Et vous, vous connaissez Vassilis Venizelos? Cette question n’est pas vraiment rhétorique. À quelques jours du premier tour des élections vaudoises, l’Yverdonnois de 44 ans devra tenter de convaincre jusqu’au dernier moment. Alors qu’il a la lourde tâche de succéder à la conseillère d’État verte Béatrice Métraux, en poste depuis 2012, le député souffre d’un déficit de notoriété monstre.
Sur le papier, l’écologiste coche pourtant toutes les cases pour rayonner. Allié au Parti socialiste et à ses locomotives, il peut s’appuyer sur sa longue expérience politique au niveau communal et cantonal, ses convictions lisibles, son engagement écologique de longue date et sa dégaine d’Apollon. Et pourtant… Tout cela sera-t-il suffisant pour ne pas se faire avaler tout cru par la combative Alliance vaudoise, qui présente plusieurs cadors du centre droit cantonal?
Un récent sondage montre en tout cas l’étendue du chemin que Vassilis Venizelos doit encore parcourir. Le numéro 2 de l’office de l’urbanisme du canton de Genève peut jouer à se faire peur: risque-t-il de rester plus longtemps qu’espéré dans la cité de Calvin? Pour Blick, le père de famille baisse un court instant la garde. Au téléphone, il raconte ses racines, leur profonde résonance avec l’invasion russe en Ukraine et son fort sentiment européen. L’occasion, aussi, de parler «chiffons», comme il dit. Interview.
Portez-vous une cravate aujourd’hui, Monsieur Venizelos?
Non, pas aujourd’hui.
C’est rarement le cas, d’ailleurs. Votre collègue de parti, Antonio Hodgers, avait fini par s’y mettre. Et vous, si vous êtes élu au Conseil d’Etat vaudois?
Il y a quelques années, au Grand Conseil, il m’arrivait de porter des cravates de temps à autre. C’est donc quelque chose que je n’exclus pas.
La comparaison avec le ministre genevois ne s’arrête pas là: vous êtes jeune, beau, élégant… C’est cela, le visage de l’écologie en Suisse romande?
(Rires) Nous sommes surtout compétents. Nous sommes capables de défendre les intérêts de l’État et de répondre aux besoins de la population de façon efficace et déterminée.
Cette image proprette est à mille lieues de celle des jeunes militants inquiétés par la crise climatique. Par exemple, ceux qui se sont mouillés derrière les barricades de l’ancienne ZAD de la colline du Mormont. Les représentez-vous vraiment, avec vos chemises impeccables à la Bernard-Henri Lévy?
(Gros soupir) Vous trouvez que j’ai des chemises impeccables à la Bernard-Henri Lévy… Si vous voulez qu’on parle chiffons et de ma garde-robe, c’est très volontiers. Mais il y a des sujets plus importants, non? Nous nous trouvons effectivement face à une urgence climatique. La ZAD du Mormont a notamment permis d’arriver dans la foulée avec des interventions parlementaires fortes, pour lancer une réflexion sur nos rapports aux ressources, sur les processus de construction… Et elle a aussi débouché sur une initiative cantonale.
Vous soutenez ce genre de mouvements?
Je comprends l’inquiétude et les angoisses qui peuvent habiter une partie de la population. Notre responsabilité est de réagir et de venir sur le terrain politique avec des mesures ambitieuses et des propositions concrètes. J’ai la conviction que c’est ce que je fais dans mon engagement.
Pourquoi ces jeunes se tournent-ils alors davantage vers l’extrême-gauche, à l’instar de Mathilde Marendaz, candidate au Conseil d’État sur la liste d’Ensemble à Gauche? Les Verts ont trahi leurs espoirs?
Je crois qu’il y a eu trois Jeunes Vertes qui ont décidé de se rapprocher, dans le cadre des élections cantonales, d’un mouvement qui s’appelle Solidarité & Écologie. Ce dernier est effectivement rattaché à Ensemble à Gauche. Mais, très souvent, on oublie de rappeler que les Verts vaudois ont gagné 500 membres depuis 2019. J’ai donc le sentiment que le mouvement écologiste convainc une grande partie de la population, y compris les jeunes.
Ne redoutez-vous pas la dispersion des voix?
Je suis persuadé que c’est plutôt une richesse d’avoir une diversité de mouvements, avec une approche et des moyens différents. Et je suis content de voir que les activistes, comme Mathilde Marendaz puisque vous m’en parlez, croient encore à l’engagement politique. C’est sur ce terrain-là, sur le champ politique, que nous devons maintenant convaincre et rassembler.
Quand on craint pour son monde et même pour sa vie, l’immobilisme institutionnel est insupportable. Pensez-vous vraiment pouvoir dynamiter tout ça ou êtes-vous simplement rentré dans le rang, comme les autres?
Il n’y a aucune volonté de ma part de dynamiter quoi que ce soit. En Suisse, la politique est l’art des possibles. Grâce au dialogue et à l’écoute, nous devons trouver les moyens de travailler avec toutes les sensibilités. Trouver les bons messages et construire des arguments convaincants pour permettre aux personnes qui voient le monde avec des lunettes différentes des miennes et de celles des jeunes militants, d’aller dans la bonne direction.
Quels sont ces messages qui ne passent pas encore?
Nous avons avec nous des évidences scientifiques, qu’il faut répéter et encore répéter. Mais je ne pense pas que c’est en dynamitant les coffres-forts que nous arriverons à créer des majorités parlementaires, à convaincre la majorité de la population. Et puis, quand on regarde l’ensemble des programmes des partis politiques, on constate que l’urgence climatique est partout. Nous avons déjà gagné le débat d’idées.
