Impossible de surmonter le mur des colères. Impossible, donc, d'espérer élargir sa majorité présidentielle. Emmanuel Macron a pris acte, avec le passage en force qu'il vient de décider pour faire adopter sans vote la réforme des retraites grâce à l'article 49.3, qu'il n'a pas les moyens de convaincre au-delà de son camp, au sein duquel certains élus sont, en plus, tentés de jouer les dissidents.
Un président le dos au mur
Recourir à l'article 49.3 de la Constitution française pour reporter de 62 à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite, à l'issue de deux mois de manifestations et d'un débat parlementaire chaotique, prouve que le jeune chef de l'État français est le dos au mur, face à ses concitoyens. Son volontarisme et son charisme ne font plus d'effets à l'intérieur du pays. Macron reste une formidable boîte à idées pour l'Europe. Son courage est réel. Ses intuitions sont souvent bonnes. Mais il n'a plus de force motrice. Près d'un an après sa réélection, le 24 avril 2022, le locataire de l'Élysée est comme piégé dans son palais, en cohabitation avec une bonne partie de la population française.
Cette vérité, vue de l'étranger, est une mauvaise nouvelle pour une France qui doit se réformer. Penser, comme des millions de Français, que leur système social est un acquis irrévocable, quelles que soient les circonstances, la croissance économique et les courbes démographiques, est un dangereux déni de réalité. Seulement voilà: expliquer cela et convaincre de cette nécessité exige beaucoup plus que des talents de communication, ou des vidéos sur les réseaux sociaux. Pour emporter cette bataille des retraites, Emmanuel Macron avait besoin, derrière lui, d'une «équipe de France» la plus large possible.
Tout a raté
Or, tout a raté. Sa Première ministre, Élisabeth Borne, s'est montrée inflexible. Le ministre des Retraites, transfuge socialiste, n'a pas su convaincre. Les syndicats, vent debout contre le texte, ont été acculés le dos au mur, sans sortie de crise possible. Son mouvement politique, Renaissance, toujours aussi hors-sol, n'a pas su mener l'offensive de terrain indispensable.
Le seul discours a été celui des chiffres. Trop chères retraites! Trop de déficits en perspective! Trop peu de travail produit au long d'une vie active! C'est vrai. Mais les Français ont toujours été fâchés avec les chiffres. Surtout lorsque, au même moment, les milliards de profits s'accumulent dans les bilans de grands groupes comme Total, LVMH ou CMA-CGM.
Une France embrasée
Colères, retraites… et poubelles non ramassées pour cause de grèves des éboueurs dans Paris et dans les grandes villes. Emmanuel Macron a, de facto, embrasé une France qui ne demande que ça, car elle ne se croit grande que dans les révolutions. C'est triste. C'est injuste pour cette réforme, plus sociale et moins douloureuse que celles intervenues dans la plupart des pays européens.
Tout, dans la méthode Macron, se révèle aujourd'hui faux. Mauvais calendrier. Mauvais casting. Mauvaise élaboration du projet de loi (que le Conseil constitutionnel pourrait d'ailleurs retoquer). Mauvais alliés, puisqu'une partie des députés de droite, apeurés par leurs électeurs, ont fini par lâcher prise.
Stabilité gouvernementale, mais...
L'instrument du 49.3 existe pour passer en force et pour assurer la stabilité gouvernementale. Soit. Tant mieux même, dans un pays aussi prompt aux convulsions. Le dépôt d'une motion de censure va suivre, et l'on verra si le gouvernement survit. Mais cet article-massue est ici utilisé dans la pire des situations: pour faire taire d'immenses frustrations et d'immenses demandes de justice sociale. Il fracture encore plus une France erratique, laquelle inquiète de ce fait ses partenaires les plus proches. Il mine un pays qui a d'abord besoin de retrouver confiance en lui, en ses élus et en ses gouvernants, au lieu de voir son Assemblée nationale cernée par les troupes syndicales.
Les colères, les retraites et les poubelles forment aujourd'hui en France, à force de provocations et de chantage, un mur d'incompréhensions mutuelles. Un mur insurmontable pour ce président de 45 ans, dont le second quinquennat a désormais des allures de calvaire.