Jessica Jaccoud et Philippe Nantermod montent sur le ring. Enfin… Il serait plus juste d’écrire: «acceptent de rejoindre un groupe WhatsApp». À l’approche des élections fédérales de cet automne: les deux chroniqueurs politiques de Blick ont accepté de débattre — cinq messages chacun — sur le thème du moment: l’augmentation des primes maladie et les coûts de la santé.
D’un côté, la députée socialiste au Grand Conseil vaudois et candidate au Conseil national défend notamment un modèle qui lierait primes d’assurance maladie et revenu. De l’autre, le conseiller national libéral-radical valaisan sortant et candidat au Conseil des États lui oppose le projet d’assurance maladie obligatoire low cost portée par son parti.
C'est l'heure! Lançons les hostilités avant de disparaître pour mieux laisser les deux cadors s'écharper. Jessica Jaccoud, cela fait de nombreuses années que la Santé est en main socialiste et les primes n’ont jamais cessé d’augmenter. Il serait peut-être temps de laisser la place à d’autres, non?
Ça, c’est la critique facile. Un rappel utile:
- M. Alain Berset est un ministre minoritaire dans un Conseil fédéral à majorité de droite.
- Toutes les réformes du système de santé qu’il a proposé ont été refusées par un parlement à majorité de droite également. J’en veux pour preuve le refus d’introduire un prix de référence des médicaments génériques.
- Le système actuel donne finalement peu de moyens de pilotage contraignant au gouvernement qui reste dépendant d’acteurs comme les caisses maladie.
Par contre, j’aimerais bien savoir qu’est-ce que la droite, respectivement le Parti libéral-radical (PLR) a fait pour réformer le système? A part proposer une assurance low cost dont on ne connaît aucun détail à deux mois des élections?
Je n’aime pas tirer sur l’ambulance. Mais les ministres cantonaux qui pilotent le système n’ont rien fait pour réduire les coûts. Au contraire: ils ont augmenté encore les dépenses, qu’il s’agisse des salaires ou des infrastructures. Sur le plan fédéral, M. Alain Berset a étendu le catalogue des soins (par exemple les psychothérapies) et refusé toutes les propositions visant à introduire une vraie concurrence sur les prix, par exemple avec les importations parallèles de médicaments.
M. Berset se félicite d’avoir maintenu le catalogue de prestations et les franchises. Bravo: on voit le résultat. Notre assurance low cost a été explicitée en détail. Et le but premier: mettre en concurrence les prestataires de soins sur leurs prix. Et ne rembourser que ceux qui s’alignent.
Je comprends la frustration de M. Nantermod. Surtout quand on voit le ministre genevois de la santé ex-PLR, M. Pierre Maudet, soutenir le projet de caisse unique et le ministre jurassien PLR de la santé dire publiquement qu’il ne soutient pas le modèle low cost. Sur le fond, la mise en concurrence des acteurs ne fonctionne pas, elle n’a donné aucun résultat probant depuis la création de la LAMal. Maintenir un catalogue de prestation unique pour toutes et tous et répondant aux besoins de soins primaires de la population, c’est précisément le mandat d’une assurance sociale de santé.
Votre modèle, que je conteste avoir vu explicité en détail (on ne sait toujours pas dans quoi vous voulez couper), créerait surtout un fossé entre les assurés qui ont les moyens et ceux qui ne l’ont pas de se maintenir dans le système actuel. Votre proposition en mode made in USA ne fait rêver personne, même dans vos propres rangs, sinon vous l’auriez déjà proposé au parlement où vous êtes majoritaire.
La pique ratée sur Maudet, si c’est vraiment tout ce qui vous reste… Je vous invite plutôt à lire Blick pour connaître les détails de notre proposition d’assurance budget. C’est une vraie solution pour permettre une réduction des primes pour ceux qui le souhaitent. Maintenir un catalogue de prestations sans concurrence sur les prix, ce que vous soutenez, c’est ce qui mène à l’explosion des primes. Les hôpitaux, les médecins, les pharmas, les labos: chacun se gave. Nous proposons de tirer le frein à main. Avec notre modèle, un assureur pourra décider de ne rembourser que les hôpitaux qui consentent à des rabais substantiels.
On pourra rembourser les médicaments importés d’Europe, jusqu’à dix fois moins cher. On ne remboursera plus que les analyses faites dans des laboratoires qui alignent des prix corrects. Un peu comme dans le secteur privé: les dentistes, soumis à une forte concurrence, ont dû baisser leurs prix au cours des 20 dernières années. Et renseignez-vous: chaque mesure qui compose notre projet low cost a fait l’objet d’interventions à Berne, comme le modèle lui-même, actuellement en attente de traitement devant le National.
