Après avoir agité la Toile, la polémique devient politique. Après les révélations de Blick, deux députés de centre gauche ont déposé des questions écrites au Parlement jurassien le 31 août. Le 1er septembre, le Neuchâtelois Baptiste Hurni, président de la Fédération suisse des patients et conseiller national socialiste, disait son inquiétude.
Ce lundi, Jacques Gerber, président du Gouvernement jurassien, sort du bois et de sa réserve. Le libéral-radical affirme qu’il n’aurait pas engagé la psychiatre Martine Wonner s’il avait dirigé la Clinique Le Noirmont, en partie financée par l’Etat. «Ce que montre cette affaire, c’est que nous devons revoir la totalité de notre législation en matière de santé», estime en outre le ministre de… la Santé.
Pour mémoire, la médecin Martine Wonner, égérie des antivax francophones, exerce depuis février 2023 de ledit établissement. En toute légalité, affirment les autorités. Et ce, même si l’ex-députée à l’Assemblée nationale avait été suspendue pour un an par l’Ordre des médecins français, le 25 novembre 2022. L’est-elle encore aujourd’hui? Difficile à dire: ni l’Ordre des médecins ni l’idole des coronasceptiques n’ont donné suite à nos sollicitations.
Le candidat brise un tabou
Dans cet entretien, Jacques Gerber développe aussi ses solutions pour combattre la hausse des coûts de la santé et des primes d’assurance maladie, à la demande de Blick. Le candidat au Conseil des États, en liste aux côtés de l’UDC Thomas Stettler, brise un tabou: «Aujourd’hui, par exemple, si une personne de 90 ans veut se faire opérer d’une hanche, que son médecin estime que c’est nécessaire, on ne peut pas s’y opposer, déplore le jeune quinqua. Même chose lorsqu’on parle d’un traitement à 25’000 francs contre le cancer pour une personne de cet âge-là.»
Mais ce n’est pas tout. En passant, l’élu, très populaire, dézingue l’idée d’une caisse unique, mais aussi d’une assurance low cost, portée par son propre parti. Interview garantie sans langue de bois.
Jacques Gerber, vous aimeriez vous faire soigner par Martine Wonner?
Non. Premièrement parce que je n’aimerais pas forcément avoir besoin d’une psychiatre. Mais surtout, je ne cautionne pas les propos sans aucun fondement scientifique qu’elle a tenus durant la pandémie de Covid-19. Je les condamne très fermement. Contester des mesures prises par l’Etat pour protéger la population est une chose, véhiculer des mensonges est plus problématique. D’autant plus lorsque l’on est médecin.
Si vous étiez directeur de la Clinique Le Noirmont, l’auriez-vous engagée?
J’en serais arrivé à la conclusion qu’il était préférable de ne pas l’engager. D’abord pour éviter les polémiques et les dégâts d’image. On ne peut pas faire fi d’un passé comme celui-ci. Ceci dit, nous n’avons pas reçu de plainte la concernant depuis ses débuts en février. Et je ne remets pas ses compétences en cause, je ne suis pas qualifié pour les juger.
Deux députés au Parlement jurassien s’étonnent que l’Alsacienne puisse exercer légalement dans le Jura sans avoir obtenu d’autorisation du Canton. Faudrait-il changer les bases légales?
Ce que montre cette affaire, c’est que nous devons revoir la totalité de notre législation en matière de santé. Il est possible que l’ordonnance en vigueur ne soit plus en accord avec le droit fédéral, qui a évolué en 2020. Nous allons mener une analyse juridique. Peut-être faudra-t-il réfléchir à appliquer le modèle bernois, dans lequel des autorisations doivent être délivrées pour tous les médecins, sauf les assistants. Même ceux qui, comme Madame Wonner, exercent sous la responsabilité d’un médecin-chef.
Vous êtes ministre de la Santé. Les primes d’assurance maladie vont encore augmenter en 2024. On parle de 10%. Les cantons vont devoir continuer à massivement mettre la main à la poche pour aider les ménages étranglés, chaque année plus nombreux. Est-ce encore vivable?
Non! Il est primordial de revoir complètement notre système de santé. Sans une réforme audacieuse et en profondeur, le système va s’effondrer! J’appelle à un vrai débat national. Au-delà des lignes partisanes, il faudra identifier les problèmes et se mettre d’accord sur les solutions. Aujourd’hui, on part tous azimuts avec des propositions qui ne sont que des sparadraps sur une jambe de bois. Il faut prendre de la hauteur.
