Il y a un an, vous avez préparé le Sommet mondial de l'alimentation à New York. A l'époque, personne ne pensait encore à une guerre en Europe...
Lors du sommet, ce sont surtout les oppositions marquées qui ont pris de la place, par exemple entre les partisans d'une production croissante et ceux qui pensent de manière plus écologique. Mais il n'y a pas eu de message clair. Ce qui nous explose actuellement à la figure. Avec la guerre en Ukraine, la situation a changé de manière dramatique. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté dans le monde entier. Et ils resteront élevés à l'avenir.
Qu'est-ce que cela signifie pour la Suisse?
Nous profitons beaucoup de notre statut privilégié. La Suisse trouve toujours un fournisseur qu'elle peut payer. La situation actuelle a toutefois des répercussions sur la place de la production nationale. La souveraineté alimentaire prend de l'importance dans notre pays également. C'est tout à fait justifié au vu de la folie des marchés mondiaux.
Mais les prix des denrées alimentaires sont aussi un sujet de préoccupation majeur chez nous.
C'est fou comme les consommateurs réagissent, même en Suisse. On le voit notamment avec la consommation de produits bio. Au Luxembourg, qui est également un pays riche, elle s'est effondrée de 20%. L'Allemagne et la France enregistrent également des baisses de chiffre d'affaires. On ne dispose pas encore de données suisses, mais il faut s'attendre à un ralentissement de la croissance du bio. Les avantages pour le bien commun de ces labels ne font pas le poids face à la hausse des prix.
Une confirmation pour Erik Fyrwald, CEO de Syngenta, et Herbert Bolliger, ex-patron de Migros, qui demandent un abandon de l'agriculture biologique. En Afrique, des gens meurent apparemment de faim parce que nous mangeons bio chez nous.
C'est de la bêtise! Le bio est toujours d'actualité. Cela dérange certaines personnes qui n'en profitent pas. Mais le bio est un mode de pensée plus profond. Les problèmes de l'agriculture ne peuvent être résolus que par une transformation fondamentale de la culture et de l'alimentation.
Quelle forme doit prendre cette transformation?
Elle doit protéger l'environnement, lutter contre le changement climatique et préserver la biodiversité. Il serait totalement erroné de renverser cet agenda, de revenir 30 ans en arrière et de forcer exclusivement l'intensification de la production. Les agriculteurs bio sont les mieux formés pour résoudre les problèmes actuels.
Le bio va-t-il sauver le monde?
Ce n'est pas le rôle des agriculteurs bio. Mais ils sont les gardiens d'un savoir agro-écologique que nous devons absolument utiliser. C'est pourquoi nous avons besoin de plus d'entre eux. Aujourd'hui, le bio ne représente que 2% des cultures mondiales. Ce type d'agriculture n'a donc absolument aucune influence sur la sécurité alimentaire.
Et pourtant, on a parfois l'impression d'assister à une sorte de rédemption: avec le bio, tout ira bien!
L'idée a certes quelque chose de messianique. Mais j'ai depuis longtemps renoncé à cet élan. La solution est une combinaison d'idées et d'approches très différentes des problèmes de l'agriculture. Il s'agit avant tout de combiner le savoir traditionnel et la haute technologie.
Les problèmes sont aujourd'hui très nombreux pour l'agriculture. La sécheresse donne partout du fil à retordre, y compris en Suisse. Le manque d'eau est devenu un réel danger.
Il y a toujours eu des étés secs. Mais auparavant, ils avaient lieu tous les dix ans, alors qu'aujourd'hui, ils ont lieu tous les deux ou trois ans. Cette fréquence est absolument inédite. Elle a pour conséquence que les réservoirs d'eau ne se régénèrent plus et que les sols ne peuvent plus s'imbiber.
L'agriculture suisse est-elle préparée à cela?
Elle continue à consommer beaucoup d'eau. Entre autres parce qu'elle travaille souvent avec des arroseurs de surface. Nous devons passer à l'irrigation goutte à goutte, plus précise, et aux capteurs d'eau du sol, qui consomment beaucoup moins d'eau. Nous devrions en outre encourager l'agriculture de reconstitution de l'humus, terre provenant de la décomposition des végétaux qui préserve le sol. A cela s'ajoute la sélection végétale, qui est déjà en train d'adapter fortement ses objectifs de sélection. Elle cherche des moyens d'augmenter la tolérance des plantes au stress de la sécheresse.
Sur le plan politique, le stress des animaux est actuellement au centre des préoccupations. L'initiative contre l'élevage intensif en Suisse demande un abandon de la production animale industrielle.
L'initiative touche un point sensible. Nos problèmes environnementaux sont liés à l'importation de nourriture pour les animaux d'élevage. La conséquence est la perte de biodiversité, surtout dans les prairies. Tout cela est lié au fait qu'il y a trop d'animaux d'élevage dans notre pays.
L'initiative porte donc moins sur le bien-être des animaux que sur la réduction de leur nombre?
Ce n'est pas le bien-être des animaux qui est au centre de l'initiative – la Suisse est aux normes dans ce domaine – mais la masse des animaux, qui est déjà présente dans le nom de l'initiative. Et il est également clair, dans l'optique de l'alimentation et de la protection de l'environnement, que nous devons réorienter l'agriculture suisse. Nous avons besoin de beaucoup plus de protéines végétales et de beaucoup moins de protéines animales.
Cela impliquerait un changement massif d'alimentation!
Bien sûr, et avec des conséquences de grande ampleur. Une réduction de 50% de la consommation de viande et de 50% du gaspillage alimentaire n'entraînerait aucune détérioration de la qualité de vie de la population suisse. Au contraire, leur santé s'améliorerait! Nous serions alors très proches d'une alimentation idéale. Un tel changement réduirait donc non seulement les coûts environnementaux, mais aussi les coûts de santé de manière spectaculaire. C'est pourquoi il est juste de débattre de cette question. J'espère que cela se fera de la manière la plus consensuelle possible.
(Adaptation par Lliana Doudot)