Cet article a été publié le jeudi 23 mars. Vendredi 24 mars, la nouvelle est tombée par un communiqué de l'Elysée. La visite royale est finalement reportée «afin de pouvoir accueillir Sa Majesté le roi Charles III dans des conditions qui correspondent à la relation d'amitié. Cette visite d'Etat sera reprogrammée dans les meilleurs délais».
Elles s’en foutent. C’est aussi simple que cela. Rue de Rivoli, au cœur de Paris, à deux pas de la place de la Concorde, Miyako et son amie Sayuri rigolent à la sortie de la pâtisserie Angelina, un salon de thé mythique de la capitale française. Juste à côté, en face du matelas d’un sans-domicile-fixe habitué à dormir là, un amoncellement de poubelles empêche les habituels selfies, face au jardin des Tuileries.
Au cœur du Paris touristique? Des poubelles éventrées
Nous sommes au centre du Paris des touristes. L’entrée du prestigieux Hôtel Meurice est toujours gardée par des concierges en haut-de-forme. Une voiture de luxe s’approche et son passager, visiblement originaire d’un pays arabe, sort avec son épouse. Attention! L’un des sacs d’ordure non ramassé, pas loin, a été éventré pendant la nuit et laisse autour une flaque nauséabonde. Vous croyez que j’exagère? Et bien, venez voir par vous-mêmes. Paris, à la veille de la nouvelle après-midi de manifestation anti-réforme des retraites, est (presque) une déchetterie à ciel ouvert.
«On s’en fiche. C’est même amusant. Les Français sont formidables d’accepter ça sans broncher. Au Japon, les manifestants n’oseraient même pas défiler dans les rues au milieu des poubelles» juge Miyako, venue d’Osaka, la grande métropole du sud de l’archipel.
Les deux jeunes femmes prennent un café matinal à côté d’un couple d’Américains. Jim est universitaire. Il est de passage pour une conférence… qui a été amputée de la moitié de son programme en raison des grèves. Alors, lui et son épouse profitent du soleil printanier.
L’hôtel du couple, dans le 1er arrondissement, n’est pas entouré de poubelles, car dans cette partie de la capitale, le ramassage d’ordures est effectué par une société privée. Jim et Cathy ne sont donc pas otages des éboueurs employés de la ville de Paris, qui viennent de reconduire leur grève jusqu’au lundi 27 mars.
5000 éboueurs sont salariés de la municipalité, qui emploie 55'000 fonctionnaires. Ils perçoivent au minimum 2000 euros mensuels bruts en début de carrière. Le syndicat CGT est majoritaire dans leurs rangs. Des camions poubelles étaient d’ailleurs présents dans les défilés, lors des huit journées de manifestations organisées depuis le début janvier.
À lire aussi
Charles III à Paris? Un terrain royal miné
Je fais quelques pas sous les arcades de la rue de Rivoli. Mêmes réflexions amusées chez la plupart des touristes. Paris reste Paris. Pas question de laisser des tas d’immondices gâcher leur voyage. Sauf chez Jesper, un Londonien venu visiter sa fille, étudiante parisienne en grève!
Lui n'a qu’une inquiétude à la bouche: la prochaine visite du roi Charles III et de la reine Camilla, attendus dimanche 26 mars! Jesper m'a montré, sur son portable, l’article d’une revue consacrée aux célébrités, selon laquelle le dîner royal du lundi 27 mars, prévu au Château de Versailles, pourrait être rapatrié à l’Élysée, pour éviter les allées et venues et les risques d’interruption du convoi par des manifestants.
La résidence de l’Ambassadeur du Royaume-Uni, où devrait loger Charles III, est voisine du palais présidentiel français. Jesper en revient. Il est allé faire un repérage rue du Faubourg-Saint-Honoré, où l’ambassade britannique est parée de grandes affiches destinées à vanter l’attractivité du Royaume-Uni. «Pas vu de poubelles devant l’Ambassade, me dit-il, mais juste à côté, c’est une décharge. Vous croyez qu’ils vont nettoyer avant son arrivée?»
En France, peu de place pour la visite royale
Je lui demande pourquoi il s’intéresse tant à cette visite royale, dont presque aucun média ne parle en France, où la bataille sociale des retraites noie tout. La réponse fuse: «Vous imaginez les Unes des tabloïds britanniques, si la voiture royale passe devant des tombereaux de déchets? Déjà qu’ils détestent la France et Macron, alors...!». On pense au rapprochement affreux possible: entre les nuisances des manifestations et le chaos des paparazzis en ce tragique 31 août 1997, date de l’accident qui coûta la vie à la princesse Diana et son compagnon Dodi Al Fayed, sous le pont de l’Alma, à moins de deux kilomètres.
Autre certitude pour Jesper: les journaux populaires anglais vont vouloir, avec ces images de Paris poubellisé, faire payer à la France sa victoire historique en rugby à Twickenham, le 11 mars, avec plus de 50 points d’écart!
Bientôt, la coupe du monde de Rugby
La Coupe du monde de ballon ovale aura lieu cette année à Paris, à partir de septembre. Donc, Charles III arrive bien en terrain parisien miné pour sa visite du lundi 26 au mercredi 29 mars, son premier voyage à l’étranger depuis son accession sur le trône, sur les pas de sa mère, alors princesse Elizabeth, accueillie en France en 1948. Et ce, dès la première cérémonie officielle de lundi: le dépôt d’une gerbe à l’Arc de Triomphe sur la tombe du soldat inconnu, aux côtés d’Emmanuel Macron.
La suite? Un discours royal au Sénat, tandis que Camilla et Brigitte Macron sont supposées inaugurer l’exposition Degas/Manet au Musée d'Orsay, sur les quais de la Seine. Le roi d’Angleterre et son épouse doivent ensuite visiter le 104, un lieu culturel parisien alternatif, en présence de la maire de Paris Anne Hidalgo, décriée pour sa gestion de la ville.
Puis, viendra la «libération»: le départ, mardi, pour Bordeaux. Comment? En train! «Là aussi, c’est le risque maximal, poursuit notre interlocuteur britannique, pas si touriste que ça. Imaginez que les syndicats bloquent le TGV royal».
La France? Bien plus sauvage que le Venezuela!
Bon, le décor est planté. Sous les arcades de Rivoli, d’autres touristes haussent les épaules quand je leur montre les poubelles. Certains même se font photographier devant. «Ça, c’est bien mieux que le selfie devant la Tour Eiffel, lâche Carmen, une jeune Vénézuélienne qui vit à Barcelone. Au moins, je vais avoir quelque chose à raconter. Finalement, la France est un pays bien plus sauvage que le Venezuela!»