique de la France, qui atteint 3000 milliards d'euros, soit plus de 115% du PIB.
Où est la droite française, qu'Emmanuel Macron a réussi à faire imploser? Au Sénat? Dans l'attente d'un ralliement en masse à ce président, venu hier du Parti socialiste et aujourd'hui héritier de Sarkozy? Condamnée à se morceler tant qu'un nouveau chef n'aura pas émergé?
Bienvenue en France où le travail, la croissance, le réalisme démographique et économique sont des enjeux politiciens. Alors qu'ils devraient être, à droite de l'échiquier politique, des évidences sur lesquelles tout le monde tombe aisément d'accord.