Pour traiter un tel sujet, je me sens le devoir d’être franche avec vous: je ne mange plus de viande depuis sept ans, je suis devenue végane entre-temps et j’ai même milité pour la cause animale. Pour couronner le tout, je suis française. Je n’aurai donc même pas la chance de pouvoir voter le 25 septembre prochain.
Pourtant, ou plutôt, justement, l’initiative pour abolir l’élevage intensif en Suisse accapare toute mon attention depuis le lancement de la campagne. Si je le pouvais, je glisserais un bulletin en sa faveur sans hésiter. Du moins, c’est ce que je pensais avant de me confronter à la réalité des éleveurs et à l’état actuel du système alimentaire.
Nouvelle attaque injustifiée envers les paysans pour les uns, inévitable et nécessaire révolution de société pour les autres. Le 25 septembre prochain, les Suisses décideront s’ils veulent abolir ou non l’élevage intensif dans notre pays.
Pour mieux comprendre la réalité du terrain et les enjeux de la votation, Blick vous propose une série en six épisodes, et vous embarque dans les coulisses de l'élevage en Suisse romande tout au long de la semaine du 12 septembre.
Pourquoi la définition de l’élevage intensif crispe-t-elle autant les éleveurs alors que les initiants assurent vouloir les défendre? Peut-on se rendre aussi facilement dans un «gros» élevage que l’on se rendrait dans une petite ferme? Voici les deux premières questions qui seront abordées en introduction de cette série avant d’attaquer le terrain.
Après une immersion dans deux élevages de poules et poulets et deux élevages de porcs opposés à l’initiative, vous découvrirez le témoignage de l’un des rares éleveurs à s’afficher publiquement en faveur du Oui.
En conclusion de cette série, l'interview d'un ancien professeur d'éthique et agriculteur proposera une lecture philosophique et éthique de la question, tout en replaçant les principaux concernés au centre du débat: les animaux.
Nouvelle attaque injustifiée envers les paysans pour les uns, inévitable et nécessaire révolution de société pour les autres. Le 25 septembre prochain, les Suisses décideront s’ils veulent abolir ou non l’élevage intensif dans notre pays.
Pour mieux comprendre la réalité du terrain et les enjeux de la votation, Blick vous propose une série en six épisodes, et vous embarque dans les coulisses de l'élevage en Suisse romande tout au long de la semaine du 12 septembre.
Pourquoi la définition de l’élevage intensif crispe-t-elle autant les éleveurs alors que les initiants assurent vouloir les défendre? Peut-on se rendre aussi facilement dans un «gros» élevage que l’on se rendrait dans une petite ferme? Voici les deux premières questions qui seront abordées en introduction de cette série avant d’attaquer le terrain.
Après une immersion dans deux élevages de poules et poulets et deux élevages de porcs opposés à l’initiative, vous découvrirez le témoignage de l’un des rares éleveurs à s’afficher publiquement en faveur du Oui.
En conclusion de cette série, l'interview d'un ancien professeur d'éthique et agriculteur proposera une lecture philosophique et éthique de la question, tout en replaçant les principaux concernés au centre du débat: les animaux.
«L’élevage intensif n’existe pas en Suisse»
Cette idée de confrontation est notamment née après le début de campagne du camp du non, en juin dernier. «L’élevage intensif n’existe pas en Suisse» assurait à l’époque Valérie Dittli, fraîchement élue conseillère d’Etat vaudoise responsable de l’agriculture.
La Zougoise, fille de paysans, n’hésitait pas à poser en compagnie de son prédécesseur Philippe Leuba parmi le Comité opposé à l’initiative. L’élevage suisse, assure celui-ci, se caractérise par «la grande importance accordée au bien-être animal».
Pour la coordinatrice romande de la campagne du Oui, Julia Huguenin, «les chiffres parlent d’eux-mêmes: 27’000 poulets, c’est tout simplement une masse, et pouvoir en détenir autant, c’est clairement de l’élevage intensif».
Contextualisons. En Suisse, les élevages peuvent pour l’instant accueillir un nombre maximal d’animaux selon leur espèce:
- 27’000 pour les poulets de chair;
- 18’000 pour les poules pondeuses;
- 1500 pour les porcs;
- 300 pour les veaux.
