Déferlante de haine
Pourquoi tout le monde déteste Amber Heard?

Alors que le procès qui oppose Amber Heard et Johnny Depp bat son plein, le monde semble s'être accordé pour dire que l'actrice ment. Pourquoi tant de haine? Décryptage avec Valérie Vuille, directrice de DécadréE, institut de recherches sur l'égalité dans les médias.
Publié: 11.05.2022 à 06:05 heures
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Dernière mise à jour: 11.05.2022 à 10:21 heures
Le procès qui oppose Amber Heard et Johnny Depp est aussi appelé le Procès de Fairfax. Il a débuté le 11 avril 2022.
Photo: Dukas/ATS
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Des vidéos TikTok singeant sa façon de s’exprimer, des mèmes qui taclent son physique ou des huées au sortir du tribunal, Amber Heard est devenue la risée des réseaux sociaux et du public de façon générale. Depuis l’ouverture du second procès pour diffamation intenté par son ex-mari Johnny Depp, l’actrice américaine s’en prend plein la tronche.

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Pourquoi le public est-il si enclin à penser qu’Amber Heard ment? Ses détracteurs représentent-ils vraiment la majorité? Quelles sont les conséquences d’une telle déferlante de colère? Experte sur les questions d’égalité de genre dans les médias, Valérie Vuille répond.

Blick: Depuis quelque temps sur les réseaux et ailleurs, une véritable vague de haine s’est abattue sur Amber Heard…
Valérie Vuille: Attention, les réseaux ne représentent pas la réalité de l’opinion publique. En fait, les réseaux sociaux sont en quelque sorte pris d’assaut par un petit pourcentage de personnes. Il y a très peu de gens qui s’expriment en comparaison à tous ceux qui se trouvent dessus.

Les réseaux sociaux et les médias participent quand même à influencer l’avis des gens, non?
Effectivement, lorsqu’on voit la manière dont l’affaire est commentée et qu’on se penche ensuite sur l’opinion publique, on voit que cette dernière est largement influencée par cette parole unilatérale et qu’il y a clairement un parti pris pour Johnny Depp.

Pourquoi se sent-on si impliqué par cette affaire alors qu’on ne connaît même pas les personnes concernées?
Il y a deux choses. La première est que celui qui est au centre de cette polémique n’est pas n’importe qui. Contrairement à des Weinstein ou autres, il s’agit là d’une star internationale. Johnny Depp a cette aura de célébrité, il a des fans et il est admiré. D’un coup, cette image se brise et le public doit alors concilier plusieurs représentations dissonantes d’une même personne. La seconde chose, c’est qu’il s’agit d’un procès symbolique à l’ère post-#MeToo.

On assiste donc à une sorte d’effet boomerang du mouvement #MeToo, selon vous?
Tout à fait. Ce qu’il faut bien noter c’est qu’il s’agit ici d’un procès en diffamation. C’est-à-dire que c’est un procès qui remet en question la parole de la victime. Il y en a de plus en plus de ces affaires, justement. Je pense aussi à l’affaire PPDA. Après #MeToo, on a beaucoup parlé de parole libérée. Mais là on constate que cette parole, on ne veut plus l’entendre. On veut l’éteindre. Au niveau des pensées féministes, on parle de «backlash».

Sale temps pour les mouvements féministes, alors?
On est clairement dans une période compliquée, oui. On le voit avec le harcèlement sur les réseaux ou avec certaines affaires comme celle-ci. Tout d’un coup, une parole va être remise en question, voire pointée du doigt de manière virulente.

Pour revenir à l’affaire Heard contre Depp: pourquoi est-on si enclin à penser que l’actrice ment concernant les violences qu’elle aurait subies?
Parce qu’Amber Heard ne correspond pas à ce qu’on appelle «la bonne victime». Des analyses sociologiques démontrent d’ailleurs que les profils des victimes et des auteurs influencent la manière dont on va comprendre, crédibiliser et légitimer leur parole. Mais Amber Heard, elle, n’entre pas dans ce carcan-là. Johnny Depp, lui, correspond à l’image d’un homme qui serait bafoué, trahi et victime de sa propre notoriété.

