Philippe Nantermod passe à l'attaque, ce jeudi matin. En cet avant-dernier jour de la session parlementaire d'été, le conseiller national valaisan dépose une motion à Berne, annonce-t-il à Blick en exclusivité. Dans son viseur, «une injustice fiscale» qui pénaliserait les familles dont les parents sont divorcés.
Celui qui est aussi vice-président du Parti libéral-radical (PLR) veut permettre la déduction des contributions d’entretien versées aux enfants majeurs. Un levier sincère pour soutenir des personnes qui «se ramassent subitement un penalty fiscal», ou une manière détournée de vider les poches de l'État? Une aide bienvenue pour la classe moyenne en cette période d'inflation, ou un «susucre» pré-électoral? Philippe Nantermod n'élude aucune question. Interview.
Philippe Nantermod, quel est le but de votre motion?
On dit qu’en théorie, tout se passe bien. Mais, en pratique, pas du tout. C’est du moins le cas dans notre système fiscal. Posons le cadre. Quand vous avez des enfants et que vous payez des contributions d’entretien à l'autre parent, vous avez la possibilité de les déduire fiscalement tant que vos têtes blondes sont mineures, puisque c'est cet ex-conjoint qui encaisse. Ce dernier, de son côté, ajoute cette contribution à ses revenus et paie des impôts dessus.
Jusque-là, tout va bien.
Oui. Mais dès le moment où votre enfant devient majeur, vous ne pouvez plus déduire les contributions que vous lui versez désormais directement. Pourtant, en général, on sait qu'une formation ne se termine pas à 18 ans. La loi prévoit d’ailleurs que l’obligation d’entretien s’étend au-delà de la majorité. Et, logiquement, les contributions d’entretien sont versées bien au-delà de cet âge. Les parents, en principe les parents divorcés, continuent de payer des sommes élevées pendant des années. On parle souvent de 1000 à 1500 francs par mois et par enfant. Cette transition est dure pour les familles, qui se ramassent un véritable penalty fiscal.
Un penalty fiscal?
Prenons l’exemple d’un père de famille — même si cela pourrait aussi être une mère — qui gagnerait 60’000 francs par an et qui contribuerait annuellement à hauteur de 15’000 francs pour son enfant. Il sera imposé sur 60’000 francs alors qu’il lui reste réellement que 45’000 francs de revenu. C’est injuste et ça paupérise une part importante de la population!
En parlant d’injustice, n’allez-vous pas en créer une avec les couples qui ne versent pas de contributions d’entretien fixées par un juge? Eux aussi doivent entretenir leurs enfants en formation…
Parfaitement. C’est d’ailleurs ce que répond systématiquement l’administration pour s’opposer à cette proposition lorsqu'elle réapparaît. Mais je n’oublie pas les parents non divorcés dans ma motion. Je propose ainsi de leur permettre de déterminer par convention la contribution d’entretien d’un enfant majeur — dans les limites de la loi, montant qui pourra aussi être déduit fiscalement.
En clair, qu’est-ce que cela veut dire?
Cela signifie concrètement que le parent marié qui entretient son enfant majeur par le versement d’une contribution pourra la déduire de ses impôts. L’enfant majeur qui la recevrait devrait, quant à lui, ajouter ce montant à sa propre déclaration. Ce dernier ne paiera pas ou peu d’impôts puisqu’il a un faible revenu. Quoi qu’il en soit, cela permet d’alléger globalement la charge fiscale des familles.
Ne serait-il pas plus juste que les Cantons élèvent les déductions générales pour les enfants? Ainsi, toutes les familles seraient directement concernées.
On peut tout à fait parler de la déduction générale pour les enfants! On peut aussi parler de la déduction pour les frais de garde. En Valais, cette dernière est d’ailleurs honteusement basse puisqu’elle est seulement — et au maximum pour des dépenses effectives — de 3000 francs. Mais, ce qui est vraiment choquant dans le cas qui nous intéresse, c’est que la contribution d’entretien est réellement payée. C’est l’exemple du parent dont je vous parlais précédemment, qui paie des impôts sur un revenu qu’il n’a concrètement pas. Il y a urgence à agir.
On pourrait aussi imaginer que des aides ciblées soient allouées aux parents en difficulté dont vous parlez. Cette idée vous donne des boutons?
Non, elle ne me donne pas des boutons puisqu’elle existe déjà! En pratique, les parents en difficulté ne contribuent pas à l’entretien de leurs enfants et ces derniers reçoivent une bourse qui n’est pas fiscalisée. La situation devient problématique pour les parents au-dessus des limites pour pouvoir toucher des bourses d’étude. C’est le double effet «Kiss Cool»: ces personnes sont trop riches pour toucher une aide, mais paient des impôts sur un montant qu’elles n’ont pas puisqu’il est versé à leurs enfants majeurs.
C’est vraiment la situation de ces familles qui vous motive, ou rêvez-vous en réalité de réduire les impôts comme peau de chagrin?
C'est sûr que vous me trouverez souvent du côté des gens qui veulent réduire les impôts. Dans la période économique qui est la nôtre, l’inflation frappe particulièrement les gens de la classe moyenne. Les gens très riches, évidemment, sont assez peu touchés par l’augmentation du prix des spaghettis. Les gens pauvres ne paient pas de prime maladie. Mais entre l’augmentation des loyers, l’augmentation des primes d’assurance maladie ou encore le prix de l’électricité, la classe moyenne ramasse. Et c’est cette même classe qui paie aujourd’hui des impôts relativement élevés par rapport à ses revenus.
Dans le fond, pourquoi revenir maintenant avec cette proposition, qui a déjà été enterrée par l’Assemblée fédérale?
Parce que, dans le contexte inflationniste que nous vivons, donner un coup de pouce aux gens qui trinquent est bienvenu. Je réfléchissais aussi à la manière d’inclure les parents toujours mariés. Il était effectivement injuste que les couples divorcés bénéficient d’un abattement fiscal et pas les autres. Pour la première fois, ma motion inclut tout le monde.
Vous parlez du contexte inflationniste actuel, mais nous sommes aussi en année d’élections fédérales. Ça compte dans la genèse de ce «susucre» fiscal?
Vous savez, je crois que j’ai déposé 180 interventions parlementaires depuis que je suis élu et je ne l’ai pas fait qu’en année électorale. Mais, ma foi, tant mieux si cette proposition tombe avant les élections.