Sexiste ou pas sexiste, le fait de questionner une politicienne sur sa grossesse à l'antenne? De lui demander «comment elle va faire» pour continuer à œuvrer en politique, un marmot dans les bras?
C'est la question qui a été posée à la présidente de l'UDC Genève et conseillère nationale Céline Amaudruz, sur le plateau de la grande émission «Mise au Point» de la RTS dimanche. Après la diffusion d'un reportage qui se penche sur la préparation des partis politiques en vue des élections fédérales de cet automne.
Sur les images, on voit les journalistes suivre Céline Amaudruz lors de ses déplacements professionnels, ainsi que chez elle — dans le foyer genevois qu'elle partage avec son mari Michael Andersen, lui aussi candidat UDC au Conseil national.
Par la suite, sur le plateau, la journaliste et productrice de la RTS Nathalie Ducommun s'enquiert des défis personnels de la politicienne, en plus de ses défis politiques: «100% à la banque, le parti au niveau cantonal, le parti au niveau suisse…» Puis arrive l'annonce de la grossesse de l’agrarienne, face à l’audience: « Et je ne peux pas faire autrement que de le dire, (…) il y a un nouvel enjeu. Un heureux événement vous attend.»
«Être enceinte n’est pas une maladie!»
Celle qui est aussi vice-présidente de l'UDC Suisse commence par éluder la remarque. La journaliste insiste: «Vous ne répondez pas à ma question: vous êtes enceinte, Céline Amaudruz! Comment vous allez faire, humainement?»
La politicienne finit par confirmer la nouvelle. Comment cela va-t-il s’inscrire dans la campagne politique en question? Elle rétorque: «Je crois qu’être enceinte n’est pas une maladie!» La présentatrice acquiesce. «Et je ne crois pas que je sois la seule femme enceinte qui travaille.» Elle annonce finalement qu’elle devra de fait lâcher la présidence de l’UDC Genève à la fin de l’année. «Il y a des choix qui se feront (…)» Mais elle ajoute qu'elle n'est pas seule à devenir parent — il y a aussi son époux.
Ce début de grossesse n'a cependant pas été de tout repos, confesse Céline Amaudruz. «L’enjeu, pour moi, était de mener ma campagne au niveau cantonal en étant enceinte. C’était (...) un défi. D’ailleurs, beaucoup de gens ne l’ont pas vu. (…) Je voulais me protéger et assurer la campagne.»
«Sexiste et archaïque»?
Pendant ce temps, la députée socialiste au parlement valaisan Sarah Constantin observait la scène de l'autre côté de l'écran. Le lendemain matin, elle s'étrangle sur Twitter: elle a été «choquée» par le fait que la journaliste demande à Céline Amaudruz «comment elle allait faire» pour concilier sa vie privée et professionnelle, «à l'arrivée de son futur enfant».
Pour l'élue PS, la question est «claquée au sol». Et la poser «véhicule une vision sexiste et archaïque de la société».
Contactée pour nous en dire plus, la politicienne de gauche tient sa position: «Cette question sur la maternité de Céline Amaudruz m'a tellement mise mal à l'aise!», confie-t-elle à l'autre bout du fil. Tout en prenant des précautions: «Loin de moi l'idée de soutenir politiquement la parlementaire romande la plus riche, dont le positionnement politique est à l'extrême opposé du mien.»
Cela étant dit, alliée ou ennemie politique, peu importe, le sexisme touche toutes les femmes. Elle monte au créneau: «Cette question, on me l'a aussi posée, et ça m'a toujours énervée. Le pire — plus que d'en parler — c'est de lui demander 'comment elle va faire', Madame Amaudruz, avec un nouveau-né, en plus de son métier dans la banque et de sa carrière en politique. Comme si elle ne pouvait pas faire le choix de fonder une famille tout en continuant une carrière, qu'elle soit politique ou professionnelle. Si c'était un homme, on l'aurait juste félicité.»
Un exemple à l'appui: «D'après mes souvenirs, en 2019, lorsque le PLR Philippe Nantermod s'est représenté au Conseil national, alors qu'il était sur le point de devenir papa, personne (ndlr: aucun ou aucune journaliste) ne lui a demandé 'comment il allait faire' pour concilier sa vie privée et professionnelle.»
La mise en scène?
Contactée pour répondre à ces accusations, la journaliste et productrice de la RTS Nathalie Ducommun se montre surprise face à la position de la députée socialiste. Elle découvre ses Tweets incendiaires à la suite de notre coup de fil.
Nathalie Ducommun nous explique qu'il s'agissait en réalité d'une révélation négociée par avance avec la principale intéressée, dont la grossesse était effectivement un secret de Polichinelle dans le monde politico-médiatique: «Il a été convenu, dans le cadre de cette émission, qu'elle en fasse l'annonce officielle chez nous. Elle avait accepté d'en parler à l'antenne en amont, d'expliquer que c'était un heureux événement. D'où ma question.» L'apparent malaise de Céline Amaudruz face à cette dernière, qui transparaît à l'écran, tient donc plutôt de la mise en scène?
Un sujet tabou
Ça, le public ne pouvait en effet pas le savoir. Mais est-ce que ça change quelque chose, quant aux accusations de sexisme formulées par la députée valaisanne? Nathalie Ducommun soutient qu'il n'y avait aucune teneur discriminante dans sa question, au contraire. «La grossesse ne doit pas être taboue — c'est précisément ne pas être archaïque que d'en parler ouvertement. D'autant plus qu'il est inspirant pour les femmes de voir qu'il est possible de mener de front la carrière et la maternité!»
Elle enchaîne: «Céline Amaudruz témoigne du fait que c'était un défi, de mener une grossesse pendant la campagne pour les élections cantonales genevoises. Pour moi, ce sont des expériences de femmes importantes à partager!»
D'accord, mais est-ce que l'on donne autant d'importance à la paternité d'une figure publique? Nathalie Ducommun concède que ce n'est peut-être pas (encore) le cas, en 2023. Pourtant, ça devrait l'être: «Oui, il faut davantage interroger les hommes sur la question de la paternité dans les médias. D'autant plus que la difficulté de concilier la vie privée et la vie professionnelle est de plus en plus une réalité, aussi pour les hommes.» Ces derniers étant toujours davantage engagés dans leur vie familiale, avance Nathalie Ducommun.
Également contactée pour commenter son intervention à la RTS et les tweets qui en découlent, la conseillère nationale Céline Amaudruz n'a pas répondu à nos sollicitations.