Plante verte ou morceau de viande, voici comment semble être perçue la Première ministre finlandaise Sanna Marin sur les réseaux sociaux. Le fait qu’elle soit devenue membre du parlement de son pays à 30 ans, qu’elle ait été nommée ministre des Transports et des Communications à 34 et que sa nation ait enregistré le taux le plus bas d’infections au Covid-19, ça, ça passe largement à la trappe.
Qu’est-ce que vous voulez, avant d’être compétente, on semble surtout retenir que Sanna Marin est une femme et qu’elle a l’audace d’être jolie en plus… Oui, parce que c’est bien connu, quand on est jeune et «gâtée par la nature», forcément on n’est pas très sérieuse. Le débat se cristallise sur son jeune âge, sur son look et sur son décolleté. Qu’on se le dise: ce genre de remarques n’auraient très certainement jamais été évoquées si Sanna Marin avait été un homme. Ou, du moins, on aurait également retenu ses exploits politiques.
Heureusement pour elle, les médias, eux, semblent plus enclins à souligner ses compétences en matière de politique internationale, notamment depuis le début du conflit en Ukraine. Il n’empêche que le site d’informations britannique «DailyMail» a tout de même publié un article sur les capacités physiques «impressionnantes» de la Première ministre, qui s’était affichée en pleine séance de fitness dans un parc public…
Dans notre modeste petite Suisse, les femmes ne sont présentes que depuis peu sous la Coupole. Alors, nos politiciennes considérées comme «pimpantes» ou «jeunes et séduisantes» sont-elles prises aussi au sérieux que leurs homologues masculins? Et d’ailleurs, n’est-ce pas problématique de leur coller ce genre d’étiquettes? Blick a mené l’enquête.
It’s a man’s world
Avant d’entrer dans le vif du sujet, osons peut-être une question un peu provoc': le fait d’être plus jeune que ses collègues masculins ou avoir un physique considéré comme «avantageux» suffit-il à être victime de remarques sexistes? Spoiler alert: Non! «C’est triste à dire mais, dans les représentations, le premier attribut d’une femme… c’est d’en être une», lâche Aurélie Hofer, responsable projets de DécadréE.
Nous avons beau être en 2022, la gent féminine reste encore une exception: «Le monde politique a été construit par des hommes et pour des hommes. Rappelons que cela fait à peine plus de 50 ans que les femmes sont éligibles. En fait, les femmes sont encore perçues comme des éléments contre-nature dans des univers encore très masculins.» Un constat appuyé par Marta Roca i Escoda, chercheuse au Centre en Études genre de l’Université de Lausanne. Cette dernière note d’ailleurs que si les femmes restent encore minoritaires en politique, elles le sont également dans toutes les hautes sphères du pouvoir.
Être en minorité dans un milieu hypermasculin, une routine parfois pénible que certaines connaissent bien. Une députée bien connue en Suisse romande – qui a préféré rester anonyme – peut en certifier: «Certains vieux politiciens pensent que je débarque, alors que j’ai fait mes preuves. Cela fait 20 ans que je fais de la politique.»
«Jeune et pimpante» versus «vieux et grisonnants»
Cette politicienne n’est de loin pas la seule à ressentir ce déséquilibre. Contactée par Blick, Virna Conti, députée suppléante UDC au Grand Conseil de Genève, précise qu’elle est l’une des seules femmes, ainsi que la plus jeune au sein de son parti, et même au Grand Conseil à Genève. En plus de cela, la Genevoise explique que, même si elle n’a jamais été victime de gestes ou de mots graves, elle a déjà eu l’impression d’être un bout de viande.
Du haut de ses 27 ans, Virna Conti a compris qu’en tant que femme, il fallait en faire plus pour prétendre faire jeu égal avec ses homologues masculins. Pour se démarquer, elle n’hésite donc pas à se montrer piquante: «J’aime bien jouer la carte de l’impertinence. Lorsque je reçois une remarque lourde sur mon physique ou ma tenue, je réponds des trucs comme 'Oui, merci du compliment. Bon, dis-moi quelque chose que je ne sais pas maintenant'.»
