Rien de pire qu’une mauvaise réforme, au mauvais moment, défendue par de mauvais arguments, avec de mauvais porte-parole. Voilà le vrai bilan de l’examen parlementaire du projet de loi sur la réforme des retraites en France. Lequel s’est achevé jeudi 16 mars vers 15 heures par la décision de la Première ministre de recourir à l’article 49.3 de la Constitution.
Celui-ci, activé par Élisabeth Borne après un conseil des ministres, permet l’adoption du texte sans vote. Une ou plusieurs motions de censure vont maintenant être déposées par l’opposition. Il leur faudra, pour faire tomber le gouvernement, rassembler au moins 289 députés sur 577, cette fameuse majorité absolue que le président n’a pas réussi à obtenir pour le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite, au lieu de 62 ans actuellement.
Un feuilleton politique très explosif
Ce très explosif feuilleton politique se double d’un risque d’aggravation des tensions dans les rues des grandes métropoles jusqu’à la prochaine journée de mobilisation et de grèves, jeudi 23 mars.
La preuve en a été donnée jeudi soir à Paris (217 personnes interpellées), Lyon, Marseille où Nantes, où des heurts violents ont opposé des bandes de casseurs aux forces de l’ordre. Dans la capitale française, la place de la Concorde, son épicentre en bas des Champs-Élysées, a dû être évacuée manu militari par la police après le saccage de chantiers en cours.
Une nouvelle révolution couve-t-elle? Si cela devait arriver, le paradoxe serait total. Car cette réforme des retraites est tout, comparée aux autres pays européens, sauf un tremblement de terre dévastateur. Au contraire, vu de l’étranger, il s’agit plutôt d’un projet incomplet destiné avant tout à démontrer que la France, chroniquement déficitaire et endettée, peut se réformer.
Le premier point à bien garder en tête est que ce projet de réforme ne touche pas au principe de la retraite par répartition selon lequel les actifs cotisent pour les pensions de leurs aînés. C’est fondamental! Toutes les voix libérales qui, en France, suggèrent l’introduction plus importante d’un système de retraite par capitalisation, basé sur l’assurance privée, ont été réduites au silence. Il y a donc une contradiction dans les termes.
Les Français sont très majoritairement attachés à leur système de retraites, mais ils ne reconnaissent pas à l’actuel gouvernement le mérite de chercher à le préserver par cette réforme! Rappelons juste que les arguments brandis par l’exécutif, sur l’allongement de la durée de la vie ou sur le déficit envisagé de 13,5 milliards d’euros d’ici à 2030 si rien ne change, correspondent à la réalité. Ce projet de loi est donc un pansement. Comme l’ont été les précédentes réformes en 1995, 2010 ou 2013. Il s’agit de s’adapter, pas de tout casser.
Une part de justice sociale
Le second point à ne pas oublier, alors que défilent sur les écrans les images des scènes violentes, est que ce projet de loi comporte une part de justice. Il n’est pas parfait, loin de là. Les calculs avancés par le gouvernement sont trop complexes. L’exécutif a d’ailleurs été pris en flagrant délit de mensonge à propos de la supposée généralisation d’une pension minimale mensuelle à 1200 euros (seuls seront concernés les retraités modestes ayant derrière eux une carrière complète, rémunérés à hauteur du salaire minimum).
Mais comment ne pas trouver normale, vu de l’étranger, la suppression de certains «régimes spéciaux» qui permettaient pour l’essentiel à certaines catégories de fonctionnaires de partir à la retraite avant 62 ans, à la RATP (métro parisien), dans les industries électriques et gazières (EDF, Engie, etc.), à la Banque de France? Comment comprendre par ailleurs une telle colère alors que seuls les «nouveaux embauchés», après l’entrée en vigueur du texte cette année, seront concernés par ces mesures?
Élisabeth Borne déclenche le 49.3
Le troisième point est le plus crucial. C’est l’âge de départ et de cotisation pour une retraite pleine. Soixante-quatre ans au lieu de 62 ans, et 43 années minimum de cotisation. Soixante-sept ans pour une retraite complète si le total des trimestres cotisés n’est pas suffisant à 64 ans. Contre 65 ans en Suisse et en Allemagne. Soixante-six ans au Royaume-Uni. Soixante-six ans et sept mois au Portugal. Soixante-sept ans en Grèce et en Italie.
Attention! Ces comparaisons sont trompeuses, car les systèmes ne sont pas tous aussi généreux. Dans beaucoup de pays européens, les systèmes complémentaires de retraite par capitalisation sont plus étoffés. Mais qui peut nier le fait que les travailleurs français, dont la durée de travail hebdomadaire est de 35 heures depuis 2000, sont mieux lotis que leurs voisins, alors que les conditions-cadres du pays sont à peu près les mêmes?
Les 35 heures sont d’ailleurs un bon exemple: cette loi sociale instaurée par la gauche s’est avérée intenable dans beaucoup de domaines d’activité, et très coûteuse en termes d’organisation. Bref, pas adaptée. Problème: le discours sur la présumée «exception française» réfute toutes ces considérations.
Emmanuel Macron avait l’ambition, au début de sa présidence en 2017, de «transformer» le pays et son système de retraites. Le premier projet de réforme présenté en 2018 proposait d’ailleurs un système universel à points (inscrit dans son programme présidentiel de 2022) plus individuel, plus lisible, plus respectueux des différences de carrières, mais aussi, c’est vrai… créateur potentiel de bien plus d’inégalités.
Le texte du report à 64 ans est à l’opposé. Il ne s’attaque pas aux racines du sujet, à savoir la pertinence d’un système unique de retraites par répartition, dans une société où l’emploi est bien moins garanti qu’avant, et les carrières bien plus décousues.
La vérité? Cette explosive retraite à 64 ans qui menace d’embraser la France est un panier percé. C’est une remise à plat négociée de son système de solidarité dont le pays a besoin. Ce pansement-là est le pire des remèdes, car il s’est transformé en mèche à combustion. Avec, au bout, de la dynamite sociale.