Les coulisses de l'élevage, épisode 5
Pourquoi les éleveurs favorables à l'initiative se font-ils si discrets?

Face à l'écrasant camp du «Non», les éleveurs en faveur de l'initiative contre l'élevage intensif peinent à se faire entendre. Alors qu'une grosse majorité craint les représailles, certains dénoncent l'hypocrisie de l'UDC et de la faîtière agricole.
Publié: 16.09.2022 à 19:41 heures
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Dernière mise à jour: 06.10.2022 à 11:04 heures
Parmi les éleveurs bio, dont les standards sont ceux requis par l'initiative pour abolir l'élevage intensif, tous ne sont pas favorables à l'acceptation du projet par peur de perdre des parts de marché.
Photo: keystone-sda.ch
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Louise MaksimovicJournaliste Blick

À l’instar des initiatives phytosanitaires de 2021, l’initiative pour faire interdire l’élevage intensif en Suisse divise le monde paysan. Comme j’ai pu le constater pendant mes recherches, le front des éleveurs opposés au projet est aussi massif et présent que le camp des éleveurs favorables est discret.

Après avoir rencontré le camp du «Non», trouver un partisan du «Oui» d’accord de témoigner à visage découvert n’a pas été une mince affaire.

Immersion dans l'élevage suisse en 6 épisodes

Nouvelle attaque injustifiée envers les paysans pour les uns, inévitable et nécessaire révolution de société pour les autres. Le 25 septembre prochain, les Suisses décideront s’ils veulent abolir ou non l’élevage intensif dans notre pays.

Pour mieux comprendre la réalité du terrain et les enjeux de la votation, Blick vous propose une série en six épisodes, et vous embarque dans les coulisses de l'élevage en Suisse romande tout au long de la semaine du 12 septembre.

Pourquoi la définition de l’élevage intensif crispe-t-elle autant les éleveurs alors que les initiants assurent vouloir les défendre? Peut-on se rendre aussi facilement dans un «gros» élevage que l’on se rendrait dans une petite ferme? Voici les deux premières questions qui seront abordées en introduction de cette série avant d’attaquer le terrain.

Après une immersion dans deux élevages de poules et poulets et deux élevages de porcs opposés à l’initiative, vous découvrirez le témoignage de l’un des rares éleveurs à s’afficher publiquement en faveur du Oui.

En conclusion de cette série, l'interview d'un ancien professeur d'éthique et agriculteur proposera une lecture philosophique et éthique de la question, tout en replaçant les principaux concernés au centre du débat: les animaux.

Nouvelle attaque injustifiée envers les paysans pour les uns, inévitable et nécessaire révolution de société pour les autres. Le 25 septembre prochain, les Suisses décideront s’ils veulent abolir ou non l’élevage intensif dans notre pays.

Pour mieux comprendre la réalité du terrain et les enjeux de la votation, Blick vous propose une série en six épisodes, et vous embarque dans les coulisses de l'élevage en Suisse romande tout au long de la semaine du 12 septembre.

Pourquoi la définition de l’élevage intensif crispe-t-elle autant les éleveurs alors que les initiants assurent vouloir les défendre? Peut-on se rendre aussi facilement dans un «gros» élevage que l’on se rendrait dans une petite ferme? Voici les deux premières questions qui seront abordées en introduction de cette série avant d’attaquer le terrain.

Après une immersion dans deux élevages de poules et poulets et deux élevages de porcs opposés à l’initiative, vous découvrirez le témoignage de l’un des rares éleveurs à s’afficher publiquement en faveur du Oui.

En conclusion de cette série, l'interview d'un ancien professeur d'éthique et agriculteur proposera une lecture philosophique et éthique de la question, tout en replaçant les principaux concernés au centre du débat: les animaux.

La peur est palpable, même au bout du fil. «Moi je dois continuer à vivre ici, avec ma famille, mes enfants. Je ne veux pas que mon nom soit dans les journaux. Je suis aussi activiste climatique, je ne peux pas me le permettre, désolée», me souffle une éleveuse partisane de l’initiative contactée par téléphone.

Notre échange a lieu début août. La campagne liée à l’initiative ne bat pas encore son plein. Pourtant, les éleveurs favorables au projet ont déjà peur, par anticipation, d’éventuelles représailles de la part des opposants.

Le souvenir encore à vif des initiatives phyto

«L’année dernière c’était dur. L’opposition était si dure», se souvient une autre agricultrice favorable à la fin de l’élevage intensif lorsqu’elle évoque la campagne autour des initiatives phytosanitaires de 2021. Aucune des deux ne sera acceptée par le peuple.

En 2021, la campagne contre les initiatives phytosanitaires a également divisé le monde paysan.
Photo: keystone-sda.ch

Cette année, la situation est similaire confie l’éleveuse laitière, qui souhaite, elle aussi, garder l’anonymat. «Le monde agricole est divisé. Le paysan a perdu son lien avec la terre, il n’est pas bien. Et si le paysan ne va pas bien, il ne se comporte pas non plus correctement avec ses animaux», analyse la paysanne.

Pourtant l’envie de changer les choses ne manque pas dans le camp du oui. Mais la crainte de riposte de la part de l’opposition pousse les éleveurs favorables à «militer en douce, sur la place publique» explique encore l’agricultrice. Cette dernière souhaite recréer des fermes, retisser le tissu agricole et social mis à mal par des années de course à la productivité.

Symptôme de ce grignotage: le nombre d’exploitations agricole a dégringolé en 20 ans. Alors qu’il y en avait un peu plus de 70’000 en 2000, elles étaient moins de 50’000 en 2020. Les grosses exploitations de 50 hectares et plus ont augmenté de 4,3% entre 2019 et 2020 tout comme le nombre d’animaux abattus dans le pays qui n’a cessé de croître en six ans.