Le point sur lequel nous sommes d’accord, c’est que l’explosion des primes est due à une absence totale de régulation dans un système où chacun se gave et empêche les réformes dans son secteur. Cependant, ce que vous dites sur notre projet de caisse unique est faux. Une telle caisse unique et publique, avec de vrais pouvoirs de régulation, est une solution. Votre projet ne dit rien par ailleurs sur la problématique du tarif actuel qui permet à un neurochirurgien de gagner en moyenne 800’000 francs par an alors qu’on assiste à une désaffection de la médecine de première ligne.
Les hôpitaux tirent actuellement la langue, surtout ceux qui délivrent des prestations de soins H24 et 7j/7. Pourquoi? Parce que votre obsession de la concurrence les met dans une position impossible. Comment voulez-vous qu’ils consentent encore à des rabais? Même la Directrice de H + estime que les réflexions autour de la caisse unique sont légitimes. Vous dites vouloir agir sur les prix des médicaments, mais je me répète, vous avez refusé le prix de référence pour les médicaments génériques. La caisse unique serait au contraire une vraie solution pour plus de transparence, plus de maîtrise des coûts et plus de prévention. Ce n’est pas moi qui le dis, mais 61,2% des Suisses qui seraient favorables à une caisse unique (68,3% des Romands).
La caisse unique est un bon coup de gueule, mais ça s’arrête là. Elle n’introduit aucun nouvel instrument de maîtrise des coûts. Or, vous vous trompez: le secteur de la santé est hyper-régulé. C’est peut-être le secteur privé le plus régulé. Tout est planifié, chaque centime facturé fait l’objet d’une convention tarifaire. Tout est minuté, contrôlé, surveillé. Il n’y a aucune concurrence entre fournisseurs de prestations: tout le monde est remboursé, au même prix, selon les mêmes règles. Or, nous voulons faire sauter ces règles et appliquer enfin une concurrence sur les prix, plutôt que des tarifs linéaires et fixés par l’État ou avec son appui.
Sur les médicaments, Alain Berset voulait encore un nouveau machin bureaucratique, alors qu’il fixe déjà le prix des médicaments. Nous voulions autoriser les importations parallèles, pour payer le prix européen, et casser les cartels d’importateurs. Vous l’avez refusé avec le puissant lobby de la pharma, tant pis.
Le problème vient de la surabondance d’offre et d’absence de concurrence. En Suisse, il y a 276 hôpitaux. Il y en a 60 en Suède, pour une taille de population supérieure à la nôtre et un système de santé jugé meilleur. Nous dispersons nos forces et cela ne sert ni à la qualité des soins, ni à la maîtrise des coûts. Avec notre modèle d’assurance «budget», nous voulons justement agir là-dessus et ne rembourser plus qu’une partie des prestataires de soins, en fonction de leur qualité et des rabais qu’ils acceptent de pratiquer.
Suppression des frais de changement de caisse et des frais de marketing, baisse des réserves: ce n’est pas de la maîtrise des coûts? De plus, une assurance qui couvre tout le peuple — de l’enfance à la mort — sans pouvoir renvoyer les mauvais risques à d’autres est le seul modèle qui promeut la prévention efficace à long terme et donc réduit les coûts. Utiliser la Suède comme comparaison est franchement gonflé: vous ne pouvez pas en même temps être pour une planification stricte à la suédoise en vantant leur nombre d’hôpitaux et pour la concurrence! Faut savoir!
Dans les faits, vos décisions (je parle notamment du projet EFAS) visent à réduire surtout les hôpitaux à but non lucratif est à augmenter ceux qui ont une visée commerciale, les cliniques privées. C’est le profit avant tout. On est donc très loin du modèle suédois. Notre modèle de caisse unique, accompagnée de prime en fonction du revenu, permettra de remettre en outre un peu d’équité dans le système. Dans l’intervalle, le bouclier des 10% est absolument nécessaire et je regrette sincèrement, qu’à la fin, vous n’ayez pas soutenu le contre-projet crédible à notre initiative. Celle-ci a de vraies chances de succès devant le peuple, et je sais que vous le savez.
Je ne cherche pas à défendre les assurances maladie, mais leurs frais sont les moins élevés de toutes les assurances sociales. Il n’y a plus de chasse aux bons risques depuis l’introduction de la compensation des risques qui a aussi fait exploser les primes. Quant aux réserves, elles couvrent deux mois de prestations. La SUVA, en comparaison, a 56 milliards de réserves, qui couvrent 11 années de prestations. Vos critiques sont démagogiques et votre projet inutile.
Et puis, les primes en fonction du revenu, selon le projet du PS, c’est une augmentation de 342% de l’impôt fédéral direct, qui ferait de la Suisse le pays aux impôts les plus élevés de l’OCDE, et de loin. Sachant que les primes s’élèvent à 6.7% du revenu moyen des ménages, votre bouclier de 10% ne concerne qu’une minorité: pour la majorité, votre initiative signifiera seulement une augmentation des impôts.