Mais alors, être jeune et considérée comme étant «avantagée par la nature», est-ce une tare lorsqu’on se lance en politique? Pour Marta Roca i Escoda, on est doublement discriminée: «Si on est moins prise au sérieux à cause de son sexe, la jeunesse, quant à elle, est fortement assimilée à un manque d’expérience.»
De son côté, la responsable projets de DécadréE signale que le physique féminin est jugé de manière très stéréotypée, ce qui participe à une forme de décrédibilisation: «Quand on parle du physique des hommes, on les valorise. Quand on décrit celui des femmes, on l’essentialise et on le chosifie. Par 'jeune et pimpante' on entend 'adolescente élégante' et par 'hommes grisonnants', on comprend 'matures'. Force est donc de constater que cette comparaison est déséquilibrée. Qui associe beauté et expertise? Personne.»
Les médias: coupables?
Le problème, c’est que ces clichés de genre sont loin d’être des perceptions individuelles. Ils s’ancrent dans un système plus grand qui contribue à discréditer les femmes. «Les médias participent pleinement à reproduire le sexisme de notre société. Ils reproduisent ces biais car ils reflètent aussi notre monde. Ils participent donc à invisibiliser les femmes», indique la responsable projets de DécadréE.
En plus du fait que les femmes ne représentaient que 28% des personnes mentionnées dans les médias en 2020, une étude signée DécadréE et publiée la même année va plus loin: le physique des femmes politiques est deux fois plus décrit que celui de leurs confrères. Autre exemple, sur 288 coupures de presse romande analysées depuis début janvier 2022 par l’institut DécadréE, plus de 15% des articles utilisent des adjectifs comme 'souriante', 'pétillante', 'au regard doux' pour décrire les femmes. «Sans compter la mention trop souvent répétée de leur âge ou leur jeunesse», explique Aurélie Hofer.
La présidente du Conseil national Irène Kälin en a d’ailleurs fait les frais récemment: «Lors de ma visite officielle en Ukraine fin avril, on s’est largement empressé de commenter ma tenue et mon allure dans les médias», explique la Verte argovienne. Elle ajoute que les journalistes n’ont pas été les seuls à examiner son physique.
Les anonymes aussi ont voulu y aller de leur petite remarque sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, on a qualifié son apparence de négligée pour ensuite questionner sa légitimité à représenter la Suisse…
Virna Conti aussi a fait l’objet de commentaire douteux sur la Toile: «On m’a qualifiée de plante verte. Je trouve ça nul parce que la politique, ce n’est pas un concours de beauté! Ça va bien au-delà!»
Pour en finir avec les clichés sexistes
Quelles sont les solutions pour s’en sortir et être considérée comme plus qu’un corps lorsqu’on est une femme en politique? Pour notre interlocutrice qui a souhaité protéger son identité, il est important d’en parler. Pourtant, aborder le thème trop souvent pourrait être «piégeux». «Vous savez, j’ai déjà été sollicitée plusieurs fois par des journalistes pour m’exprimer sur la question. J’ai toujours refusé de me mettre en avant ou de me prononcer publiquement car je pense qu’en faire un sujet de débat accentue le fait que les femmes se distinguent par leur apparence. Vous voyez ce que je veux dire?»
Ignorer la problématique pour tenter de l’enterrer, est-ce la bonne solution? Pas sûr. Pour Irène Kälin, il est important d’en discuter et de la mettre sur le devant de la scène afin d’éveiller les consciences. Mais surtout: «Pour en finir avec ça, il faudrait que les femmes dans leur globalité ne soient plus minoritaires en politique».
