Vous savez, bien sûr, ce que signifie la «décivilisation»? A moins, peut-être, que vous ayez «l’outrecuidance» de ne pas partager la pensée du président de la République. Dans ce cas, un conseil «ripolinez» votre jugement et réfléchissez à un tour de passe «genre Gérard Majax». Bienvenue dans la France des mots et des formules choc d’Emmanuel Macron. A 45 ans, le plus jeune président français de l’histoire est aussi, parfois, le plus difficile à saisir. Ce qui explique sans doute une bonne partie de ses mésaventures avec ses concitoyens.
Dernière polémique en date
La dernière polémique en date est celle engendrée par l’utilisation du mot «décivilisation». Accrochez-vous! Pour les uns, ce terme destiné à signifier les difficultés à «faire société» dans une France diverse et fracturée vient de l’écrivain Renaud Camus, théoricien du très controversé «grand remplacement» de la population française par les immigrés.
Pour les autres, plus intellos, il s’agit d’une expression empruntée au philosophe allemand Norbert Elias qui parle de «processus (ou procès) de civilisation». Le contexte, en tout cas, signifie bien que quelque chose se délite dans la République. C’est au Conseil des ministres de mercredi, devant son gouvernement, que le Chef de l’Etat a assimilé les violences dans la société à un «processus de décivilisation». «Il faut être intraitable sur le fond» a-t-il ajouté, après la mort de trois policiers à Roubaix (nord) dans un accident provoqué par un chauffard alcoolisé.
Emmanuel Macron est un intellectuel. Il a deux fois tenté d’intégrer la prestigieuse Ecole normale supérieure qui, en France, reste considérée comme le temple de la connaissance. Puis, il est sorti dans les premiers de l’Ecole nationale d’administration. Dès qu’il le peut, ce président lettré fait référence à «l’esprit des lumières» qui soufflait sur la France et l’Europe au XVIIIe siècle, avant la révolution de 1789.
Il aime aussi la complexité. Comme lorsqu’il a utilisé, à la télévision, le mot «prétérition», une figure de style qui consiste à dire qu’on ne parlera pas d’une chose, dont on parle quand même. Vous me suivez? Macron dit qu’il ne va pas le dire puis il le dit quand même. Pas étonnant que le «en même temps» soit la devise de cet ancien élève surdoué du lycée jésuite d’Amiens (Picardie), puis du prestigieux lycée Henri-IV à Paris.
Le registre intello
On sait aussi que ce président aime passer du registre hyper intello au vocabulaire populaire. C’est le cas avec l’expression «pognon de dingue» qu’il utilisa en 2018 pour désigner l’accumulation d’aides sociales en France.
Mais il y a aussi les moments latins. «In petto», «captatio benevolentiae»… A chaque fois, l’effet recherché est d’impressionner ou de désarçonner ses interlocuteurs. Face à Marine le Pen, sa référence au magicien star des années 80 Gérard Majax avait plongé les journalistes présents dans une grande perplexité.
L’élève de Paul Ricœur
Emmanuel Macron est l’élève d’un philosophe, Paul Ricœur, qui a consacré toute sa carrière à l’étude du «sujet». Sa photo officielle, présente dans toutes les mairies, préfectures et ambassades françaises, le montre avec des livres derrière lui, posés sur la table à côté de ses téléphones portables. D’abord, les «mémoires» du Général de Gaulle. Puis, «les nourritures terrestres» d’André Gide, et «le Rouge et le noir» de Stendhal.
La culture de ce président féru de start-up et de culture numérique est classique. L’entendre parler de «décivilisation» incite donc à penser qu’il vit mal cette époque de raccourcis, tout en étant un chaud partisan de la numérisation. Vous voulez vous entraîner à parler le «Macron»? Commencez par vous demander si vous êtes assez «civilisé». En clair: si vous avez le niveau…