Vous déprimez devant la tragédie du monde? Vous avez tort. Car le monde est beau. Il est fertile. Il est vaste. Il ne demande qu’à être découvert, revisité et apprivoisé. L’écrivain voyageur suisse Nicolas Bouvier l’avait compris. Son «Usage du monde», publié pour la première fois en 1963 (réédité par La Découverte) demeure une référence. Or un festival lui rend chaque année hommage, loin des rives du Lac Léman que l’auteur genevois arpenta jusqu’à son décès, en 1998. «Etonnants Voyageurs», dans la cité corsaire de Saint-Malo, est une preuve que les mots peuvent (encore) lutter contre les maux de la planète. Le prix Nicolas Bouvier y récompense chaque année un récit de voyage capable de nous faire découvrir et comprendre la complexité du monde qui nous entoure. Le lauréat 2022 est l'écrivain Emilio Sanchez Mediavilla pour son roman «Une datcha dans le Golfe» (Ed. Métailié)
L’ode à la littérature monde
A Saint-Malo, pas de littérature qui ne soit pas internationale, métissée, rythmée par la musique lancinante et terrible de l’exil. Pas d’auteurs terrés dans le huis clos des sociétés européennes, obsédés par leur nombril littéraire. Nicolas Bouvier, longtemps méconnu en Suisse, dut en partie son retour sur l’avant-scène des lettres au fondateur «d’Etonnants voyageurs», Michel Le Bris, disparu durant la pandémie de Covid 19, en janvier 2021.
Quel corsaire des lettres que ce breton passionné de «littérature monde», convaincu que les livres sont au final les seules passerelles capables de faire régner la paix, même si certains peuvent attiser les guerres. Le Bris, le breton granitique, adorait Bouvier, l’arpenteur genevois de la planète. «Etonnants Voyageurs», de retour à Saint-Malo après deux ans d’interruption dus au Covid, est un rappel à leur réalité: l’univers qui nous entoure, même lorsque la guerre gronde, est riche d’une poésie qu’il suffit d’écouter pour se réconforter.
La souffrance de l’exil
Vous déprimez face aux images de la guerre en Ukraine? Vous redoutez les ravages à venir d’une prochaine crise alimentaire mondiale? Vous voyez dans les réfugiés jetés sur les routes d’Asie, du Moyen Orient ou d’Afrique, une menace existentielle pour nos confortables sociétés européennes? L’air de Saint-Malo, cité bretonne bâtie pour le grand large, vous fera le plus grand bien.
«L’exilé est une souffrance qui se double d’une histoire racontait, ce samedi 4 juin devant plus de 300 personnes, le jeune romancier sénégalais Mohamed Bougar Sarr, prix Goncourt 2022. Chacun se bâtit cette histoire. L’exil n’est pas un fait et encore moins un ramassis de chiffres. Ce sont des vies qui s’offrent à nous.»
La métaphore du Pingouin
Dans «Le Pingouin» (Ed. Liana Levi), l’écrivain ukrainien Andrei Kourkov, présent à Saint-Malo, raconte l’histoire d’un journaliste qui apprivoise un volatile abandonné dans un zoo de Kiev lui aussi oublié. Deux êtres rendus vulnérables par le dépérissement du monde qui les entoure. Le pingouin – en fait, un manchot royal – est l’otage d’une humanité qui ne comprend plus rien, gouvernée par la seule loi de l’argent et de la corruption.
Son hôte, écrivaillon chargé de rédiger des nécrologies de personnalités, met sa plume au service de l’absurde. Tout est dit. L’animal n’est pas mieux loti que l’homme. Et vice versa. Lorsque l’humanité bascule, tout titube avec elle: nos sociétés, notre environnement, et tout ce qui fait que le monde tient debout.
Faire tenir le monde debout
«Etonnants Voyageurs» fait partie de ces rendez-vous qui font tenir le monde debout. Parce que les auteurs qui s’y rendent ont d’abord à cœur de partager leurs émotions et de décoder la complexité de nos si modernes sociétés. On s’en voudrait de ne pas vouer une déception: un public souvent âgé, avec une forte dominante d’enseignants et de professions intellectuelles.
Soit. La Suisse et ses festivals du livre connaissent aussi cette réalité, des deux côtés de la Sarine. Les écrivains sont le remède de nos angoisses, tant ils savent les coucher sur le papier pour nous les rendre compréhensibles et donc moins redoutables. Nicolas Bouvier, l’Helvète voyageur, l’avait dit d’une phrase simple mais si vraie: «Toutes les manières de voir le monde sont bonnes pourvu qu’on en revienne».
Chaque année durant le week-end de la Pentecôte, «Étonnants Voyageurs» revient à Saint Malo (France). Jusqu’au lundi 6 juin.
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