Depuis le 15 janvier, rien n’est plus comme avant dans la vie de Suzan Chandiru et de sa famille. Nous sommes à Kasese, une ville du sud de l’Ouganda proche de la frontière de la République démocrate du Congo. Ce jour-là, une explosion suivie d’un incendie se produit dans l’usine du fabricant de ciment Hima Cement, filiale de Holcim.
Quatre ouvriers perdent la vie et sept autres sont blessés dans l’accident. Parmi eux, le frère cadet de Suzan, Asite Milton, qui succombe à ses blessures sept jours plus tard.
Tristes et en colère
Avant l’explosion, des travaux d’installation d’un réservoir de gasoil léger ont eu lieu dans la cimenterie. Est-il à l’origine de l’explosion? Impossible de le savoir, la société refusant d’expliquer la raison de l’incident. Trois mois plus tard, les proches des défunts sont maintenus dans l’ignorance.
De même, aucun dédommagement n’a été versé. «Nous sommes tristes et en colère, déclare Suzan Chandiru. Un geste serait la moindre des choses, même si ça ne nous rendra pas notre petit frère. Il nous manque tellement.»
Une conséquence directe de la politique du groupe?
Que répond Holcim à tout cela? Le géant suisse des matériaux de construction se retrouve une fois de plus sous les projecteurs à cause de malfonctions. Pour Oloka Mesilamu, secrétaire général du syndicat local des constructeurs, l’Uganda building workers union, l’accident de Kasese est une conséquence directe de la politique menée par le groupe et sa filiale.
Selon lui, la direction de Hima Cement va systématiquement à l’encontre des intérêts du syndicat, intimidant notamment les employés qui désireraient s’y affilier. Des licenciements abusifs ont également lieu, de nombreux travailleurs affiliés s’étant fait mettre à la porte pour des raisons qui restent obscures.
Personnel non-qualifié et précaire
D’autre part, le groupe, qui brasse des milliards, fait de plus en plus appel à des sous-traitants, «pour des raisons de profit», assure Oloka Mesilamu. Deux tiers de la main-d’œuvre de Hima Cement sont des intérimaires.
Ce personnel, souvent non-qualifié, souffre de conditions précaires. Des journées de travail allongées sont monnaie courante, les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées, aucune congé maladie ou congé maternité n'est toléré. Et, enfin, la sécurité des travailleurs n’est pas garantie: les mesures de protection, qu’il s’agisse de matériel contre les accidents ou de santé, sont quasiment inexistantes.
«Ce système leur a coûté la vie»
«Ces personnes sont exploitées, tonne le secrétaire général du syndicat local. Nous avons essayé de négocier leurs conditions de travail, mais leur employeur ne veut rien savoir!»
L'accident mortel qui a eu lieu est une conséquence directe de tous les manquements dont a fait preuve l’entreprise, affirme Olaka Mesilamu. «Les quatre personnes décédées étaient des travailleurs d’entreprises tierces. Ils ne se trouvaient dans l’usine que depuis quelques jours et ne connaissaient pas encore leur lieu de travail. Ce système leur a coûté la vie!»
La pointe de l’iceberg
L'Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB), la fédération mondiale des syndicats de la branche, estime également que l’accident aurait pu être évité. Depuis des années, elle demande à Holcim de renoncer à la sous-traitance et de s’engager concrètement à respecter les droits des travailleurs. Sans succès.
«Ce terrible accident n’est que la pointe de l’iceberg. De nombreux employés ont perdu la vie ces dernières années dans l’exercice de leur profession, d’autres ont été blessés, déclare Ambet Yuson, secrétaire général de l’IBB. Ces employés ne doivent plus jouer leur vie en allant au travail!»
Holcim se défend
Du côté d’Holcim, on nous indique que «la sécurité des collaborateurs est une priorité absolue». L’entreprise assure coopérer pleinement avec les autorités locales et dit prendre l’affaire très au sérieux. Une enquête approfondie doit avoir lieu. «Dès que les résultats seront disponibles, nous prendrons les mesures nécessaires pour garantir qu’un tel incident ne se reproduise pas.»
Le géant suisse dit aussi se tenir aux côtés des travailleurs et de leurs familles. «Nous sommes en contact avec eux pour les soutenir autant que nous le pouvons. Afin de les aider au mieux, nous mettons à leur disposition des services médicaux et prenons en charge tous les frais de déplacement et d’hébergement nécessaires pour leur permettre d’accéder aux structures de soins.»
«Personne n’a été empêché de rejoindre les syndicats»
Quant aux accusations des syndicats, le groupe assure ne pas vouloir les laisser passer. «Le nombre de travailleurs dans l’usine était stable ces dernières années. Personne n’a été empêché de rejoindre les syndicats.» La société soutient même que les employés de l’usine sont tous affiliés.
Holcim concède faire appel à des travailleurs tiers pour certaines tâches et du travail supplémentaire. Elle indique que des négociations collectives sont menées et que les conditions sont régulièrement discutées avec les représentants des travailleurs et des syndicats.
«Les conditions de travail sont conformes à la législation sur le travail en Ouganda, aux réglementations internationales ainsi qu’aux lignes directrices de l’OCDE pour les entreprises du secteur privé», conclut l’entreprise. Affaire à suivre.
(Adaptation par Alexandre Cudré)