Mais alors, elle ressemble à quoi «la bonne victime»?
La victime parfaite n’existe pas. C’est toujours perdu d’avance. En fait, il a toujours un double standard qui s’opère et on le voit dans cette affaire.

C’est-à-dire?
Et bien tout ce qui pourrait être perçu comme une erreur de parcours est utilisé pour décrédibiliser la victime. Mais pour l’auteur, c’est le contraire. On utilise ses fautes pour justifier ses agissements. Le fait que Johnny Depp n’aurait pas eu une vie facile ou qu’il ne pouvait pas maîtriser son comportement à 100% à un moment donné, va le déresponsabiliser et déjouer cette image de potentiel agresseur.

Cela explique donc la différence de traitement entre Amber Heard et Johnny Depp, qui est largement défendu sur les réseaux sociaux…
Exact. Dans le cas de Johnny Depp, on a parlé d’alcool, de drogues, de son enfance, de sa famille… Des éléments qui pourraient éventuellement expliquer ses agissements voire l’excuser. On sait selon l’OMS que les substances illicites ou les violences au sein du cercle de proches sont des facteurs de risques qui peuvent amener à se montrer soi-même violent. Pourtant, là, ça va participer à créer une image de victime. En fait, Johnny Depp serait victime de son propre comportement, de sa dépendance et d’Amber Heard. C’est le principe même de la culture du viol: on va excuser l’auteur et responsabiliser la victime.

En parlant de drogues, il paraît que l’actrice en aurait aussi consommé…
La question n'est pas de savoir qui a consommé quoi, mais comment ces éléments sont compris et perçus. Dans son cas, tout comportement en lien avec l’alcool ou la drogue va participer à la décrédibiliser. Tout d’un coup, elle devient toxique et porteuse de violences, tandis que pour Johnny Depp, ça participe à l’excuser. Il est là, le double standard…

Qu’en est-il des échanges de mails ou de messages prouvant que l’acteur a menacé de brûler son ex-femme et d’avoir des relations sexuelles avec son cadavre…
Il est intéressant de noter que cela semble totalement mis sous le tapis. Pourtant on continue de faire circuler l’enregistrement vocal d’Amber Heard qui dit: «Si tu dis que tu es victime de violence conjugale, personne ne te croira.» Des mots, qui, je précise, sont totalement sortis de leur contexte. On ne sait pas d’où ça vient… Il n’empêche que c’est considéré comme une preuve accablante pour l’actrice.

Peut-on dire que l’interprétation des preuves est biaisée?
En effet, on est face à une lecture des faits qui n’est pas du tout similaire d’un côté et de l’autre. C’est ça qui va contribuer à façonner l’avis des gens. En réalité, l’opinion générale est déjà faite. On va donc prendre tout ce qui va la confirmer et remettre en question ou oublier tout ce qui la mettrait en doute.

À ce train-là, on peut avancer qu’on connaît déjà le verdict du procès: Amber Heard va perdre.
Il faut distinguer deux choses: le procès médiatique et la justice. Au niveau légal, on est face à un fait très précis: il s’agit d’un procès pour diffamation à la suite d’un édito relayé par le «Washinton Post» où Amber Heard explique avoir été victime de violences conjugales, sans même mentionner le nom de Johnny Depp. Peut-être que la justice américaine, qui est très portée sur la liberté d’expression, va tout de même donner raison à l’actrice en avançant qu’elle avait le droit de s’exprimer sans donner de nom ou accuser Johnny Depp frontalement. Maintenant, les questions qu’il faut se poser sont: est-ce que Johnny Depp a vraiment lancé ce procès pour diffamation pour avoir raison sur ce point, alors même qu’on lui a déjà donné tort une première fois en 2020? Est-ce qu’il a pris cet outil-là afin de perpétrer une nouvelle violence – puisqu’on force son ex à raconter les horreurs qu’elle aurait vécues? Et finalement, est-ce qu’il s’agit là d’une manière de gagner le procès médiatique, étant donné qu’il est en position de force?

