Marine Le Pen va-t-elle sortir grande gagnante de la bataille politique et sociale sur les retraites qui secoue la France? Une chose est sûre en tout cas: l’ex-candidate à la présidentielle a jusque-là réussi un sans-faute.
Côté social, sa proposition de revenir à un départ à la retraite à 60 ans (contre 62 ans actuellement et 64 ans dans le projet gouvernemental) est désormais nuancée, mais sa dénonciation de la «profonde injustice» portée par l’actuelle réforme fait mouche.
Côté politique, ses attaques contre la Commission européenne, accusée «d’exiger une réforme des retraites en échange du plan de relance accordé à la France après la crise sanitaire», lui permettent d’éviter le débat sur les courbes démographiques et l’indispensable retour à l’équilibre financier d’un système largement déficitaire.
Mieux: la cheffe des 89 députés du Rassemblement national s’est aussi parfaitement positionnée en promettant de batailler d’abord contre le texte à l’Assemblée nationale. Elle ne joue pas au pyromane social. Sa partition est celle de la grande protectrice des classes populaires et des «carrières longues», ceux qui ont travaillé longtemps et seront défavorisés par le rallongement de la durée de cotisations.
L’entre-soi médiatique se retourne contre Macron
En outre, Marine Le Pen vient de se voir offrir un argument en or par le président Macron lui-même. Depuis toujours, le RN dénonce «l’entre-soi» des élites médiatiques et politiques françaises. Or voilà qu’une dizaine d’éditorialistes réputés ont reconnu avoir été conviés à l’Elysée par le Chef de l’État en personne le 17 janvier, soit deux jours avant la journée de mobilisation syndicale qui a rassemblé plus de 1,2 millions de manifestants dans tout le pays.
Bingo! Des journaux comme «Les Échos», «Le Figaro», «Le Monde», la radio publique France Inter ou la chaîne BFM TV se retrouvent aujourd’hui le dos au mur, contraints de s’expliquer sur cette proximité. Même Edwy Plenel, sur son site d’information Mediapart, a qualifié ce déjeuner d’illustration d’un «journalisme de gouvernement». Le RN, longtemps ostracisé par les médias – ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui – retrouve donc son grain à moudre traditionnel. À savoir que la vérité est de son côté, et les «fake news» instrumentalisées de l’autre.
Troisième avantage pour celle qui pense déjà à la prochaine présidentielle de 2027: son électorat est le plus touché par le projet de réforme des retraites. Le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, lui aussi très engagé contre ce projet, recrute avant tout dans les rangs des professions intellectuelles «déclassées», des fonctionnaires (ils sont six millions en France) ou des jeunes anticapitalistes. Marine Le Pen est aujourd’hui vue comme une alternative politique pour ceux qui sont «particulièrement touchés par cette réforme» comme l’écrit France Info. À savoir? «Les classes moyennes, ceux qui n’ont pas fait d’études longues, les techniciens, les commerciaux, ceux qui travaillent depuis leurs 20 – 22 ans… ceux auxquels le gouvernement demande le plus d’efforts.»
Des populations plus enclines à se tourner vers l’extrême-droite
L’éditorialiste de la radio publique, Jean Rémi Baudot complète: «Les différentes études montrent que ces populations sont plus enclines à se tourner vers l’extrême-droite. Dans le dernier baromètre Kantar Public EPOKA, on voit que dans ces catégories socio-professionnelles, la côte de Marine Le Pen (40) est presque deux fois supérieure à celle d’Emmanuel Macron (23) ou de Jean-Luc Mélenchon (23). Dans les classes populaires, le RN est vu comme la principale force d'opposition au chef de l’Etat. Rajoutez par-dessus, les 50-64 ans, électorat où le RN est déjà assez fort, un âge qui se sent directement visé par cette réforme puisque la retraite est toute proche pour eux.»
Le test du 31 janvier
Ce mardi 31 janvier, le front uni des syndicats a de nouveau décrété une journée de mobilisation. Si le million de manifestants est de nouveau dépassé, la preuve que le pays est en colère sera avérée et la procédure parlementaire accélérée choisie par le gouvernement (50 jours maximum de débat dans le cadre d’un projet de budget rectificatif de la sécurité sociale) deviendra une bombe politique. Le Rassemblement national, qui promet de déposer par ailleurs une initiative référendaire, pourra affirmer que le débat législatif sur le sujet n’est ni crédible, ni acceptable. Son credo sera simple: nous représentons le peuple que l’on bâillonne. Caricatural. Faux car oublieux des rapports de force politiques aux législatives et de la nette défaite (58% contre 42%) de Marine Le Pen à la présidentielle de 2022. Mais en politique, les affirmations les plus simples et les plus percutantes ne sont elles pas souvent… les meilleures?