Concrètement, que propose le candidat au Conseil des États que vous êtes?
Ce débat doit aboutir à une loi sanitaire, qui définit les contours de notre système de santé. Celle-ci pourrait par exemple définir des régions sanitaires transcantonales, au sein desquelles toutes les prestations seraient assurées. La patientèle serait libre de circuler au sein d’une région sanitaire, mais pas au-delà. Ce n’est pas normal qu’une même personne puisse faire quatre fois les mêmes analyses aux quatre coins de la Suisse!
Le libéral que vous êtes aimerait donc limiter la liberté des patientes et des patients…
Oui. Et pour que ce système fonctionne, il faudra pouvoir planifier à l’intérieur de ses zones. Nous aurons aussi besoin de transparence sur les prestations fournies et obtenues. Pour cela, il faudrait un dossier électronique du patient performant, avec une base de données centralisée et gérée par la Confédération. C’est faux de charger les cantons de le mettre en place. Et puis, il y aurait aussi d’autres tabous à faire tomber.
Lesquels?
Pour diminuer les coûts hospitaliers, nous avons besoin d’un système de soins intégrés, de développer les soins à domicile. Et nous devons réfléchir à une prise en charge selon le moment de la vie de la patiente ou du patient. Il faut définir les moments de vie où on peut rembourser une prestation.
Vous avez les personnes âgées dans le viseur…
Non, je ne vise pas une catégorie de la population en particulier. Mais aujourd’hui, par exemple, si une personne de 90 ans veut se faire opérer d’une hanche, que son médecin estime que c’est nécessaire, on ne peut pas s’y opposer! Même chose lorsqu’on parle d’un traitement à 25’000 francs contre le cancer pour une personne de cet âge-là. Cela peut paraître brutal, mais ma réflexion va aussi dans le sens de mieux prendre en compte l’intérêt de la personne concernée. Pendant le Covid, nous avons réussi à préserver nos hôpitaux grâce aux directives anticipées qui nous permettaient d’accompagner, dans la douceur et en toute dignité, les personnes malades selon leur désir, qui était parfois de mourir en EMS et non à l’hôpital. Il faut pouvoir en discuter, avec le corps médical, avec la population, avec des comités d’éthiques et avec les personnes concernées.
Votre parti, le PLR, propose un modèle d’assurance de base low cost. En clair, la prime serait 25% moins élevée, mais la clientèle devrait faire des concessions (un médicament générique plutôt qu’un original, pas d’acupuncture, ou une augmentation de la franchise). Ne va-t-on pas tout droit vers une médecine à deux vitesses?
Je ne suis pas favorable à cette idée, précisément parce que le risque d’avoir une médecine à deux vitesses est réel. Pour la même raison, je suis encore plus opposé à l’idée de supprimer l’assurance de base (ndlr: idée proposée par la conseillère d’État zurichoise Natalie Rickli, qui est membre de l’UDC, parti avec lequel Jacques Gerber fait liste commune pour l’élection au Conseil des États).
Le Parti socialiste, lui, ressort l’idée d’une caisse unique. Cette idée vous séduit-elle davantage?
Non. Une caisse unique, ce seraient des cacahuètes en termes d’économies sur les coûts! Elle ne réglerait absolument pas le problème de fond. Je travaille depuis des années au contact de l’administration et je ne crois pas que le personnel de l’Etat serait forcément plus efficace que celui des assurances. En revanche, je pense que les assurances devraient être dépossédées de leurs réserves. Qu’on devrait les mutualiser et les centraliser. Et puis, si un assureur doit faire face à des difficultés, celui-ci pourrait faire une demande à l’État pour pouvoir puiser dans les réserves.
Un système de santé entièrement payé par l’impôt ne serait-il pas plus juste? Tout le monde participerait, selon ses moyens…
Si tout ne passait que par l’impôt, nous perdrions le lien entre la prestation obtenue et son financement. Résultat, les coûts exploseraient. On le voit bien avec le nombre de demandes pour des check-up en fin d’année, lorsque les gens ont atteint leur franchise. Je ne leur jette pas la pierre, je ne suis certainement pas meilleur que les autres, mais c’est un bon exemple. Aujourd’hui, la priorité, c’est de maîtriser les coûts. Dans le Canton du Jura, les charges liées à la santé dépassent 10% du budget annuel. On arrive au bout du système actuel.