Marc-Olivier Buffat est l'homme fort du Parti libéral-radical (PLR) vaudois. Jamais avare d'un bon mot politique, le président de la formation bourgeoise est d'ordinaire beaucoup plus discret au moment d'aborder sa vie privée et ses valeurs. Mais pas dans cette grande interview accordée à Blick, où il dévoile qu'il a failli vaciller il y a quelques mois, au moment de lancer la campagne pour les élections cantonales du 20 mars.
Celui qui est aussi député au Grand Conseil a dû gérer plusieurs épisodes houleux rapprochés. Au point qu'il aurait pu reprendre à son compte l'élégante formule de Jacques Chirac: «Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille.»
Aujourd'hui, le ciel semble s'être éclairci. Les trois PLR Christelle Luisier, Isabelle Moret et Frédéric Borloz marchent en rangs serrés avec le conseiller national de l'Union démocratique du centre Michaël Buffat et la centriste Valérie Dittli. De quoi légitimement espérer un basculement de majorité à droite au Conseil d'État? La discussion a pris des détours inattendus, via les bombes en Ukraine, l'extrême droite française et les fantomatiques éoliennes vaudoises.
Comment allez-vous, Monsieur Buffat? Il y a quelques mois, au moment où la campagne de votre parti commençait à se mettre en place, il paraît que vous avez été atteint dans votre santé. C’est de l’histoire ancienne?
C’était une surprise. Je me sentais en pleine forme, comme tous les malades qui s’ignorent. Après un contrôle mené sur mon cœur, il a été remarqué que j’avais une artère coronaire bouchée. On a rapidement pu la déboucher. Heureusement pour moi, il est plus facile de déboucher une artère humaine que routière ou ferroviaire!
Vous avez eu peur?
(Il réfléchit) À 61 ans, ça vous marque. Vous vous rendez compte que vous avez l’âge de vos artères. Mais c’est une bonne leçon de philosophie. Cela vous remet les pieds sur terre, vous fait prendre conscience qu’il faut parfois tirer le frein à main. Je suis revenu à certains fondamentaux. J’ai eu beaucoup de chance car j’aurais pu faire un infarctus. Vive la médecine préventive! Faites des contrôles, nous ne sommes pas des surhommes!
Au moment où vous deviez prendre soin de vous, vous aviez devant vous un marathon. En politique, il n’y a probablement rien de plus éreintant qu’une campagne. Avez-vous hésité à vous retirer pour vous préserver?
C’était la grande question. J’ai eu des discussions en famille, avec mes médecins, aussi… Et, finalement, je crois que j’étais globalement en très bonne santé hormis ce problème, qui a aussi des origines génétiques. Je me voyais mal quitter le navire en pleine mer. J’avais à cœur de poursuivre le projet de renouvellement que j’avais pour le parti, pour la mise en place de la campagne. J’ai pu compter sur mes vice-présidents, sur l’appareil du parti. Ils ont fait preuve de beaucoup de compréhension. Et je me suis rapidement remis dans le bain. Je suis reparti pour une bonne trentaine d’années!
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Vous incarnez la droite libérale et humaniste. À quoi ressemble votre société idéale, celle pour laquelle vous vous battez?
Je pense qu’il est de plus en plus important de replacer l’humain au milieu de la scène. De tout temps, qu’importent les pressions exercées, l’humain résiste. On l’a vu pendant la pandémie. Les gens ont pris conscience de l’importance de choses 'simples'. Comme les droits constitutionnels, qui sont — pardonnez-moi de le dire — très libéraux-radicaux.
De quoi parlez-vous concrètement?
De la liberté de réunion, de la liberté d’association ou encore de la liberté du commerce et de l’industrie. Pouvoir ouvrir son café-restaurant, pouvoir exploiter son entreprise sans contrainte… Mais tout à coup, vous êtes face à une pandémie et ses restrictions. On se rend compte que même des droits qui nous paraissaient acquis sont en réalité fragiles. Rien n’est jamais acquis, y compris la paix. L’invasion de l’Ukraine par la Russie jeudi matin vient de nous le rappeler avec fracas.
En parlant de la Russie, vous estimez que la démocratie régresse dans le monde?