Si l’initiative passe, l’espace alloué à chaque animal devra être augmenté, et il sera interdit de détenir plus de 4000 poules et poulets au total sur une exploitation. Tous les animaux devraient en plus avoir accès quotidiennement à l’extérieur et fouler de l’herbe.
La limitation du nombre d’individus par élevage correspond effectivement à un effort pour les animaux par rapport aux conditions de détention à l’étranger. Si l’on en croit les chiffres de la société coopérative agricole suisse Fenaco à propos, par exemple, des poulets de chair, la moyenne d’animaux par exploitation dans notre pays est de 7700 contre… 16’000 en France.
Malgré ce «bon» point, les chiffres suisses restent conséquents. Arrivez-vous vraiment à vous figurer ce que représentent 27’000 poulets dans un élevage? Personnellement, cela m’était difficile à concevoir avant de visiter une exploitation.
La «mauvaise foi» des opposants
Pour donner une meilleure idée de ce que représente la détention de milliers de poulets ou de centaines de cochons, l’association antispéciste PEA – Pour l’Égalité animale a publié deux enquêtes (une sur les porcs, et une sur les poulets) dans le cadre de la campagne. Leur but? «Montrer la réalité de l’élevage en Suisse et ainsi prouver que l’élevage intensif existe bel et bien dans notre pays», argumente Pia Shazar, présidente de PEA.
«Nous dire que des milliers de poulets entassés et des congélateurs remplis de cadavres ce n’est pas de l’élevage intensif, ça ne peut être que de la mauvaise foi, s'insurge la militante face aux affirmations du camp du Non. Je ne vois pas non plus à quel moment on peut assurer que l’enfermement garantit le bien-être animal.»
Une initiative pour défendre l’élevage
La coordinatrice romande des initiants va plus loin: «Contrairement à ce qu’avancent les opposants, cette initiative défend les éleveurs et veut renforcer une agriculture paysanne déjà prédominante dans notre pays, pointe Julia Huguenin. Nous luttons contre l’élevage industriel qui, finalement, n’a pas grand-chose à voir avec la paysannerie telle qu’on se la représente. C’est également le but du texte: que la réalité ressemble à nouveau à la publicité et l’image d’Épinal qu’on nous vend.»
Les principaux concernés ne semblent pas, de leur côté, avoir vraiment perçu cette initiative comme tel. Bien qu'aucun sondage n'ait été mené minutieusement chez leurs membres, la division Jurassienne de la faîtière agricole suisse, AgriJura, estime à «95% les opposants à l'initiative, en fonction de la typologie d'exploitation». Difficile de faire plus clair.
Si le but de cette initiative est de défendre les éleveurs, comment expliquer un tel front du non et un refus massif de la part du monde paysan? Et ce, alors que la Confédération a estimé à seulement 5%, soit 3000, les exploitations concernées par les limitations de détention d’animaux?
Un élevage «professionnel»
Le nerf de la guerre se trouve dans la définition de l’élevage intensif. Du côté des initiants, on le désigne comme un «élevage industriel qui vise à rendre la production de produits d’origine animale la plus efficace possible et qui porte atteinte au bien-être des animaux». Chez les opposants, on préfère parler d’élevage «professionnel», comme le qualifiait notamment l’éleveur de poules pondeuses Fabrice Bersier au micro de la RTS dans l’émission de débat Forum lundi 5 septembre dernier.
Pour compliquer le tout, aucune définition de l’élevage intensif n’existe dans la loi agricole. Par exemple, dans l'ordonnance sur la désignation de la viande de volaille, les conditions d'élevage décrites par les opposants sont qualifiées par le terme d'«élevage à l’intérieur ou système extensif». Dès lors, comment se forger un avis pour décider de révolutionner (ou non) le futur de l’agriculture face à des prises de position à ce point aux antipodes?
Pour juger sur les faits et comprendre le refus massif de l’initiative de la part des éleveurs, j’ai voulu me confronter à leur réalité, leurs contraintes et entendre les arguments de ce camp auquel tout m’oppose. Si, comme l’avance le Comité du Non, l’élevage intensif n’existe pas en Suisse, je ne devrais pas avoir de peine à demander à un «gros» éleveur de m’ouvrir les portes de son élevage pour discuter de la question. Du moins, c’est ce que je croyais.
>> Mardi 13 septembre, épisode 2: La peur des éleveurs