Peut-être, mais il reste à gagner l’élection en votre nom. Vous arrivez en 8e position pour le Conseil d’État, selon un sondage de «24 heures». Soit derrière le candidat de l’Union démocratique du centre, Michaël Buffat, dont le parti n’est même pas représenté au gouvernement. Personne ne vous connaît dans le canton de Vaud?
(Rires) Je crois que le sondage donne des détails un petit peu plus forts que ça. C’est un sondage de notoriété, c’est sûr. Je ne me rappelle plus des chiffres exacts mais environ 20% des sondés (ndlr: 24%) ne me connaissent pas encore.
Comment l’expliquez-vous, alors que vous avez une grande expérience politique?
C’est ma première campagne à l’échelon cantonal. Je menais mes précédentes au niveau de mon district, celui du Jura-Nord vaudois, et de ma commune, Yverdon. Il y a aussi dans la course des candidates sortantes qui bénéficient d’une certaine notoriété, tout comme des parlementaires fédéraux. Je prends très au sérieux ce sondage. Il me conforte dans mon souhait d’aller à la rencontre de la population, pour démontrer la nécessité d’avoir un écologiste dans le gouvernement. Et de dire aussi qu’il est nécessaire de faire barrage à Michaël Buffat, qui est le conseiller national romand le plus à droite. Est-ce vraiment le profil que veut la population vaudoise, elle qui vote plutôt au centre et à gauche lors des votations fédérales?
Pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas justement: qui êtes-vous vraiment, Vassilis Venizelos?
Je suis quelqu’un d’engagé. Je suis élu au Conseil communal d’Yverdon depuis mes 19 ans. J’ai choisi la voie institutionnelle pour défendre mes convictions, en développant au fil du temps des méthodes pour rassembler. J’ai pu le montrer durant les dix années où j’étais chef de groupe au Grand Conseil. Je pense à plusieurs victoires significatives, par exemple les 300 millions de francs débloqués pour la transition énergétique, où nous avons réussi à convaincre un parlement de droite.
Et personnellement?
Allons-y pour ma biographie. Je suis papa de deux ados, de 15 et 13 ans, et je suis marié avec une femme merveilleuse. Elle est fille d’agriculteur, originaire de la campagne vaudoise, ce qui me donne un ancrage terrien très fort. Même si je suis un urbain, puisque je suis né à Yverdon, j’ai étudié entre Lausanne et Neuchâtel et je travaille à Genève.
Quelle résonance ont aujourd’hui vos origines?
Ma famille a une histoire très particulière avec la guerre. Les événements qui se déroulent actuellement en Ukraine me touchent donc particulièrement. Mon père a dû faire la guerre à Chypre. J’ai des origines franco-belges de par ma mère. Ma grand-mère a fui les bombardements de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale. Mon grand-père, lui, a fini dans des geôles nazies. Le conflit armé actuel renforce mes convictions humanistes et mon sentiment que nous avons besoin d’une Europe forte et unie pour affronter les différentes crises. Sans aucun cynisme, cette coopération renforcée entre États pourrait être l’un des rares points positifs de ce que nous traversons.
Et du côté grec de votre famille?
Mon père est arrivé dans les années 1960 en Suisse. Je suis né d’un amour de vacances. Il travaillait dans un café-restaurant, à Yverdon, et ma mère était là en touriste. Mon père vient d’une famille très modeste d’agriculteurs, entre Athènes et Delphes. Il a quitté la Grèce pour des raisons économiques. Toutes ces origines font que je suis résolument européen.
Cela veut dire que vous seriez pour une adhésion de la Suisse à l’Union européenne?
Le sujet n’est pas sur la table. Mais je pense qu’il faudrait au moins que la Suisse renforce sa coopération. Et si nous voulons vraiment peser dans les débats, pourquoi pas.
Pour votre famille politique, votre candidature est porteuse d’espoir. C’est important quand après deux ans de pandémie, l’invasion russe en Ukraine vient nous enfoncer dans l’incertitude?
Complètement. La crise sanitaire et la guerre en Europe choquent, bouleversent. Cela interroge aussi notre capacité à gérer nos émotions. On pourrait voir dans ces événements le côté désespérant, anxiogène. Mais aussi la possibilité d’accélérer la prise de conscience et certains changements. J’appelais avant de mes vœux une solidarité et une coopération plus forte entre les différents États. Mais il y a aussi la question de notre dépendance énergétique qui ressurgit à travers cette crise et, de façon plus générale, notre rapport au vivant. Nous avons donc peut-être une opportunité d’accélérer les changements nécessaires dans ces moments douloureux.
Votre recette pour avancer, vous le disiez, c’est d’être un politicien rassembleur. Autour de vous, on aime d’ailleurs vous décrire comme un Vert modéré. Mais votre profil sur Smartvote ressemble davantage à celui d’un popiste qu’à celui d’un centriste…
Mon père était ouvrier, ça tombe bien. Je l’ai dit: j’ai des convictions fortes qui sont ancrées à gauche. Je ne le cache pas. Mais j’ai aussi une capacité de dialogue très forte, toutes les personnes qui ont collaboré avec moi le reconnaîtront. À noter qu’on ne peut pas résumer 25 ans d’engagement politique avec une Smartspider. Le peu de questions et le manque de nuances ne le permettent pas.
Certains, à droite, n’hésitent pas à murmurer que, sous votre apparence fédératrice, vous avancez masqué. Ou pire: que vous n’avez pas le courage de vos opinions. Ils se fourrent le doigt dans l’œil?
C’est probablement de bonne guerre en cette période électorale, mais c’est faux. J’assume mes convictions, mes positions et qui je suis. N’importe qui peut le vérifier, mon activité de parlementaire est publique.