Oui, absolument. Et quasiment partout. Le simple fait de pouvoir s’exprimer librement est menacé. Le fait d’avoir des médias — soutenus par l’État ou non — qui peuvent faire leur travail de façon indépendante aussi. Il y a encore deux ans, tous ces risques n’existaient pas dans nos têtes. Aujourd’hui, on réalise douloureusement qu’il sera peut-être nécessaire de se battre pour conserver ces valeurs. Qu’il peut y avoir des guerres, qu’il peut y avoir des pandémies et qu’on doit trouver la force de résister collectivement face à l’adversité. Je pense d’ailleurs que ce n’est pas un hasard si j’ai eu un souci de santé. Nous nous trouvons toutes et tous dans une période de doute, de grands chamboulements. Ce n'est facile pour personne.
Face à ces enjeux, être de droite aujourd’hui, ça veut dire quoi?
Ça veut dire défendre les valeurs fondamentales que sont l’humanisme et la liberté. Prenons par exemple la transition énergétique. Je fais partie de ceux qui estiment qu’elle ne pourra se faire qu’avec l’appui de la population. L’idée — souvent des taxes dans notre pays — ne doit pas venir du haut de la pyramide et être imposée au bas. C’est en ayant des comportements responsables que nous y arriverons. C’est pourquoi nous proposons notamment une baisse de la fiscalité. Si les gens ont un peu plus d’argent à disposition, ils pourront faire des achats responsables.
Est-ce vraiment le moment pour une baisse d'impôts? La transition énergétique va coûter cher…
Oui, c’est vrai. On le voit aujourd’hui avec la pénurie d’énergie. Nous n’avons pas réussi à remplacer le nucléaire. L’éolien est en panne, le photovoltaïque est problématique, les barrages sont onéreux et suscitent des oppositions. L’énergie nucléaire nouvelle génération, sans déchet, n’existe pas encore et la géothermie a connu un gros coup d’arrêt. Le black-out est un risque réel.
Quelles solutions s’offrent à nous, alors?
À mon avis, nous sommes obligés de travailler de façon coordonnée et franche. L’État doit soutenir et investir, certes, mais rien ne se fera sans le peuple. Regardez l’échec de la loi CO2. Les gens n’aiment pas être bridés. Il faut amener intelligemment le cadre nécessaire pour leur faire prendre conscience qu’ils doivent adopter des comportements différents. Mais nous ne pourrons rien imposer. C’est un peu le fil rouge du Parti libéral-radical, cette droite qui progresse et qui amène du concret dans le débat.
On a pourtant l’impression que votre droite perd du terrain partout en Europe. L’extrême-droite, elle, monte en puissance. Comme en France, par exemple. Votre voix modérée, est-elle encore audible?
Je ne pense pas qu'elle soit modérée. C'est une voix qui place l’humain au centre de la préoccupation politique. Qu’y a-t-il de plus noble? Ceci dit, vous avez cependant raison, rien n’est gagné. Nous devons composer avec des extrémistes de droite mais aussi avec des conservateurs dogmatiques de gauche. Il y a désormais la guerre en Europe, l’urgence climatique, la montée du nationalisme, des dictateurs dignes du début du XXe siècle… Ce sont autant de signaux qui montrent qu’il faut arrêter de tergiverser.
C’est-à-dire?
Restons sur l'exemple du débat énergétique, primordial pour la Suisse. À un moment, il faudra bien faire le choix de l’humain versus la nature. Quand on entend des candidats dire qu’ils sont pour les barrages ou les éoliennes mais qu’il ne faut pas que ces constructions portent atteinte au paysage ou à la biodiversité, ils sont en réalité contre les barrages et les éoliennes. Et donc prêts à faire l’impasse sur la transition énergétique, urgence climatique ou non. C’est cela, la réalité. Avec ce positionnement, qui nous fait perdre beaucoup de temps, on court à la catastrophe.
Revenons en terres vaudoises. Votre parti vit un moment charnière. Remplacer deux conseillers d’État de la trempe de Pascal Broulis et Philippe Leuba n’est pas chose aisée…
Il faut avant tout les remercier pour leur travail. Ces 15-20 dernières années, ils ont beaucoup apporté au canton. Que ce soit dans le monde de l’économie, du sport ou des finances. Notre réalité cantonale relativement agréable ne serait pas la même sans leur action.
Avant la désignation de vos candidats au gouvernement, on a beaucoup entendu une partie de vos membres qui demandait du sang neuf. Pensez-vous que cette doléance vous concerne vous aussi?