La stricte planification hospitalière, c’est ce que nous connaissons actuellement: pas de concurrence, une offre pléthorique et de qualité moindre. Nous voulons une vraie concurrence. Nous voulons que les assureurs puissent négocier avec qui travailler, selon des critères de volume, de qualité et de coûts. Non pour soutenir des hôpitaux publics déficitaires et mal gérés, mais pour protéger le patient et l’assuré.
Me faire traiter de démagogique par Philippe Nantermod c’est l’hôpital qui se fout de la charité! J’ai toujours apprécié votre côté authentique et entier, c’est votre force. Mais la caricature, ce n’est vraiment pas nécessaire. Vos chiffres tombent de nulle part et sont vivement contestés. C’est complètement farfelu, et pour le coup je serais tentée de dire que vos propos sont démagogiques, mais je n’oserais pas…
Il n’est pas question de créer un nouvel impôt. Mais de répartir l’actuel (les primes) différemment en tenant compte de la capacité contributive des gens. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Le modèle de l’IFD a ça d’avantageux qu’il permet un plafonnement à 7% du revenu (donc plus bas que le bouclier de 10%) et qu’il permettrait à 85% de la population de payer moins de prime qu’actuellement. A titre d’exemple, une famille de deux adultes et deux enfants avec un revenu brut de 140’000 francs par an paierait 166 francs de prime par mois pour toute la famille, soit CHF 1000 francs de moins qu’actuellement. C’est ça, le progrès!
Quant à notre initiative socialiste 10%, déjà en œuvre dans le canton de Vaud, elle permet déjà à 283’000 Vaudoises et Vaudois de voir leur facture allégée, soit 35% de la population. On est loin de la mesure anecdotique et c’est le seul moyen que nous avons, dans le système actuel, pour contrer l’effet inique et antisocial de la prime par tête. Le dispositif est aussi un moyen efficace de donner du pouvoir d’achat à la classe moyenne. Même le PLR vaudois soutient mordicus ce bouclier.
Quant aux prétendus bienfaits de la concurrence, je rappelle que la réforme de la LAMal de 2012 sur le financement hospitalier, voulue et votée par votre majorité, avait pour but d’introduire la concurrence dans les hôpitaux. Ce qui a été fait. Résultat: augmentation des financements et des capacités dans les cliniques privées et assèchement lent des capacités des hôpitaux de dernier recours, à but non lucratif, qui doivent faire tout ce que les cliniques privées ne veulent pas faire, parce que pas assez profitable. Le bilan de la concurrence et du profit-roi, c’est ce qu’on a sous les yeux!
Et vu que c’est ma dernière intervention, je dirai ceci: nos positions sont diamétralement opposées et elles reflètent au fond les divergences fondamentales que nous avons de la société. Et c’est pour ça qu’à la fin, assurance low cost ou caisse unique, j’en suis convaincue, c’est le peuple qui tranchera et qui donnera l’orientation à prendre. Il donnera déjà un premier au printemps 2024 lorsqu’il votera sur notre initiative 10%. Et je me réjouis follement de mener cette campagne sur le terrain.
Je ne sais pas si vous êtes exonérée de l’impôt fédéral direct, mais vos chiffres sont farfelus. Pour une famille qui gagne 140’000 francs, l’IFD est de 4’684 francs. Multiplié par 2.42% comme le propose M. Samuel Bendahan, cela fait une prime de près de 1000 francs par mois, en plus de l’impôt actuel… Pour les revenus plus élevés, ce chiffre s’envole et l’imposition totale dépasse 75%. Je sais que cela a peu d’importance pour vous, mais aucun système ne tient avec une fiscalité pareille: vous perdrez ceux qui paient beaucoup d’impôts, et tout s’effondre.
S’agissant de votre modèle de 10%, il ne touche en effet qu’une minorité. Et de cette minorité, les trois-quarts sont déjà aidés. Mais la grande majorité, le 65% selon vous, paiera simplement plus qu’aujourd’hui. Ils vous remercieront.
Enfin, la où la concurrence existe dans la santé, là où l’assurance-maladie ne couvre pas tout, elle est terriblement efficace. Par exemple pour les dentistes, la procréation médicalement assistée, la chirurgie esthétique ou les opérations correctrices des yeux. Dans ces domaines, la qualité a augmenté au cours des vingt dernières années, massivement, et les prix ont diminué d’autant. Pourquoi? Parce que chaque prestataire est mis en concurrence avec les autres. Dans l’assurance obligatoire, personne n’est mis en concurrence. Tout le monde est remboursé qu’il soit bon ou mauvais, et tous au même tarif.
Nous voulons changer cela, pour faire baisser les prix et augmenter la qualité. Vous voulez protéger les «hôpitaux à but non lucratif» mais qui versent des salaires mirobolants, c’est-à-dire des appareils étatiques déficitaires à la qualité discutable. Nous voulons un système de santé qui pousse à l’excellence, accessible et tourné vers le patient, pas vers le soignant.