Qu'elles soient de gauche ou de droite, jeunes ou moins jeunes, les politiciennes semblent encore, en 2023, être régulièrement confrontées au sexisme — dans un écosystème où les hommes sont encore bien majoritaires. En Suisse comme à l'étranger.
Le cas de Delphine Bachmann, la plus jeune candidate au Conseil d'État genevois pour les élections de ce dimanche, est peut-être le plus criant, ces derniers mois à Genève du moins. Traitée d'«opportuniste» ou de «trop directe» par d'autres politiques dans un portrait du «Temps», assaillie de commentaires vulgaires et sexualisants sur les réseaux sociaux...
Blick a demandé à la centriste de venir réagir dans nos colonnes. Pour dénoncer, avec d'autres, un sexisme qui parait inhérent à la campagne politique, que Genève a vu se jouer ces derniers mois (comme c'est le cas de toutes les campagnes électorales?). Trois consœurs la soutiennent. De la droite à la gauche, elles sont toutes d'accord pour dire que les choses doivent changer, d'une façon ou d'une autre.
Problèmes de légitimité, questions indiscrètes, commentaires vulgaires... Des choses qui n'arrivent pas (ou peu, ou très différemment) aux hommes. Voici ce que quatre des politiciennes les plus puissantes de Genève veulent dénoncer, en cette fin d'élections.
Plus souvent attaquées?
«Il faudra encore manger un peu de soupe, madame», «retourne t'occuper de tes enfants»... Quelques exemples de remarques que Delphine Bachmann peut lire sur sa personne, dans la section commentaires des médias, ou sur les réseaux sociaux.
La principale intéressée souligne d'entrée de jeu ne pas être la seule à avoir dû gérer des déferlements de haine et de mépris ces derniers mois: «Madame la Maire de Genève qui se fait menacer de se faire casser les dents, la Conseillère nationale UDC Céline Amaudruz qui a même failli se faire entarter par des hommes cagoulés…»
Les politiciennes sont-elles plus fréquemment prises pour cibles et intimidées que leurs homologues masculins? Il n'existe pas de science exacte pour en juger. Mais, à observer la campagne électorale genevoise, ce n'est pas impossible.
«Baisable»
Lorsque les femmes qui siègent sont visées par des détracteurs, ces derniers s'attaquent très souvent à leur physique. Delphine Bachmann témoigne: «Je n’ai aucun problème avec les gens qui contredisent mes idées. Mais un certain nombre de critiques que j’ai reçues pendant cette campagne électorale ne portaient pas du tout là-dessus…
Elle étaie: «On a scruté mes vêtements, ma posture. On m'a parfois fait des commentaires à caractère sexuel. On m’a dit, par exemple, que mon seul avantage était d’être 'baisable'. C'est vulgaire, mais on m'a vraiment dit ça. Est-ce que les hommes politiques font face aux mêmes remarques? Je ne le crois pas.»
La candidate au Conseil d'État libérale-radicale Anne Hiltpold, elle, dit ne pas avoir connu le même sort. Mais elle est choquée par les commentaires qu'elle a pu lire au sujet de sa consœur centriste: «C’est quoi, l’équivalant masculin de 'blondasse'? Il n’y en a pas. Là est tout le problème.»
Allez zou... aux fourneaux!
Et quand ce n'est pas leur apparence, c'est la vie privée des femmes qu'on aime particulièrement à examiner sur la place publique. Tout comme la candidate centriste, qu'un quidam a enjoint à retourner auprès de sa progéniture, Anne Hiltpold a elle aussi quelque chose à dénoncer au sujet de la maternité.
«On nous demande systématiquement si on a des enfants, et si oui, comment on va concilier la vie publique et la vie privée, affirme-t-elle. Alors que j’ai rarement entendu des journalistes poser cette question à des politiciens.» La femme de droite s’étant lancée en politique tout en élevant des enfants en garde partagée — elle sait de quoi elle parle.
Contactée pour s'exprimer sur la problématique générale du sexisme en politique, la ministre des Finances PLR Nathalie Fontanet se fend d'une réponse formelle, mais engagée. En sa qualité de conseillère d'État en charge de l'égalité à Genève, à la tête du Bureau de promotion de l'égalité et de prévention des violences (BPEV), elle affirme: «Il n'est pas acceptable que les femmes, quel que soit leur âge, soient traitées de manière différente que les hommes. Elles sont encore régulièrement ramenées à leur rôle de mère ou à leur physique. On leur reproche également souvent des comportements qui sont considérés comme des qualités chez les hommes: on qualifiera une femme d'opportuniste et un homme d'ambitieux. Il s'agit de biais sexistes que je condamne et qui n'ont plus lieu d'être.»
Toujours se justifier
Un autre sentiment que partagent Delphine Bachmann et Anne Hiltpold, est un certain ras-le-bol face à un besoin, tout féminin, de se justifier en permanence. «J’ai en effet l’impression de régulièrement devoir légitimer ma présence en politique, avant de pouvoir débattre de mes idées et avoir une chance d’être entendue sur le fond, regrette la centriste. C’est assez frustrant, car je travaille beaucoup et je pense pouvoir contribuer aux débats politiques. Mais dans la sphère professionnelle, ou au sein de mon propre parti, je n’ai jamais été confrontée à cela.»
Anne Hiltpold a elle aussi déjà dû se justifier à outrance, au moins une fois. Elle raconte: «À Carouge, où nous sommes trois femmes à l’exécutif, les gens ont parfois l’impression qu’on se fait marcher dessus par l’administration… à cause de notre genre. Ça n’a jamais été dit tel quel, mais c’est ce que j’ai compris entre les lignes.»
De la gauche à la droite
La conseillère nationale Verte Delphine Klopfenstein Broggini sympathise avec Delphine Bachmann quant aux commentaires haineux dont la centriste a fait l'objet, et dénonce elle aussi les dérives sexistes qui ont accompagné cette campagne électorale genevoise.
Mais pour elle, les partis politiques des femmes de droite qui témoignent ci-dessus font partie du problème. Car ils contribueraient, via les idéologies qu'ils défendent, à maintenir les inégalités entre les genres: «L’un des lieux du sexisme en politique, c’est aussi le parti de Madame Bachmann (ndlr: le Centre).»
L'écologiste poursuit: «La politique n’échappe pas au sexisme, surtout dans les partis conservateurs. On le voit avec le nouveau parlement genevois: plus de droite veut dire moins de femmes élues. Depuis le 2 avril 2023, l’égalité a vraiment reculé.»
Sur les douze prétendantes et prétendants au Conseil d'État genevois, dont le sort sera scellé ce 30 avril, cinq sont des femmes. L'exécutif sera-t-il plus paritaire que le législatif? Réponse ce dimanche.