Charles III est à Paris. Et il va y rester. Mais pas en vrai. C’est au musée Grévin, sur les Grands Boulevards abîmés par la nuit d’émeute jeudi 22 mars, que le souverain du Royaume-Uni a désormais sa place. Sa statue de cire devait être présentée pile pour sa visite d’État, du 26 au 29 mars, dans cette ville lumière où sa mère, alors princesse Elizabeth, francophone, se rendit pour la première fois en 1948.
Un communiqué du palais de l’Élysée
Il n’en sera rien. Ce vendredi 23 mars vers midi, alors qu’Emmanuel Macron achevait les discussions avec ses partenaires au sommet européen de Bruxelles, le communiqué de l’Elysée est tombé. Trop de risques. Trop de poubelles éventrées. Trop d'émeutiers à la nuit tombée. Trop de grabuge social. Trop de haine anti-Macron susceptible de perturber les cortèges. «Compte tenu de l’annonce, d’une nouvelle journée d’action nationale contre la réforme des retraites le mardi 28 mars prochain en France, la visite du Roi Charles III sera reportée. Cette décision a été prise par les gouvernements français et britannique, après un échange téléphonique entre le Président de la République et le Roi ce matin, afin de pouvoir accueillir Sa Majesté le roi Charles III dans des conditions qui correspondent à notre relation d’amitié. Cette visite d’Etat sera reprogrammée dans les meilleurs délais.»
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Terrible pour le président français, contraint de renoncer à recevoir le monarque en grande pompe (un dîner était prévu au château de Versailles, puis une visite devait suivre à Bordeaux), cette annulation sonne aussi comme un terrible rappel pour Charles III.
Et si Paris était une ville maudite pour celui qui, le 31 août 1997, avait sauté dans un jet privé pour venir au chevet de sa défunte épouse, Lady Diana Spencer, grièvement blessée dans un accident de voiture, aux côtés de son amant Dodi Al Fayed? Oui, ville maudite.
C’est en effet à moins d’un kilomètre de l’Arc de Triomphe, où le roi devait déposer lundi matin une gerbe au soldat inconnu avec Emmanuel Macron, que la Mercedes noire du couple s’est encastrée dans un pilier. Ces derniers jours, avant la visite royale, des touristes britanniques avaient d’ailleurs commencé à y déposer des fleurs en hommage. Arrivée sur place six minutes après l’accident, l’ambulance du SAMU avait dû désincarcérer le corps de la princesse au milieu des paparazzis. Pour celui qui était lors l’héritier de la couronne, cette journée affreuse fut un calvaire de bout en bout.
Paris, ou la ville que Charles III n’a jamais réussi à conquérir. C’est une évidence. Le charme très années cinquante de la reine Elizabeth III y fit à chaque fois des miracles. La dernière fois que la reine d’Angleterre vint en France, en juin 2014 pour les cérémonies anniversaire du débarquement allié de 1944, la presse française lui consacre d’énormes rétrospectives.
Il est vrai que la souveraine a connu tous les présidents de la IVe et de la Ve République française. Sa première visite, à 22 ans, intervient alors que son fils Charles n’est pas encore né. En ce mois de mai 1948, Elizabeth est enceinte de quelques semaines. La princesse est reçue à dîner par Vincent Auriol. Sa première visite royale aura lieu en 1957 et son hôte sera alors René Coty. Suivront des visites en 1972, 1992, 2004… et 2014. La ballade de la souveraine au marché aux fleurs de Paris, au pied de Notre-Dame, restera dans les mémoires. Il porte d’ailleurs aujourd’hui son nom.
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Pour Charles III? Que de mauvais souvenirs. Il devait, pour cette première visite royale, être accompagné de son épouse Camilla, avant même son couronnement en mai prochain. Mais au fond, ce défenseur de l’environnement préfère la province à la capitale française. En 1977, l’un de ses meilleurs moments dans l’hexagone a justement lieu à Bordeaux, pour une visite dans les vignobles. Sa pratique de la langue française est correcte. Les journalistes avaient pu s’en rendre compte fin novembre 2015, lors de la conférence climatique COP 21.
Les lourds nuages sur Paris, en novembre 2015
Sauf que là aussi, de lourds nuages pesaient sur le ciel de Paris. Quelques jours plus tôt, la capitale avait été ensanglantée par les attentats du Bataclan et des terrasses. «Paris sera une étape cruciale dans l’effort entrepris au niveau international, qui n’a que trop tardé, pour limiter le réchauffement à deux degrés, avait-il déclaré. Je suis convaincu que chacun a conscience que la COP 21 marquera le début d’une nouvelle phase de ce processus, et qu’elle n’est pas une fin en soi». Problème: tout a déraillé depuis. L’accord international conclu à la COP 21 n’a pas été respecté.
Pour Charles III, contrairement à ce qu’écrivait le romancier Ernest Hemingway, Paris ne sera jamais une fête.