Si je vous suis, le verdict n’a que peu d’importance. Johnny Depp reste et restera en position de force.
Absolument. Qu’on lui donne raison ou tort, cela ne va pas changer ce qui est en train de se passer maintenant. On voit d’ailleurs que beaucoup d’auteurs qui ont été condamnés par la justice ne sont pas cloués au pilori pour autant. L’opinion publique n’a pas changé vis-à-vis de ces agresseurs… Quant aux victimes, on considère qu’elles exagèrent ou pire, qu’elles ont tout manigancé.

Amber Heard est donc devenue le cliché de la femme vénale et manipulatrice...
Exactement. Et le fait qu’elle ait gagné en popularité en se mariant à Johnny Depp, qu’elle témoigne contre lui et qu’elle ait eu des dires violents envers son ex, tout cela participe à la décrédibiliser. En plus de la faire passer pour une femme calculatrice, on peut aussi parler du mythe de la folie dans laquelle on inscrit l’actrice.

Vous voulez dire qu’on fait passer Amber Heard pour une folle?
Eh bien vous remarquerez qu’on questionne beaucoup la santé mentale de l’actrice, mais pas dans une forme d’inquiétude… On a d’ailleurs nié le syndrome post-traumatique que des psychiatres lui ont diagnostiqué. En revanche, on est d’accord pour dire qu’elle est atteinte de troubles de la personnalité. En plus de l’image de profiteuse qu’on lui colle, Amber Heard est considérée comme étant une personne hystérique, incapable de contrôler ses émotions et qui peut aller jusqu’à avancer de fausses accusations.

Pourtant, les fausses accusations, ça existe…
Ça, justement, c’est le fantasme suprême. On sait bien que les fausses accusations sont très rares et on sait aussi que pour une personne qui accuse, être entendue et exiger que justice soit faite s’apparente à un vrai parcours du combattant.

En parlant du parcours du combattant, certains arguent que c’est très compliqué de redorer sa réputation et remettre sa carrière sur les rails après ce genre d’accusations. Quelle est votre analyse?
On a effectivement mis l’accent sur tout ce que Johnny Depp avait perdu durant le procès. Beaucoup d’articles mentionnent la mise en péril de sa carrière ou tout l’argent qu’il a dépensé durant cette affaire. A contrario, sur les réseaux ou dans les coupures de presse, on évoque très peu voire pas du tout les pertes d’Amber Heard. Elle aussi voit sa carrière mise en danger. Je veux dire, il y a des pétitions qui circulent pour qu’elle n'apparaisse pas dans le prochain «Aquaman»…

En parallèle, d’autres avancent qu’Amber Heard décrédibilise la cause féministe.
Oui, et c’est très problématique de considérer que la parole d’une femme peut décrédibiliser toutes les autres. La parole n’est pas parfaite, elle est multiple et elle doit être entendue quoi qu’il arrive.

La façon dont l’actrice est traitée pourrait-elle avoir des conséquences pour celles qui voudraient potentiellement porter plainte contre un conjoint violent?
Disons que la mise en doute de la parole des femmes ne naît pas de nulle part. Cela existe déjà depuis bien longtemps. Toutefois, je pense que cette affaire va cristalliser voire confirmer l’idée selon laquelle les femmes ne seraient pas aussi innocentes qu’elles le prétendent. C’est triste à dire, mais il est possible que tout ça ait un impact dangereux pour la gent féminine. En particulier pour celles qui dénoncent des violences.

J’imagine que l’inverse est aussi envisageable: les hommes victimes de violences conjugales pourraient être poussés à faire appel à la justice…
J’en doute, et pour plusieurs raisons. Malheureusement, je ne pense pas que la manière dont ce procès est perçu ou commenté puisse permettre aux gens de se projeter. Ce qui se passe ne correspond pas à la réalité de nombreuses personnes. Cette affaire nous vend le mythe de l’amour toxique et destructeur. On nous parle d’alcool, de drogue et d’argent qui coule à flots… Donc non, je ne pense pas que ce procès puisse être utile pour sensibiliser à la violence conjugale, femmes et hommes confondus. Finalement, il s’agit d’un procès pour diffamation et pas pour violences conjugales. Un détail qui a son importance puisque l’enjeu ici, c’est la libération, le droit à la parole, et non pas de dénoncer qui a été violent envers qui.


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