On fait simple: Macron a raison. Partons de cette hypothèse, malgré les risques de guérilla sociale dans les grandes villes, et d’une paralysie de la France par les grèves et les blocages, comme on va peut-être le voir à l’occasion de la nouvelle journée de mobilisation syndicale ce jeudi 23 mars. Oui, partons du principe que le pays va mieux que les colères ne le laissent croire, surtout dans les grandes villes défigurées par l’amoncellement des ordures. Prêts? Alors, regardons ce qui va bien, à partir des déclarations du président français lors de son intervention télévisée de ce mercredi 22 mars.
La France va bien: le chômage n’a jamais été aussi bas
C’est le point fort du discours présidentiel. Une expression résume tout: le «plein-emploi» dont Emmanuel Macron a fait l’objectif prioritaire de son second quinquennat. Et il faut reconnaître que les chiffres lui donnent en partie raison. 7,2% de demandeurs d’emploi au dernier trimestre 2022, dans un pays qui frôlait les 12% de chômeurs il y a dix ans, au premier semestre 1994. Autre réalité confirmée par les statistiques: 1725 décisions d’investissement étranger en France en 2022, soit 7% de plus qu’en 2021. L’attractivité du pays est donc au rendez-vous. Et ce, malgré les «gilets jaunes» de l’hiver 2018/2019 et malgré la pandémie de COVID-19.
Emmanuel Macron a choisi d’être fier de son bilan. Il en fait même une arme, puisqu’il propose ouvertement de ramener le plus de monde possible vers le travail, y compris les seniors. «Il faut aller chercher et responsabiliser tous ceux qui sont au RSA (ndlr: revenu minimum de solidarité). Il y a des droits et des devoirs» a-t-il asséné à la télévision. Pas question donc de s’apitoyer sur les Français en colère. Le jeune Chef de l’État de 45 ans estime que sa priorité est de remettre le pays sur les rails économiques. Et qu’il est en train d’y parvenir depuis son acte fondateur: les ordonnances pour rendre plus flexible le marché du travail, mises en œuvre en septembre 2018.
La France est sérieuse: elle doit cesser de dépenser
Là, Emmanuel Macron est resté volontairement vague. Il n’a pas évoqué la peur de voir le doute s’installer au sein des marchés financiers à propos de la dette publique française qui dépasse désormais les 3000 milliards d’euros, soit 113% du produit intérieur brut annuel. Il aurait pu pourtant donner des chiffres. En 2023, selon le quotidien «Les Échos», la France va émettre un montant record de dette: plus de 270 milliards d’euros. Et cela va lui coûter plus cher que ces dernières années. Bercy a vu son coût d’emprunt à 10 ans passer de 0,3% début 2022 à près de 3% actuellement. Autrement dit: attention danger. Un dérapage coûterait très cher. Le chef de l’État est dès lors dans son rôle lorsqu’il dit: «Nous avons habitué le pays à dépenser et à ne plus produire.»
Problème: une partie de cette augmentation de la dette publique est due… à Emmanuel Macron lui-même. En 2020 et 2021, pour servir d’amortisseur social aux conséquences du Covid, les pouvoirs publics français ont injecté près de 200 milliards d’euros dans l’économie. Tout a été déréglé. De nombreux Français ont reçu une rémunération sans obligation de travailler. Alors: à qui la faute?
La France n’y coupera pas: elle doit produire davantage
La phrase clé est celle-ci: «On dit aux Français: vous aurez de plus en plus de droit et on va de moins en moins produire: c’est un mensonge.» Bien vu. Emmanuel Macron a raison. Si l’on prend en compte la quantité de travail fournie par un salarié sur une année (et pas la productivité horaire), les salariés français sont largement en dessous des pays de l’OCDE (1662 heures en 2020, mais 1718 heures en 2019 avant le Covid). En 2020, la France était ainsi classée 37e sur 38 pays avec 1320 heures de travail annuel pour les salariés. Mais attention, l’Allemagne était alors derrière, avec 1284 heures. Devant? La Belgique (1442 heures), l’Italie (1583 heures) ou l’Espagne (1613 heures).
L’autre vérité contenue dans l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron est le chiffre de deux millions d’emplois industriels détruits en France depuis 1980. C’est vrai! Mais là aussi, gare aux clichés. Une grande partie de ces emplois se sont en fait dématérialisés. Selon une étude de l’INSEE, entre 20 et 25% des suppressions de postes industriels observées sur la période 1980-2007 s’expliquent par leur «externalisation» vers les services. Un tiers des pertes d’emplois seraient pour leur part imputables à la déformation de la structure de la demande (les consommateurs ne voulaient plus des produits «made in France»). Enfin, le président n’a pas cité le chiffre qui fait peut-être le plus mal: la France exporte de moins en moins. Le déficit commercial du pays a atteint un record en 2022, à 53,5 milliards d’euros.
La France doit-elle continuer d’avancer pour se redresser? Oui. Emmanuel Macron voit juste lorsqu’il reproche aux opposants à la réforme des retraites de «s’abstraire du principe de réalité». Problème: eux lui reprochent d’être «hors-sol» et d’ignorer leurs souffrances et l’accroissement des inégalités qui va de pair.