Le conte de fées européen a commencé par une erreur. Parti explorer de nouvelles routes maritimes, Christophe Colomb accoste au Bahamas en 1492, alors même qu'il croit arriver au sud du Japon. Cette découverte marque ouvre un nouveau chapitre dans l'histoire de l'humanité. «L'Europe était sur le point de devenir le centre du monde», écrit l'historien britannique Peter Frankopan.
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Entre l'empire mondial espagnol, la Renaissance, le réseau commercial néerlandais, l'empire britannique ou encore la révolution industrielle, les siècles suivants ont tourné autour de ce centre qu'était le Vieux Continent. L'Europe a imposé sa suprématie tant sur le plan politique, qu'économique et sur celui de la culture.
Ce n'est qu'après deux guerres mondiales, la guerre froide et l'émergence de la superpuissance étasunienne que le Vieux Continent a commencé à perdre de l'importance. Le centre de gravité de l'économie mondiale s'est déplacé vers l'Asie et l'Amérique du Nord.
Et c'est bien aux Etats-Unis qu'un événement historique s'est produit cette semaine qui pourrait bien sceller la tragédie européenne: la réélection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Il s'agit peut-être même du basculement décisif de cette évolution.
L'isolement plutôt que la coopération
Désormais alliés à la Russie, les anciens états non-alignés, menés par la Chine et le Brésil, gagnent du terrain partout dans le monde. Alors qu'il sera retour à la Maison-Blanche, Donald Trump n'est pas un homme d'alliances internationales. Au contraire, il martèle ses électeurs avec le slogan «America First».
En Europe, la situation est tout autre. L'Union européenne est en crise. Au sein même de ses frontières, des mouvements politiques tentent de scier la légitimité de Bruxelles. De l'extérieur, la pression migratoire en provenance du Proche-Orient et de l'Afrique du Nord augmente.
Un porte-étendard atterré
Et l'Allemagne, la nation la plus importante de l'Union? Son moteur s'enraye. L'industrie automobile est en crise, les géants allemands ont raté le coche face à la concurrence chinoise. Les annonces d'avertissements sur bénéfices et de licenciements se multiplient. Et ce n'est pas la politique protectionniste de Donald Trump, avec ses droits de douane punitif, qui va venir arranger les choses.
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Sur la scène politique, la coalition au pouvoir a éclaté mercredi. Le chancelier socialiste Olaf Scholz a renvoyé le ministre des Finances libéral Christian Lindner. Olaf Scholz veut repousser les nouvelles élections demandées jusqu'en 2025 et son vice-chancelier écologiste veut lui disputer le poste. Alors que l'axe Berlin-Paris n'est pas en grande forme, Emmanuel Macron a appelé l'Europe à faire preuve de «force et d'indépendance» lors du sommet de Budapest.
Dans sa lettre de démission, l'actuel ministre de la Justice du Parti libéral-démocrate allemand, Marco Buschmann craint l'arrivée d'une logique de jeu à somme nul où l'on ne peut gagner quelque chose «qu'en le prenant aux autres». Au sujet de l'Amérique, les mots de Marco Buschmann ne sont guère plus réjouissants: «Nous sommes menacés par une période de loups, dans laquelle la locution reprise par Hobbes 'homo homini lupus' (ndlr: l'homme est un loup pour l'homme) s'appliquera de plus en plus.»
Même les Latinos ont voté Trump
Comment Donald Trump a-t-il instauré ce climat de crainte parmi les gouvernements européens? Celui qui a été reconnu coupable de 34 chefs d'accusations en mai dernier, qui a lancé l'assaut au Capitole et qui a insulté personnellement la moitié de l'Amérique, ne compte plus les polémiques à son encontre.
Pourtant, l'homme d'affaires et politicien américain n'est pas uniquement soutenu par des hommes blancs en colère, mais par une large alliance multiethnique et multiculturelle. L'exemple le plus frappant: 47% des hommes latinos ayant le droit de vote ont voté pour lui, malgré sa ligne dure en matière d'immigration et ses propos méprisants à l'égard des Mexicains.
«Ce n'est pas le moment de faire des expériences. Et une femme noire présidente serait une expérience», explique Josh, 23 ans, d'origine mexicaine. Et d'ajouter: «Aucun président étranger ne la prendrait au sérieux.»
Comme beaucoup, Josh voit en Trump un espoir de relancer l'économie. Dans son podcast «The is Politics US», Anthony Scaramucci, ancien chef de la communication de la Maison-Blanche sous Trump explique: «Avec sa rhétorique dure sur les migrants qui affluent, Trump donne aux Latinos vivant aux Etats-Unis le sentiment qu'ils font partie d'intégrante de la communauté étasunienne.»
Un profil controversé, mais qui plait
Trump a aussi amélioré ses résultats parmi la communauté afro-américaine. 16% d'entre eux ont voté pour lui plutôt que pour Kamala Harris. Un sondage du «New York Times» montre que de nombreux jeunes hommes noirs apprécient le fait que Donald Trump soit un criminel condamné.
