Féministe, écologiste, opposée à «un capitalisme sans limites»... mais de droite quand même (est-ce seulement possible? On y reviendra). Avec 16’975 voix amassées au premier tour des élections genevoises le 2 avril, la PLR Diane Barbier-Mueller est la femme la mieux (ré)élue de Genève, tous partis confondus — hormis les candidates au Conseil d’État, qui se sont aussi présentées au Parlement, selon l’usage. Et elle ne compte pas s’arrêter là: en septembre prochain, elle visera un siège de conseillère nationale à Berne.
La politicienne, qui dirige l’agence immobilière familiale Pilet & Renaud avec son père et sa sœur, a accepté d’ouvrir les portes de son intimité à Blick. Elle nous accueille, le photographe et moi, dans sa nouvelle maison à Thônex, où elle vit avec son mari et ses deux enfants depuis un peu plus d'un an. C'est une première pour la femme de 32 ans, pour qui la protection de la vie privée est fondamentale. À notre arrivée, elle confesse une certaine gêne: «J'ai eu une éducation protestante à l'ancienne (rires). Je n'aime pas trop me mettre ainsi en avant, d'habitude...»
Je n'insisterai donc pas sur les anecdotes privées: nous sommes surtout là pour parler politique. Mais, avant de nous expliquer ce qui fait d’elle une élue de droite pas comme les autres, notre hôte accepte tout de même de révéler un peu la femme qui se cache derrière la politicienne. À travers une visite guidée de son chez-elle: «Une passion un peu rare que j'entretiens, par exemple, est la collection de livres anciens. Surtout ceux du XVIIe et du XIXe — ces périodes me fascinent.»
Elle sort un de ses joyaux de sa (grande) bibliothèque: c'est une version originale, en russe, du «Capital» de Karl Marx (photo). Diane Barbier-Mueller a conscience de l'ironie de cet achat. Ça la fait même sourire: «Ce philosophe communiste se retournerait probablement dans sa tombe, s'il savait que ses livres sont devenus des objets de collection vendus aux enchères, des années après sa mort!»
Gisèle Halimi et grand-maman
La trentenaire est la première personne de sa famille — très connue dans les domaines de l'immobilier et de l'art, notamment — à faire de la politique. Ça lui est venu assez tôt: «Comme beaucoup de jeunes, adolescente, je rêvais d’un monde meilleur.» Elle va d’abord prospecter du côté du PDC, dont elle apprécie l'engagement en faveur des familles. Mais son opposition au mariage pour tous, à l’époque, ne colle pas à ses valeurs libérales: «Le PLR, lui, l'a toujours soutenu...»
La jeune femme rejoint finalement le grand parti bleu, qu'elle juge plus cohérent. Elle est inspirée par Gisèle Halimi, figure féministe et femme politique franco-tunisienne, et surtout par sa grand-mère paternelle, Monique Barbier-Mueller. Les deux femmes ont toujours entretenu une relation fusionnelle.
Elle raconte: «Monique était une force de l'ombre. Ma famille n'aurait jamais tant accompli sans elle! À la fin du siècle passé, elle a fait un énorme travail d'activisme pour la lutte contre le VIH en Afrique, notamment à travers la musique. Elle a aussi ouvert plusieurs écoles sur ce continent, pour ne citer que deux de ses faits d'armes.» Au deuxième étage de la maison, dans un couloir, trônent deux grands portraits de ses aïeux: Jean Paul et Monique Barbier-Mueller, des photos prises par Andy Warhol himself (les images au mur sont une réplique).
Une féministe de droite
Retour à la politique. Une fois les images capturées, le photographe parti, on s'installe sur un canapé. Elle dit encore être sous le choc, après les résultats du 2 avril. «Honnêtement, je n’y crois toujours pas. Et j’anticipe votre prochaine question: non, je ne sais pas comment j’ai fait, je n’ai pas de secret!» Si Diane Barbier-Mueller s'est fait réélire haut la main, c'est en réalité le cas de peu de politiciennes.
Pourquoi les Genevoises et les Genevois votent-ils si peu pour les femmes? Diane Barbier-Mueller perçoit deux explications possibles. Premièrement, il y a la question de la «légitimité». «De manière générale, j’ai l’impression qu’on a tendance à minimiser nos exploits, par rapport aux hommes. Et cette humilité excessive nous dessert, dans le monde professionnel comme en politique.»