«Personne ne veut d’histoire»

Après plusieurs prises de contact infructueuses, un éleveur partisan de l’initiative finit par accepter me recevoir sur son exploitation. Avec ses 27 chèvres (douze mamans et quinze petits) et ses 20 poules, Brice Prudat est maraîcher et éleveur bio bourgeon dans le Jura, à Courtemautruy.

Brice Prudat est éleveur et maraîcher bio bourgeon depuis trois ans.
Photo: Louise Maksimovic

L’ancien diplômé en biologie, éleveur reconverti depuis trois ans, vend sur les marchés et en direct de la viande de cabris, des œufs, ainsi que des fruits et légumes.

Les poules de Brice Prudat sont des poules de réformes recueillies ou rachetées d'autres élevages.
Photo: Louise Maksimovic

Une réalité bien différente des exploitations de plusieurs milliers d’animaux visitées précédemment, d’autant que l’élevage ne représente que 20% du temps et des revenus du Jurassien.

La vingtaine de poules assure une production de 200 œufs chacune par an à l'éleveur jurassien.
Photo: Louise Maksimovic

Si Brice Prudat n’a pas de problème à afficher son soutien à l’initiative, il comprend la réticence de ses collègues pro-oui «qui ne veulent pas avoir d’histoire». De son côté, entre nos premiers échanges début août et notre rencontre à la fin du mois il n’a pas spécialement reçu de menaces ou de reproches, mais quelques retours positifs discrets (et plusieurs sollicitations de la part des médias).

Pour Brice Prudat, l'élevage doit venir compléter d'autres cultures sur une exploitation. Ici les chèvres débroussaillent ses pâturages.
Photo: Louise Maksimovic

Une initiative qui va dans le bon sens

Contrairement à la plupart des éleveurs rencontrés jusque-là, l’ex-doctorant en géographie replace les animaux au centre du débat et n’invoque pas d’emblée les conséquences économiques qu’aurait l’initiative: «Le projet pousse les paysans et les agriculteurs à faire voir le soleil aux animaux. C’est la différence fondamentale entre la prescription bio et la loi, souligne l’éleveur. Pour moi, c’est fondamental qu’ils ne passent pas toute leur vie sur du béton. Le délai de 25 ans est également bien pensé.»

L’autre argument du Jurassien est celui de la vision d’avenir qu’offre le projet. Brice Prudat en est convaincu: que l’initiative passe ou pas, dans dix ans, il sera interdit de détenir des animaux sur du béton. Le projet n’est en somme qu’un passage en force: «C’est un peu triste de devoir faire ça, reconnaît le jeune agriculteur, mais ceux qui auront investi dans des halles en béton vont tout perdre et ce sera à la Confédération de combler le trou.»

L'éleveur jurassien garde ses chèvres environ six ans. Il reçoit plus de subventions pour ses revenus liés à l'élevage que pour ses revenus de maraîchage.
Photo: Louise Maksimovic

Malgré le bien que ferait le projet au monde agricole, Brice Prudat n’est pas très optimiste quant au passage de l’initiative: «C’est sûr que la majorité des éleveurs est contre. Chez les producteurs bio, la moitié y est aussi opposée car elle ne veut pas perdre sa part de ce marché de niche», m’explique l’éleveur.

L’hypocrisie du camp du non

Brice Prudat comprend la colère des agriculteurs du front du «Non». «Les paysans ont une relation fusionnelle avec leur ferme ou leur exploitation. Tout projet de réforme dirigé vers leur travail est considéré comme une attaque personnelle», compare le Jurassien. Le texte émanant de l’extérieur du monde paysan, cela en fait une «cible facile» pour la faîtière agricole et les partis conservateurs.

L’éleveur bio se montre d’ailleurs bien moins tendre envers leur discours qui assure que l’initiative va faire exploser les importations et le libre-échange au détriment de la Suisse. «C’est sans doute une vacherie de dire ça mais c’est faux. Il existe des mouvements contre le libre-échange. En revanche l’UDC, qui défend les paysans, ne s’y oppose pas du tout et ils ont un double discours insupportable, s’exaspère Brice Prudat. Ce n’est sans doute pas facile pour les gros éleveurs mais ils ne sont pas vraiment force de proposition», remarque le maraîcher.

Une remarque qui souligne encore le fossé entre les éleveurs et les organisations censées les représenter: que ce soit la famille Staub, Baudet, Monnerat ou Graf, toutes sont partisanes d’une souveraineté alimentaire en Suisse.

La dernière pièce du puzzle

Me voilà donc arrivée au bout de mes visites dans les élevages suisses, qu’ils soient opposés à l’initiative pour abolir l’intensif, ou favorables à cette nouvelle vision pour l’agriculture de notre pays.

Sur le fond des idées, la plupart des personnes que j’ai rencontrées sont d’accord avec le principe du projet, mais rares sont celles qui en veulent tel qu’il est présenté. Les derniers sondages créditent d’ailleurs le «Oui» d’un soutien de 48% des votants contre 55% au début de la campagne.

Chez les partisans du «Oui», aucun ne fait partie des initiants. D’ailleurs, qui sont ces derniers critiqués pour leurs prises de position jugées trop extrêmes? Sont-ils la clé pour comprendre pourquoi l’initiative rencontre aussi peu de sympathie?

Une dernière rencontre m’attend encore pour le comprendre en partie: celle d’un éthicien de l’alimentation, lui-même ancien agriculteur et membre du comité du «Oui» de l’initiative.

>> Samedi 17 septembre, épisode 6: Un éthicien remet les animaux au centre du débat

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