Une PLR contre le sexisme
«Venir siéger au parlement avec son bébé, c’est risqué»

Elle avait mis Blick dans le coup en amont: l'élue PLR genevoise Diane Barbier-Mueller est venue siéger au parlement avec son bébé dans les bras, le jeudi 2 février. Elle nous explique en quoi ce geste est un manifeste pour plus d'égalité en politique. Interview
Publié: 02.02.2023 à 18:01 heures
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Dernière mise à jour: 02.02.2023 à 18:03 heures
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Diane Barbier-Mueller (photo) a siégé au parlement genevois avec son enfant le 2 février. À ses risques et périls?
Photo: Daniella Gorbunova

Être une «bonne mère», une bonne cheffe d’entreprise, ou une bonne politicienne? Elle incarne une génération qui refuse de choisir (et qui n’a pas peur de le dire). L’élue PLR au parlement de Genève Diane Barbier-Mueller s’est présentée au Grand Conseil avec son bébé dans les bras, le jeudi 2 février. Et ce n’est pas faute de nounou — mais faute d’assez d’égalité en politique.

Elle a accepté de mettre Blick dans le coup en amont, nous accordant une interview pour expliquer sa démarche — planifiée et assumée — la semaine précédente. Le jour J, nous la retrouvons à l’Hôtel-de-Ville pour immortaliser le moment en photo, avant de publier le présent article (rédigé en avance).

«Et j'y retourne, avec ma petite, à la séance de demain!» La politicienne de droite, qui est aussi cheffe d’entreprise dans le domaine de l’immobilier, nous a en effet accueillis dans son bureau la semaine dernière, pour parler politique, maternité et féminisme. Car, aujourd’hui, se présenter au parlement avec son bambin, lorsqu’on est encore en congé maternité, comme c’est le cas de Diane Barbier-Mueller, c’est risquer de perdre ses allocations. Et, dans le pire des cas, celle qui ose venir siéger avec son bébé peut même se faire claquer la porte au nez (voir l'encadré ci-dessous).

Diane Barbier-Mueller ne veut plus d’une politique suisse qui péjore les jeunes mères. Lorsqu’on arrive dans les locaux de la régie immobilière familiale Pilet Renaud, cogérée par la politicienne, pour réaliser l’interview, Diane Barbier-Mueller nous accueille dans une petite salle à la déco Belle Époque. Sa petite fille, née en octobre 2022, ne bronchera pas pendant toute l’heure qu’a duré l’entretien. «J’ai beaucoup de chance pour ça, elle est calme!», souligne l'élue, dont le congé maternité prend fin à la mi-février de cette année.

Venir siéger au Grand Conseil avec son enfant, c’est un geste de provocation politique?
Ce n’est pas de la provocation, non. Siéger durant mon congé maternité, c’est plutôt un risque que je prends. Nous manquons de députés suppléants pour cette session. Si je n’étais pas là aujourd’hui, nous aurions donc perdu une voix. Et puis j'ai déjà dû m'absenter pour ce congé maternité durant quelques mois, alors que les élections approchent...

Vous dites que c’est un risque d’être présente aujourd’hui, pourquoi?
Rien que le fait de retourner au parlement avant la fin de mon congé maternité — avec ou sans mon enfant — risque de me faire perdre deux semaines d'indemnités… Alors que je suis parfaitement en état de siéger, psychologiquement comme physiquement! Mon engagement politique devrait être différencié de mon activité professionnelle, qui me prend beaucoup plus de temps. La seule contrainte que j’ai, c’est l’allaitement de ma fille. D’où sa présence au Grand Conseil avec moi ce soir.

Si ce n’est pas de la provoc, c’est en tout cas un geste féministe, non?
Oui, car je trouve que notre société est encore pleine de contradictions à l’égard du rôle des femmes. Si un homme devait arrêter de siéger pendant quatre mois après avoir eu un enfant, nous ne serions pas en train d’avoir cette conversation, puisqu'une telle disposition légale aurait été abrogée depuis longtemps! Alors que pour les femmes, les attentes se contredisent: d’un côté, on nous dit qu’on doit s'investir dans une carrière, et de l'autre qu'il est important de «prendre du temps pour nous». Mais il faut aussi et surtout faire des enfants, et s’en occuper. Puis s’occuper de ses parents, de son conjoint… Il y a tellement d’injonctions dans tous les sens. Moi, j’aime mon travail, mais j’aime aussi mon mandat parlementaire et je voulais avoir des enfants. Je n'ai pas voulu être obligée de choisir entre ces trois voies. C’est aussi pour défendre cette posture que je suis là aujourd’hui.

