Vous avez le moral à zéro? Vous n’en pouvez plus des images incessantes de civils massacrés sous les bombes et les missiles en Ukraine? L’inflation ronge votre pouvoir d’achat? Tout cela ne va pas disparaître. Le monde tel qu’il va est en mauvais état, et la littérature est le reflet de nos angoisses. Mais il existe aussi des écrivains qui racontent un autre monde. Un monde qui ne veut pas se laisser broyer par les angoisses légitimes engendrées par le climat déréglé, les nationalismes exacerbés et, tout simplement, la folie humaine.
Notre monde s’autodétruit
Ce remède à notre monde qui s’autodétruit se retrouve chaque année, pour le week-end de la Pentecôte, au festival «Étonnants voyageurs» à Saint-Malo (Bretagne). Il se trouve dans les livres racontés ici par leurs auteurs, comme le magnifique «Guide» (ed. Actes Sud) de Peter Heller, un auteur américain que nous avions rencontré chez lui, dans le Colorado, en octobre 2022. Peter Heller raconte l’histoire de Jack, un pécheur à la mouche qui fuit la réalité morose de l’Amérique. Tout y est. Les paysages, le choix de regarder son pays autrement, la volonté d’exister malgré tout. Et comment ne pas être impressionné par «La solitude des Tempêtes», le roman d’Eric Nguyen (Ed. Albin Michel) qui dit le nouveau monde découvert par une famille de boat-people vietnamiens. Ses héros font penser à tous ces Ukrainiens qui, sur la route de l’exode, ont choisi de ne pas renoncer. Dites, et si on oubliait un peu notre confort et notre déprime pour regarder tout ce qui, autour de nous, peut nous inciter à voir loin, devant, avec espoir?
Vous me trouvez trop optimiste? Ici, à Saint-Malo, le modèle de tous ces gens de lettres, parmi lesquels les écrivains francophones les plus fameux du moment, est un auteur genevois, disparu le 17 février 1998: Nicolas Bouvier. Un Suisse que tous les auteurs conviés à «Étonnants voyageurs» vénèrent. La preuve? François-Henri Désérable, jeune écrivain français, a choisi de rendre hommage dans le titre à l’auteur de «L’usage du monde». Son livre se nomme «L’usure du monde» (Ed. Gallimard). Il raconte son séjour en Iran, contre tous les interdits, y compris celui de l’ambassade de France qui ne prise guère les voyageurs solitaires au pays des Mollahs. Preuve de cette affinité littéraire helvète: c’est à lui que revient, cette année, le prix Nicolas Bouvier décerné à Saint-Malo. Dommage que peu d’écrivains et auteurs suisses soient présents cette année dans la cité corsaire…
Gardez l’espoir
Rien de tel qu’une marche, le long de la plage, avec Alexis Jenni, prix Goncourt 2011 pour «L’art français de la guerre». Cette année, cet écrivain a choisi de se plonger dans les arcanes du ministère français des Affaires étrangères pour en raconter les petites et grandes histoires. Ses «Miscellanées du Quai d’Orsay» (Ed. du Sonneur) sont un vrai régal. Saviez-vous que l’on en apprend plus sur la diplomatie de la République en parlant aux cuisiniers des Ambassadeurs qu’aux diplomates eux-mêmes? Saviez-vous que les archives contiennent des kilomètres de télégrammes diplomatiques jamais lus, descriptions formidables des pays, des changements de régime, de la roue de l’histoire qui tourne?
Gardez l’espoir. Les livres vous racontent le monde que vous ne voyez pas, caché derrière l’actualité instantanée, les images des télévisions, le déferlement des réseaux sociaux. Ceux qui les écrivent, à Saint-Malo, sont un pansement sur nos cicatrices. Ils peuvent faire mal. Ils nous ouvrent les yeux sur des réalités souvent difficiles. Mais ils sont remplis de ces surprises que Nicolas Bouvier résumait en une phrase: «On croit qu’on fait un voyage, mais bientôt, c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. Toutes les manières de voir le monde sont bonnes pourvu qu’on en revienne.»
Festival «Étonnants Voyageurs», jusqu’au lundi 29 mai.
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