Enfin, la richesse de Trump, son attitude agressive et même sa liaison avec une actrice pornographique, qu'il a niée, suscitent l'admiration des électeurs masculins. L'Amérique n'a jamais été un pays de jaloux. Aux Etats-Unis, il n'est pas regardé avec méfiance, mais célébré pour avoir réussi ce que d'autres rêvent d'accomplir un jour.
En ces temps de forte hausse des prix des denrées alimentaires, d'escalade des guerres et d'incertitude massive quant aux conséquences des nouvelles technologies comme l'intelligence artificielle, nombreux sont ceux qui aspirent au prétendu bon vieux temps. Trump l'a compris, mais pas son adversaire Kamala Harris.
Quel impact pour la Suisse?
Pourtant, le retour des hommes forts signifie aussi le retour de l'imprévisibilité. Personne ne sait quel rôle jouera Elon Musk, à la Maison-Blanche. Il aurait été présent lors d'une conversation téléphonique entre Trump et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, mais son rôle exact reste flou. La perspective économique est tout aussi incertaine. Le monde est-il menacé par une guerre commerciale ou les droits de douane annoncés par Trump ne sont-ils que du bluff?
Les dirigeants économiques suisses ne sont pas surpris du résultat des élections. «Les Américains ont voté Trump parce qu'ils pensent qu'ils auront plus dans leur porte-monnaie», déclare le patron d'une entreprise industrielle ayant des sites de production aux Etats-Unis. La directrice d'un grand groupe pense que le nouveau président est une chance pour l'économie suisse.
Le changement global se fait sentir dans la Confédération – l'Amérique est devenue un marché de plus en plus important pour les produits «made in Switzerland». L'industrie électrique et des machines ont augmenté leur part d'exportation de 11% en 2014 à plus de 14%. Les États-Unis sont devenus le deuxième pays d'exportation le plus important derrière l'Allemagne.
Pour la branche chimique et pharmaceutique, ce pays est désormais le principal débouché avec une part d'exportation de 20%. De grands groupes comme Novartis, Roche ou Lonza ont livré aux Etats-Unis des produits chimiques et des médicaments d'une valeur d'environ 25 milliards de francs depuis leurs usines en Argovie et en Valais.
Comment les choses vont-elles évoluer au cours des quatre prochaines années? Matthias Leuenberger, directeur national de Novartis Suisse et président de l'association professionnelle Scienceindustries, craint que les tensions politiques augmentent à nouveau et que le monde «dérive en deux ou trois pôles».
La Suisse pourra-t-elle rester neutre?
La Suisse, qui entretient de bonnes relations avec la Chine grâce à un accord de libre-échange, évolue, elle aussi, dans ce champ de tensions. «Mais si les Etats-Unis et la Chine se combattent mutuellement avec des mesures de protection, nous devons nous demander si nous pouvons encore tenir notre place ou si nous devons prendre parti», a déclaré Matthias Leuenberger.
Au cas où le nouveau gouvernement américain mettrait en œuvre ses promesses électorales, Swissmem, l'association de l'industrie tech suisse, voit de gros inconvénients: «Des droits de douane plus élevés renchériraient sensiblement les produits suisses sur le marché américain», explique Noé Blancpain, responsable de la communication et des affaires publiques chez Swissmem. Les exportateurs suisses perdraient en compétitivité par rapport aux producteurs américains. Les entreprises suisses qui produisent aux États-Unis pourraient en revanche en profiter. «Mais cela se ferait également au détriment de la place industrielle suisse», précise Noé Blancpain.
Moins de règles pour les banques
Donald Trump pourrait être une aubaine évidente pour la place financière. Mercredi, lorsque la victoire électorale a été confirmée, les actions UBS ont également pris leur envol et ont gagné plus de 5%, tandis que les titres des grandes banques américaines ont même parfois atteint un taux à deux chiffres. Le feu d'artifice des cours n'est que partiellement lié aux baisses d'impôts annoncées, qui se chiffrent en milliards.
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Si les baisses d'impôts annoncés ont joué un rôle, la raison principale de l'explosion de ces actions réside dans la perspective d'un assouplissement de la réglementation bancaire. Aux États-Unis, des résistances apparaissent contre l'introduction de règles internationales plus strictes en matière de fonds propres. Si Trump vole au secours des géants de Wall Street, cela aura également des conséquences pour UBS.
La grande banque peut s'attendre à ne pas être aussi durement touchée en Suisse. L'argument selon lequel UBS doit être sur un pied d'égalité avec la concurrence américaine devrait prendre du poids et faciliter l'affaiblissement de nouvelles règles sur les grandes banques en Suisse. Le plan de mesures du Conseil fédéral prévoit entre autres que la grande banque doive mettre nettement plus de fonds propres à disposition de ses filiales.
Avec l'élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, le renforcement du régime «too big to fail» en Suisse se présente sous un jour nouveau. On ne sait pas encore si ce tournant de la politique mondiale aura des répercussions positives ou négatives sur la Suisse.