Puis vient la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle: «Lorsque je fais du 'démarchage' pour tenter de motiver des femmes à se présenter, elles invoquent souvent leurs enfants en bas âge. Elles se demandent si elles ne deviendraient pas de mauvaises mères, dans le cas où elles s'engageraient en politique. A contrario, je n’ai presque jamais entendu les jeunes papas formuler ce genre de préoccupations au moment de se lancer sur une liste...»
Si elle parvient à Berne, en septembre, le grand cheval de bataille de Diane Barbier-Mueller sera donc une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, pour toutes et tous. «C’est la clef d’une vraie égalité entre les hommes et les femmes, et la solution à beaucoup d'autres problématiques, en réalité», soutient l’avocate de formation.
Car la Suisse est à la traîne en la matière. Et cela péjore surtout les femmes. «Arrivées à la trentaine, elles doivent souvent choisir entre une famille ou une carrière, car le système n’a pas été pensé pour elles, s'enflamme l'élue PLR. Les places en crèche manquent cruellement dans tout le pays. Nous n'avons pas de congé parental, et un congé paternité ridicule. Donc la charge mentale liée à la famille, c’est souvent plutôt sur les épaules des femmes. Même si, individuellement, les hommes s’impliquent de plus en plus de nos jours, les lois ne suivent pas.»
L'écologie passe par l'immobilier
Outre l'égalité des genres, s’il y a bien un sujet qui ne fait pas consensus à droite, de manière générale, c’est l’écologie. La position de Diane Barbier-Mueller est claire: «Ça me fait vraiment peur, quand on me dit que le monde brûle.»
Elle fait partie d’une génération pour qui manger moins de viande, ou utiliser l’eau avec plus de parcimonie, par exemple, sont des évidences: «Si ça ne tenait qu’à moi, on arrêterait carrément de mettre des baignoires dans les nouveaux logements!» Mais la femme reste de droite: elle dit s’opposer à des «mesures punitives» contre les particuliers et les entreprises.
Elle promet en revanche de porter à Berne la problématique — bien genevoise — de la rénovation du parc immobilier. «Nous avons des lois dissuasives, en termes de rénovations (ndlr: notamment la LDTR)», avance-t-elle. À la base, de telles lois servent à lutter contre la pénurie de logements: «Sauf qu’au final, ça dissuade, voire empêche les propriétaires de faire des travaux, faute de moyens. On se retrouve donc avec des immeubles obsolètes, qui sont de vraies passoires énergétiques. C’est prouvé: le parc immobilier genevois est en plus mauvais état que partout ailleurs en Suisse!»
Pour y remédier, la politicienne veut convaincre la Confédération de mettre la main à la poche. «Nos bâtiments présentent un indice de dépense de chaleur plus élevé que dans les autres cantons. Genève a déjà sorti un milliard de francs pour rénover les bâtiments de l’État, par exemple. Mais ça ne suffira pas, sachant que la rénovation d’un seul bâtiment peut coûter en moyenne entre deux et trois millions de francs…»
Quand même de droite?
Femme des années 2020: elle milite pour l'égalité, un capitalisme «modéré», des immeubles plus écolos... Mais alors, que fait Diane Barbier-Mueller dans un parti de droite? Elle rétorque, un peu hilare: «Le féminisme et l’écologie ne sont pas des prérogatives de la gauche!»
La politicienne veut que la droite investisse davantage (et mieux) ces thèmes, face à une gauche qui y répondrait de manière trop «punitive», selon elle: «Pour instaurer l’égalité et sauver la planète, la gauche veut interdire, restreindre, taxer, diaboliser, et ainsi de suite… En réalité, cette façon de faire est décourageante. Au lieu de pointer des gens ou des institutions du doigt, il faut adopter une approche plus positive: investir au mieux dans le climat, dans la formation, dans l’innovation.»
En bref, elle reste de droite, car elle reste intrinsèquement libérale. «Et je ne veux pas que les Genevoises et les Genevois paient plus d’impôts, par exemple», illustre Diane Barbier-Mueller.
Libérale, certes, mais quand même modérée: «Pour moi, l'État doit garder la main sur des thématiques importantes comme l'éducation. Mais la coopération avec le privé n'est pas optionnelle. Il faut un équilibre.»