(Rires) J’ai l’outrecuidance de penser que non. Pour une raison simple: j’ai toujours dit que j’étais au service de mon parti. Rien d’autre. Je n’ai jamais eu le sentiment de m’imposer de quelque manière que ce soit. Mon statut de franc-tireur — certes un peu typé avocat lausannois mais avec des racines bien vaudoises — a été bien accepté. Je pense avoir toujours réussi à rassembler. Cela dit, je fais partie d'une obsolescence programmée et je l’ai déjà dit à mon parti. Il faudra donc changer la pièce prochainement.
Prochainement? Cela veut dire que vous n’irez pas jusqu’au bout de votre mandat qui se termine courant 2023?
Encore une fois, quitter le bateau, ce n’est pas du tout le style de la maison. Je veux essayer de mettre en place une équipe capable de me succéder, qui respecte aussi la ligne que j’ai essayé de donner au parti. Après plusieurs années de présidence, je crois que la chose la plus importante est la cohésion. Personne ne s’intéresse à un parti divisé. Si vous montrez ce genre de signes de faiblesse, vous compliquez les choses.
À ce propos, on sent votre famille politique tiraillée entre deux franges, notamment au Grand Conseil. Les conservateurs d'un côté, qui se contentent de réagir, et de l'autre vos représentants, qui voudraient devenir une vraie force de proposition face aux enjeux actuels. Arrivez-vous encore à les réunir?
C’est un travail de tous les instants. Mais il n’y a pas que les franges dont vous parlez. Notre canton est divers. Et c’est peut-être pour cela que le PLR lui sied si bien. Le député qui vient de la Vallée de Joux n’est pas le même que celui qui vient de Château-d’Oex ou de Lausanne. Ils auront des sensibilités différentes. Mais c’est ce qui fait l’intérêt de notre parti. Nous pouvons discuter de tout, tout le temps et avec tout le monde. Personnellement, j’aurais en tout cas eu de la peine à être membre d’une formation monolithique. Par ailleurs, sans notre diversité, nous n’aurions pas autant d’idées et de propositions.
Pourtant, la droite vaudoise se retrouve à devoir courir derrière les thèmes de campagne imposés par la gauche: le congé parental, le colline du Mormont, les transports publics gratuits, l’orientation du futur Procureur général…
Nous avons démontré que nous pouvons être dans l’action. Nous avons par exemple lancé une initiative pour baisser les impôts. Nous existons bel et bien dans le débat public. Mais il faut toujours faire très attention à l’actualité. Certains arrivent peut-être mieux que nous à rebondir, à faire vibrer la corde populiste et démagogique. Tant mieux pour eux. Nous, nous avons fait le choix de rester dans une espèce de continuité politique, de ne pas faire d’effet de manche.
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Pensez-vous avoir fait tout juste dans ce marathon où la droite espère retrouver sa majorité au Conseil d’État?
(Il réfléchit) On peut toujours se dire qu’on aurait pu faire mieux à tel ou tel moment. Mais je pense qu’il n’y a rien de pire que de mal terminer sa course. J’estime que nos deux ministres sortants achèvent leur mandat avec des bilans dont nous pouvons être fiers. Honnêtement, je trouve que cette issue-là est préférable à la législature de trop.
C'était un vrai risque?
Il y a quelques mois, j’ai ressenti une forme de lassitude au sein de mon parti. Dans l’ensemble des strates, il y avait des gens qui disaient que Pascal Broulis et Philippe Leuba devaient laisser la place à d’autres personnes. Je les remercie tous les deux d’avoir compris cette attente. Cela va permettre une recomposition du Conseil d’État, un nouvel équilibre. Quand les pièces changent, tout change. Je compte beaucoup maintenant sur les candidats de l’Alliance vaudoise pour apporter une nouvelle énergie. Y compris au sein de notre parti.
Que doit incarner le PLR de demain?
Pour être un parti d’avenir, nous devons être porteurs d’espoir. Venir avec un vrai projet de cohésion nationale. Nous devons parler aux jeunes, qui ont compris qu’ils n’auront pas les mêmes retraites que leurs aînés. Nous devons écouter les inquiétudes, les questionnements, les doutes. Et y répondre. Le PLR doit rester un pilier de stabilité. Nous devons permettre à la Suisse de continuer à être un petit paradis qui, avec sa diversité, sa cohésion, son travail et son engagement, est un îlot de sécurité et de bien-vivre. Cela devrait d'ailleurs être le combat de tout le monde.