Le fardeau des politiciennes

Un cas de figure qui illustre bien la problématique du congé maternité des politiciennes suisses, et qui avait ému à l’international, en 2018, est celui de l’élue bâloise Verte Lea Steinle. Sortie de la salle pour allaiter son nouveau-né, le président du parlement ne l’avait pas laissé revenir pour voter. Sous prétexte que le bébé, qui n’était pas un parlementaire, n’avait pas le droit d’être dans la salle…

Autre exemple: la conseillère nationale Vert’libérale Kathrin Bertschy avait dû rembourser son indemnité de congé maternité, pour avoir siégé pendant ce dernier en, 2019.

Pourtant, la politique, en Suisse, est une politique de milice. Ce qui signifie que siéger dans un parlement n’est, traditionnellement, pas considéré comme une activité professionnelle. Pourtant, l'on retire leurs indemnités aux jeunes mamans qui siègent comme si c'était le cas.

Un cas de figure qui illustre bien la problématique du congé maternité des politiciennes suisses, et qui avait ému à l’international, en 2018, est celui de l’élue bâloise Verte Lea Steinle. Sortie de la salle pour allaiter son nouveau-né, le président du parlement ne l’avait pas laissé revenir pour voter. Sous prétexte que le bébé, qui n’était pas un parlementaire, n’avait pas le droit d’être dans la salle…

Autre exemple: la conseillère nationale Vert’libérale Kathrin Bertschy avait dû rembourser son indemnité de congé maternité, pour avoir siégé pendant ce dernier en, 2019.

Pourtant, la politique, en Suisse, est une politique de milice. Ce qui signifie que siéger dans un parlement n’est, traditionnellement, pas considéré comme une activité professionnelle. Pourtant, l'on retire leurs indemnités aux jeunes mamans qui siègent comme si c'était le cas.

Donc «tout avoir», quand on est une femme, c’est possible mais ça a un prix. Lequel?
Oui, c’est possible. À 30 ans, j’en suis la preuve. Et le prix à payer pour ça, c’est de devoir jongler entre les différentes activités, en mettant parfois de côté certains choix personnels. Lorsque j’ai débuté en politique, il y a cinq ans avec mon élection au Grand Conseil, j’ai entendu tellement de phrases du style: «tu ne vas jamais trouver un mari qui veut d’une femme aussi carriériste», ou encore «si t’as des enfants, tu vas arrêter le travail ou la politique?» Résultat: je n’ai rien arrêté du tout! Par ailleurs, mon engagement a pour but de représenter les femmes qui souhaitent concilier une vie professionnelle avec une vie de famille — sans craindre de tout perdre.

Est-ce que vous êtes féministe?
J'ai la chance d'avoir grandi dans une famille où nous avons été traités de manière très égalitaire, entre garçons et filles. Donc, pendant longtemps, je ne voyais pas vraiment l’utilité du féminisme. Jusqu’à ce que j’arrive en politique, et que ma carrière dans l’immobilier ne décolle! (rires) C’est lorsque je suis devenue une décideuse, avec des postes à responsabilités, que j’ai commencé à véritablement expérimenter le sexisme. J’ai réalisé que nous vivons toujours dans une société qui n’est pas tout à fait adaptée au fait que les femmes puissent concilier vie privée et carrière. C'est à ce moment que j'ai réalisé l'importance des combats des femmes, et que je suis devenue féministe. Mais de droite.

