A minuit, dès la première seconde de la nouvelle année, l'ère de celui qu'on surnommait le gendre idéal de la politique prendra fin. Alain Berset était considéré comme tel lorsqu'il a entamé son mandat de conseiller fédéral en 2012 – sous une pluie de louanges.
Le champion du Parti socialiste (PS) était décrit comme vif d'esprit, charmant, présidentiable, mais proche du peuple. En bref: le politicien consensuel idéal. L'ancien conseiller fédéral libéral-radical Pascal Couchepin avait même prédit que le Fribourgeois avait les épaules pour devenir l'homme fort du Conseil fédéral.
Capitaine de navire pendant la pandémie
Douze plus tard, une chose est claire: Alain Berset est devenu l'une des figures marquantes du pays. Son nom restera associé à l'une des crises les plus graves de ces dernières décennies, la pandémie de Covid-19. Le ministre de la Santé était en première ligne lorsque le coronavirus a pris le pas sur la vie sociale, politique et économique du pays.
Le Conseil fédéral a gouverné avec le droit d'urgence, interdit des manifestations, fermé des restaurants, banni le chant. Tout cela n'est pas passé sans accrocs: critiques et menaces ont été monnaie courante.
Rétrospectivement cependant, presque tout le monde s'accorde à dire qu'Alain Berset a su garder le sens de la proportionnalité. Le conseiller aux Etats vaudois Pierre-Yves Maillard, candidat malheureux de l'élection au Conseil fédéral face à Alain Berset en 2011, encense son rival d'alors: «Il a été très courageux dans les moments difficiles.»
Trop grand ego?
Son large égo l'a peut-être aidé. Les critiques semblaient glisser sur Alain Berset comme sur un revêtement anti-adhésif – ce qui lui a valu le surnom de «Monsieur Téflon». Et comme aucun autre conseiller fédéral avant lui, le Fribourgeois s'est passablement mis en scène. Ce n'est pas pour rien qu'il était considéré, parmi les sept sages, comme le roi des réseaux sociaux.
En 2018, alors qu'il était président de la Confédération pour la première fois, Alain Berset s'est fait accompagner par un photographe à New York.
Le cliché est resté dans les annales: Alain Berset, sourcils froncés et mine imperturbable, est assis sur un trottoir devant le bâtiment de l'ONU. Il étudie des dossiers et prend des notes. Ce sont cette nonchalance et cette aisance apparente qui lui ont régulièrement permis de retourner l'opinion publique en sa faveur. Dans les sondages d'opinion, il a toujours été le conseiller fédéral le plus populaire.
Un bilan politique raisonnable
Le bilan politique d'Alain Berset reste toutefois modeste. En tant que ministre de l'Intérieur, il était, entre autres, responsable de la politique sanitaire et de la prévoyance vieillesse. Deux éternels chantiers qui résistent aux réformes. Sa défaite la plus cinglante a eu lieu en septembre 2017, lorsqu'il a été désavoué dans les urnes avec le rejet de la Prévoyance vieillesse 2020.
Il s'agissait d'un projet titanesque qui aurait simultanément réformé l'AVS et le 2e pilier. Une victoire aurait pu donner une autre orientation, plus heureuse, à sa carrière de conseiller fédéral. Toujours est-il qu'Alain Berset a ensuite fait passer l'âge de la retraite des femmes à 65 ans – une victoire à la Pyrrhus pour la gauche. Et la première réforme des retraites depuis de nombreuses années.
Mais après la défaite de 2017 – et hormis la crise sanitaire – Alain Berset est passé de concepteur à administrateur, ne bougeant presque plus rien dans ses dossiers. La responsabilité de cette stagnation lui revient pleinement.
L'ancienne conseillère nationale centriste Ruth Humbel, l'une des principales architectes de la politique sanitaire des vingt dernières années, évoque un caractère de dominant: «Il connaissait ses dossiers et se battait pour ses convictions.» S'il avait suivi une ligne directrice sur un sujet, il était impossible de l'en détourner.
Des scandales plutôt que des réformes
Alain Berset n'a pas non plus flanché sur la question du personnel. On lui reproche d'avoir confié des postes clés à des collègues de parti et d'avoir ainsi fait de son département un prolongement du PS. Il a installé l'ancien conseiller national Stéphane Rossini à la tête de l'Office fédéral des assurances sociales et a fait de l'ancien secrétaire général du PS Thomas Christen le directeur adjoint de l'Office fédéral de la santé publique.
Alain Berset est donc critiqué pour avoir boudé les solutions interpartis. Il n'empêche qu'au Conseil fédéral, le Fribourgeois a généralement réussi à faire passer ses dossiers.
Plutôt que pour des réformes, c'est surtout à cause de scandales de fin de mandat qu'Alain Berset a fait parler de lui. On se souvient de son ancienne maîtresse, des fuites surnommées Corona Leaks, ou encore d'une intervention de l'armée de l'air française pendant l'été 2022 qui a révélé qu'Alain Berset était amateur de vol privé.
Plus tout à fait l'image du gendre idéal. Mais celui qui s'approche trop près du soleil finit bien souvent par se brûler les ailes. Alain Berset semble en être conscient: «Je vais peut-être faire du yoga», a-t-il lancé en plaisantant lors de l'annonce de son départ. Ce n'est pas une mauvaise idée pour atterrir en douceur. Namaste, Monsieur Berset!