Que ce soit en émincé, en nugget ou encore en mangeant leurs cuisses, les Suisses ont mangé en moyenne environ 15 kilos de poulet chacun en 2021. C’est cinq kilos de plus qu’il y a 20 ans.
Mais d’où provient la viande qui se retrouve dans notre assiette? Blick a voulu creuser la question avant la votation du 25 septembre sur l’initiative pour abolir l’élevage intensif en Suisse. Pour voter en connaissance de cause, autant savoir à quoi ressemble la réalité de l’industrie de la viande pour décider de la changer ou non.
Sauf que le secteur de la viande n’est pas tout à fait d’accord sur la question. Visiter une exploitation d’engraissement de poulets? Pas de problème. Mais quand il s’agit de savoir ce qu’il arrive aux poulets une fois qu’ils sont morts, comment ils sont découpés et emballés, là, il n'en n’est pas question.
Aucun des quatre plus grands abattoirs, qui représentent ensemble 98% du marché du poulet, n’a d’abord accepté de recevoir Blick. Si la visite a finalement pu se faire, c’est grâce à la rébellion de certains paysans. Retour sur images en quatre chapitres.
Chapitre 1: Les excuses
Les raisons invoquées pour justifier l’impossibilité de visiter les entreprises étaient diverses. Migros, dont la filiale Micarna à Courtepin (FR) transforme la majeure partie de la viande de poulet suisse, a prétexté des travaux d’assainissement.
Par hasard, des travaux ont également empêché une visite de l’entreprise familiale argovienne Kneuss Güggeli. L’entreprise se trouve au milieu d’une «phase de transformation à grande échelle» et ne souhaite pas montrer aux consommateurs des grues de construction et des chantiers, raison pour laquelle les visites ne sont pas possibles pour le moment, a argué son CEO Daniel Kneuss. De plus, celles-ci représentent un «risque pour la sécurité» en raison des règles d’hygiène strictes.
Chapitre 2: Les craintes
Sont-ce là les vraies raisons de ce refus? Les deux entreprises l’affirment. Lors des échanges avec Blick sur ce sujet, les interlocuteurs assurent être vraiment intéressés par la transparence. Mais on entend aussi tout autre chose au sein de la branche.
Les abattoirs musellent les agriculteurs qui les approvisionnent. Un entrepreneur, qui souhaite rester anonyme, affirme que l’on ne peut pas imposer la réalité aux consommateurs et consommatrices. Une autre personne du secteur avicole estime que «des images prises dans un grand abattoir apporteraient de l’eau au moulin des partisans de l’initiative».
Rien que les chiffres concernant le nombre d’animaux abattus et transformés par jour dans un tel établissement «renforcent le préjugé de l’industrialisation de l’élevage», craint cette même personne.
Les déclarations des représentants du secteur sont remarquables de contradictions. L’industrie de la viande déplore que les consommateurs n’aient aujourd’hui plus aucune idée de la manière dont est produite la viande qu’ils mangent, mais refuse de leur montrer la réalité… par crainte que cela ait une influence sur l’issue du vote.
Chapitre 3: La révolte
La volonté de garder secrète la transformation de la viande provoque une querelle entre les abattoirs et les agriculteurs. Les producteurs de volaille ont envoyé une lettre enflammée aux transformateurs peu après que Blick a reçu des refus de leur part. Ils sont «très déçus» par leur position, écrivent-ils. Il est inadmissible que toute la campagne de votation repose sur uniquement sur leurs épaules à eux, les éleveurs.
Le président de l’Union des paysans Markus Ritter est lui aussi en colère. «J’attends de l’agriculture qu’elle soit soutenue par la transformation et le commerce en vue de la votation.» Selon lui, le secteur doit être ouvert et transparent à tous les niveaux. Il estime que le fait que les abattoirs trouvent qu’on ne peut pas imposer la réalité aux consommateurs est «une attitude totalement erronée». Un producteur déclare à Blick qu’il comprend que l’on se demande «quels cadavres nous avons dans le placard».
Chapitre 4: Le revirement
C’est grâce à l’intervention de l’Union des paysans qu’une visite à l’abattoir a finalement été possible. Quelques heures après l’entretien téléphonique avec Markus Ritter, Blick avait le CEO de Bell, Lorenz Wyss, au bout du fil. Alors que Bell avait tout d’abord également refusé, il était soudain prêt à recevoir Blick. Des conditions claires ont été posées: pas de déclarations politiques, personne ne se tient devant la caméra, pas d’images montrant comment les poulets sont gazés et plumés.
Toujours est-il que l’entreprise présente aux consommatrices et consommateurs une partie de la réalité sanglante. Une réalité que tout le monde pressent, mais dont personne n’aime parler… surtout à quelques semaines d’une votation comme celle qui nous attend fin septembre. Mais si nous ne regardons pas la réalité en face maintenant, quand le ferons-nous?
(Adaptation par Louise Maksimovic)