Ce constat est partagé par Marta Roca i Escoda. «Avoir plus de femmes dans les hautes sphères est un premier pas nécessaire mais pas suffisant pour arriver à l’égalité», explique la chercheuse, avant d’ajouter que les médias pourraient également aller plus loin dans leur manière de représenter le monde. «Même si des efforts ont été fournis ces dix dernières années, les médias devraient être à la pointe en ce qui concerne les questions de genre, puisqu’ils contribuent à la création des normes sur lesquelles les gens se basent.»
Lancé en 2019 par la directrice financière du groupe Ringier, Annabella Bassler, le projet «Equal Voice» a pour but d’augmenter la couverture des femmes dans les médias. «L’idée du projet m’est venue à la suite d’un événement professionnel où l’on m’a demandé comment je conciliais mon travail et ma vie de famille. Après ça, je me suis dit qu’on manquait clairement de modèles féminins. Mais qui pouvait donc bien mettre les femmes sur le devant de la scène? Les médias bien entendu! En tant que directrice financière de l'un des plus grands groupes de presse de Suisse, je me devais donc de relever ce défi», explique Annabella Bassler.
Plutôt que d’exiger des quotas, Ringier a préféré faire développer un algorithme appelé l’EqualVoice-Factor. Ce dernier permet de mesurer la visibilité des femmes dans les publications de Ringier et Ringier Axel Springer Suisse. «L’EqualVoice-Factor détient deux indicateurs: le Teaser Score qui mesure la visibilité des femmes dans les images, les titres et les rubriques, et le Body Score qui calcule la fréquence à laquelle les femmes et les hommes sont mentionnés dans les articles», précise la CFO.
Pour Annabella Bassler c’est sûr, le projet permet de poser une base de discussions objective pour ensuite initier des changements quantifiables. «Jusqu’à présent, les résultats de cette initiative sont plutôt réjouissants. On remarque que l’importance de donner davantage de visibilité aux femmes a largement été internalisée dans les rédactions. Depuis le lancement du projet, le Teaser Score a augmenté de 45% pour le quotidien «Handelszeitung» et de 37% pour le guide gastronomique «Gault et Millau». Le Body Score a quant à lui augmenté de 49% pour la «Handelszeitung» et de 19% pour «Gault et Millau».
Lancé en 2019 par la directrice financière du groupe Ringier, Annabella Bassler, le projet «Equal Voice» a pour but d’augmenter la couverture des femmes dans les médias. «L’idée du projet m’est venue à la suite d’un événement professionnel où l’on m’a demandé comment je conciliais mon travail et ma vie de famille. Après ça, je me suis dit qu’on manquait clairement de modèles féminins. Mais qui pouvait donc bien mettre les femmes sur le devant de la scène? Les médias bien entendu! En tant que directrice financière de l'un des plus grands groupes de presse de Suisse, je me devais donc de relever ce défi», explique Annabella Bassler.
Plutôt que d’exiger des quotas, Ringier a préféré faire développer un algorithme appelé l’EqualVoice-Factor. Ce dernier permet de mesurer la visibilité des femmes dans les publications de Ringier et Ringier Axel Springer Suisse. «L’EqualVoice-Factor détient deux indicateurs: le Teaser Score qui mesure la visibilité des femmes dans les images, les titres et les rubriques, et le Body Score qui calcule la fréquence à laquelle les femmes et les hommes sont mentionnés dans les articles», précise la CFO.
Pour Annabella Bassler c’est sûr, le projet permet de poser une base de discussions objective pour ensuite initier des changements quantifiables. «Jusqu’à présent, les résultats de cette initiative sont plutôt réjouissants. On remarque que l’importance de donner davantage de visibilité aux femmes a largement été internalisée dans les rédactions. Depuis le lancement du projet, le Teaser Score a augmenté de 45% pour le quotidien «Handelszeitung» et de 37% pour le guide gastronomique «Gault et Millau». Le Body Score a quant à lui augmenté de 49% pour la «Handelszeitung» et de 19% pour «Gault et Millau».