L’adrénaline monte, il faut signer le plus vite possible. François*, un membre de la communauté de la plateforme de ventes flash QoQa, a cru pouvoir bénéficier de l’opportunité du siècle. Avant de très vite déchanter.
Ce Lausannois, cadre dans une multinationale, travaille beaucoup. Sa journée type de travail dépasse facilement les 10 heures. Conséquence: son activité professionnelle exigeante lui laisse peu de temps pour effectuer ses tâches ménagères. Quand il tombe sur l’offre de blanchisserie proposée par Batmaid, spécialiste vaudois des ménages privés, ses épaules sont plus légères.
Contre 79 francs par mois, il pourra se délester de cinq kilos de linge sale par semaine. Cerise sur le gâteau, «Batmaid Dry s’occupe de tout»: l’entreprise viendra chercher ses vêtements à lessiver à son domicile avant de les ramener la semaine suivante nettoyés et repassés. Un cycle hebdomadaire simple, presque vertueux, grâce à un nouveau service avant-gardiste dans le secteur du pressing. Non?
Déconvenue sur déconvenue
Sur le papier, sans doute. Dans les faits, rien ne se passe comme prévu. «Un transporteur devait chercher mon premier sac un certain jour, entre 13h et 19h, raconte François. Problème: il n’est pas venu dans la tranche horaire réservée avant de m’indiquer qu’il souhaitait se présenter à une heure qui ne me convenait pas. Le service a donc directement été retardé de quelques jours par rapport à ce qui avait été convenu.»
Après ce petit couac dès l’entrée en matière, les déconvenues s’enchaînent. «La semaine suivante, alors qu’il devait me rendre mon linge propre avant de récupérer un nouveau sac de vêtements sales, il s’est présenté les mains vides, assure notre informateur. Il m’a lâché qu’il ne savait pas qu’il devait me rapporter quelque chose et est reparti avec un nouveau sac à nettoyer. L’entreprise n’a jamais corrigé son erreur, ce qui fait que je recevais toujours mes affaires avec une semaine de décalage et que les premiers habits confiés ne m’ont pas été ramenés.»
Fâcheux. Mais ce n’est pas le pire. Selon François, le linge censé avoir été blanchi «pue la mort». «J’ai passé un temps de dingue au téléphone pour essayer de retrouver mon premier sac et pour obtenir un service du niveau de celui qui avait été annoncé dans l’offre, peste-t-il. La société m’a finalement envoyé des photos du contenu d’une dizaine de sacs perdus non étiquetés pour que je puisse identifier ce qui m’appartenait. Bonjour la protection des données et les informations clients!»
Il enchaîne: «Une fois mes affaires égarées par Batmaid Dry tant bien que mal identifiées, il a fallu encore plusieurs semaines à l’entreprise pour qu’elle daigne me les rendre. Je voulais vraiment y croire, mais j'ai fini par accepter que Batmaid n'était pas capable de corriger ses erreurs et d'améliorer son process. J’ai donc résilié.»
Des témoignages édifiants
Toujours d’après François, plusieurs personnes de son entourage avaient souscrit à la même offre. Une en serait pleinement contente, tandis que toutes les autres auraient vécu des mésaventures similaires. Un coup d’œil sur le site de QoQa, où l’offre désormais suspendue est toujours visible, prouve que bon nombre de clients s’estiment lésés.
Dans les 1674 commentaires (!), certains souscripteurs se disent satisfaits. Mais beaucoup d’autres s’étranglent. Par exemple: «Moi, je devais recevoir mon linge d’il y a trois semaines aujourd’hui et rien! Je suis furax, ça fait une semaine qu’ils me disent qu’ils organisent la livraison. […] J’ai 10 kilos de linge bloqué chez eux et je me demande si je vais les récupérer. Heureusement qu’ils ont décidé d’arrêter, parce que là, il y en a marre des 50 couacs en trois mois et de leurs mensonges surtout». Ou encore: «Pas mieux, le dernier retour promis hier n’est pas venu… Ça va faire la troisième livraison perdue».
Comment expliquer ce naufrage industriel? En tout cas, Batmaid Dry bat sa coulpe dans sa montagne de réponses adressée aux mécontents. Notamment: «Notre équipe prendra contact avec vous personnellement, afin de résoudre ces problèmes. Nous sommes sincèrement désolés pour tous les désagréments causés et nous sommes déterminés à résoudre tous les problèmes en suspens. Encore toutes nos excuses.»
Dans un mail adressé à ses membres concernés, QoQa livre quelques informations. «En créant Batmaid Dry, Batmaid souhaitait révolutionner l’industrie du pressing en la rendant accessible à tout le monde. Malgré leur volonté et les efforts fournis, ils ne sont pas parvenus à offrir le niveau de qualité sur ce service. […] Nous sommes bien évidemment déçus de cette issue. Mais nous savons à quel point tout projet comporte des risques. Et chez QoQa, nous sommes convaincus qu’il vaut mieux oser se lancer plutôt que d’avoir des regrets. On apprend toujours d’une expérience, même si elle ne donne pas toujours le résultat escompté.»
Arrêt à contrecœur?
Nous avons envoyé plusieurs questions par e-mail à Batmaid. Pourquoi la société a-t-elle tiré la prise de son service de blanchisserie? Confirme-t-elle avoir égaré du linge de plusieurs de ses clients? Combien de réclamations a-t-elle reçues au total? Les personnes lésées seront-elles indemnisées? Si oui, comment?
Virgine Toral, cheffe du marketing et de la communication de l’entreprise, élude. Elle renvoie vers un communiqué de presse diffusé le 28 avril dernier. Celui-ci indique que Batmaid Dry a été suspendu après quatre mois d’activité. «Confronté simultanément à des problèmes de logistique, de production, d’effectifs mais également à la hausse des prix des matières premières et de l’énergie, et malgré tous les efforts de correction entrepris, le service Batmaid Dry ne répondait pas aux exigences de qualité recherchées.»
Selon son dirigeant Andreas Schollin-Borg cité dans la prise de position, «l’expérience client est au cœur de toute notre proposition de valeur et ne peut pas par conséquent souffrir d’une quelconque déficience. En tant qu’entrepreneur, à la fois force de proposition et moteur de changement, j’assume avec regret cette décision de suspendre cette prestation avec effet immédiat». Au total, quelque 1400 clients avaient souscrit un abonnement dans toute la Suisse et «se verront naturellement informés et dédommagés».
Il n’empêche que l’entreprise ne surmontera probablement pas ce crash sans faire de victimes. Selon nos informations, jusqu’à 40 emplois seraient sur le ballant. La responsable de la communication ne confirme, ni n’infirme. «Il est à relever que nous sommes entrés en période de consultation et qu’il est à ce stade prématuré de tirer des conclusions», coupe Virginie Toral.