Les Français sont habitués à la violence en politique. C’est comme ça. En décembre 2021, un sondage de l’institut Harris Interactive a mis des chiffres sur l’impression que tout visiteur étranger aura, à coup sûr, s’il se déplace à Paris ou dans une grande métropole française ce week-end, alors que les manifestations s’y poursuivent, avec leur lot de barricades et d’affrontements avec la police.
10'000 personnes avaient été interrogées voici deux ans. Le résultat? 18% estiment vivre, en France, dans un régime autoritaire. 54% seulement estiment que la démocratie fonctionne. 70% estiment qu’ils n’ont pas la maîtrise de leur vie. Le tout, ponctué par le chiffre qui fait le plus mal et explique beaucoup de choses, dans ce contexte de bataille sociale sur les retraites: 62% des Français affirment que ce ne serait pas grave si dans dix la France n’était pas une démocratie.
Casser pour se faire entendre
Quel rapport avec la violence politique, les barricades et les braseros, place de la Concorde, en plein cœur de Paris, ou le caillassage de la mairie de Lyon? Le voici. Toujours selon Harris Interactive, un tiers des Français déclare comprendre le recours à la casse et aux actes de déprédations pour se faire entendre.
Vous avez été frappés de voir, sur les images des télévisions, des jeunes en train de dégrader des arrêts de bus, d’arracher des palissades de chantiers ou de s’en prendre à des vitrines de magasins? Voilà l’explication. Près d’un jeune de moins de 35 ans sur deux, selon ce sondage, estime ces actes de violence «compréhensibles».
«L’effet générationnel l’emporte sur la situation économique personnelle» note l’institut. Autre comportement redoutable: un quart des Français indique adopter «une attitude bienveillante à l’égard de ceux agressant des élus, ou envoyant des menaces». Pas étonnant que, dans ces conditions, les élus de la majorité présidentielle demandent aujourd’hui à être protégés.
La violence politique et la France font bon ménage depuis toujours, en particulier depuis la révolution de 1789. Mais bien d’autres épisodes l’ont montré, comme les «jacqueries paysannes» survenues, à la fin du Moyen Âge, dans de nombreuses régions du pays.
C’est d’ailleurs à ces jacqueries que les gilets jaunes faisaient souvent référence. «Beaucoup de gens disent «J'ai mal à la taxe' au lieu de dire «j’ai mal partout», mais, quand on creuse un peu, on voit que, en effet, ils ont mal partout» nous expliquait en 2021 l’historien Gérard Noiriel, spécialiste de la classe ouvrière.
Or ce mal engendre la violence faute d’autres débouchés. «La violence populaire, c’est un peu le référendum à la française» reconnaît un député macroniste, très inquiet de la situation qui pourrait survenir ce lundi 20 mars, lors de l’examen des deux motions de censure déposées par l’opposition contre le gouvernement. Explication: «Les gens ne croient plus aux élus et aux partis. Ils ne peuvent pas s’exprimer lors de votations comme en Suisse. Donc, ils acceptent inconsciemment le recours à la violence pour se faire entendre, tout en le déplorant lorsqu’on les interroge».
Une colère grandissante contre la démocratie représentative
Plusieurs livres ont été consacrés à ce sujet. L’un d’eux est «Violences politiques en France de 1986 à nos jours», publié aux Presses de Sciences-po. Son constat? «Les actes violents commis au nom d’une cause ne sont pas quantifiés, contrairement à ceux de la délinquance, dont les statistiques se voient diffusées régulièrement. Pourtant, les images des violences politiques s’invitent chaque jour dans nos salons: attentats, dégradations d’équipements publics, séquestrations, etc... Ils sont révélateurs de toute la palette d’expressions d’une colère grandissante contre la démocratie représentative».
La Constitution française prévoit, depuis la réforme de 2008, un référendum d’initiative partagée. Il peut permettre à une proposition de loi d’être présentée au peuple si elle obtient le soutien d’au moins un cinquième du Parlement, soit 185 députés et sénateurs sur les 925 qui siègent dans les deux chambres. En somme, 577 députés et 348 sénateurs (signatures a priori acquises). Le texte doit ensuite recueillir le soutien d’un dixième des électeurs, soit, à ce jour, un peu plus de 4,7 millions de personnes.
Aujourd’hui, la gauche propose d’organiser un tel référendum sur la réforme des retraites, ce qui suspendrait son application. Mais cela est peu probable. Et l’on est loin du référendum d’initiative citoyenne (le RIC) que demandaient les gilets jaunes. Pour ses partisans, ce RIC aurait pour vocation d’être «constituant, abrogatoire, révocatoire ou législatif». Il permettrait donc de modifier la Constitution, de supprimer une loi, de révoquer un responsable politique ou de proposer une loi. Une réponse au «malaise démocratique français» qu’Emmanuel Macron lui-même plusieurs fois reconnu.
Et la violence? Elle est aussi la conséquence de la dilution de la citoyenneté que la démocratie représentative ne parvient plus à incarner. «Les gens n’ont pas de sentiment d’appartenance à la citoyenneté, ils s’y sentent «abandonnés», ce qui renforce les problèmes liés aux revenus, aux métiers et aux âges» notait en 2022 le sociologue Jean Viard dans une analyse pour la Fondation Jean Jaurès.
Et de conclure: «Pour sortir de l’ornière où elle pense s’être enfoncée, il faut multiplier en France les comparaisons internationales, annoncer les politiques publiques en partant de l’œil de l’usager plutôt que des comptes nationaux et rassembler les citoyens par des politiques culturelles et territoriales radicalement renouvelées. La France, pays fondamentalement politique, ne peut vivre sans récit et sans projet à portée universelle».
La violence n’est pas seulement l’expression d’une anarchie française. Elle est aussi, au-delà des actes de délinquance pure et simple, un cri de protestation contre une société devenue de plus en plus brutale, et en grande demande d’être consultée.