Le féminisme de droite versus de gauche, est-ce vraiment un clivage?
Moi, je défends surtout mon droit de travailler sans pour autant passer pour une mauvaise mère. Et je ne me retrouve pas forcément dans les combats portés par les féministes de gauche. Par exemple en matière de congé maternité: elles se battent pour le rallonger, moi je me bats plutôt pour obtenir un vrai congé paternité. Car c’est seulement à partir du moment où les hommes et les femmes auront le même congé parental que nous pourrons revoir notre modèle de société, encore patriarcal aujourd’hui. Il faut que tous aient les mêmes interrogations au moment de postuler pour un nouvel emploi, lorsqu'on est en âge de construire une famille.

Si un homme était venu siéger au parlement avec son enfant dans les bras, ça déclencherait les mêmes réactions vous pensez?
Déjà, la gauche et la droite n’auraient pas les mêmes réactions (rires). Mais si un homme faisait la même chose que moi, là maintenant, toute l’assemblée flatterait probablement son courage et son implication dans sa vie de famille. De mon côté, je pense susciter des réactions plus mitigées. C’est comme lorsqu’un homme doit exceptionnellement partir plus tôt du bureau, pour aller chercher ses enfants à l’école. Ses collègues se disent alors: il est tellement sympa! Quel bon papa, il s’implique! Si une femme quitte le travail pour aller chercher ses enfants, on va plutôt penser que c'est bien normal, que c'est son devoir de le faire. Implicitement, cela signifie qu'une femme est réduite à ce rôle maternel, au détriment de ses ambitions personnelles. Ce n'est pas juste.

Diane Barbier-Mueller nous a accueillis dans sa régie familiale pour parler congé maternité la semaine dernières.

Pourquoi est-ce qu’on n’a toujours pas atteint l’égalité en politique en fait?
On ne peut pas créer l’égalité en divisant, en catégorisant et en distinguant les gens toujours davantage, comme le voudraient certains et certaines. C’est pour cela que je ne comprends pas les événements qui se déroulent en «mixité choisie», par exemple. Ça cristallise les frustrations, et ça crée des scissions par l'exclusion. On n'avance pas.

Je crois comprendre que vous parlez de la gauche en disant ça. Pourtant, à droite, niveau égalité, ce n’est pas tout rose non plus…
Il est vrai qu'il y a encore quelques soucis d’ouverture d’esprit pour certaines personnes de droite. Mais c'est surtout un problème de double standard. Soit l'on est considérée comme une «femme forte», avec les codes masculins que cela implique d'adopter. Soit on assume son côté féminin ou féministe, et on court le risque de n'être jugée que sur cela.

Quelle est la chose la plus sexiste qu’on vous a jamais dite en politique?
On m’a déjà dit, lors d’une séance parlementaire, que je n’avais pas voté comme il fallait car je n’avais pas bien compris le sujet… Ça m'a fait rire. J’ai le droit d’avoir une opinion différente de la majorité sans passer pour une gourde, quand même.

Si vous êtes réélue, comment comptez-vous lutter pour plus d’égalité - très concrètement?
Je veux encourager les mesures permettant aux couples de trouver un équilibre. Cela passerait par une meilleure implication des hommes dans leur vie de famille, et une plus grande flexibilité au travail, par exemple. Je pense qu'une initiative cantonale qui permette aux élues de siéger pendant leur congé maternité, si elles le souhaitent, favoriserait des candidatures plus jeunes aux parlements. Certains cantons suisses, comme Lucerne par exemple, ont déjà un dispositif légal qui permet cela.

Si vous pouviez faire passer un message à Berne à ce propos, ce serait lequel?
Heureusement, Berne est également en train de se saisir de cette problématique, grâce à une pétition de l’Alliance de sociétés féminines suisses (alliance F), qui veut permettre aux parlementaires en congé maternité de siéger pendant ce dernier.

Un message à faire passer à vos collègues masculins et vos confrères en politique?
Une vie de famille se construit à deux. Aujourd'hui, c'est dépassé de penser que seule la mère doit s'occuper des enfants. L'accomplissement de chacun et chacune passe par un équilibre au niveau professionnel, mais aussi au niveau personnel. Et voir grandir les enfants que l'on a choisis d'avoir en fait partie. Il faut que tous et toutes puissent le faire selon ses aspirations, sans frustrations. J'encourage donc chaque homme à apprendre à concilier ces deux voies — comme le font les femmes depuis qu'elles ont rejoint le monde professionnel!

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