Les guêpes, ça énerve. Monsieur Goetschel, vous êtes avocat des animaux. Comment défendriez-vous ces nuisibles au tribunal?
Antoine F. Goetschel: Les guêpes répondent à leurs besoins d’animaux. Elles veulent se nourrir et se reproduire. Les insectes possèdent certes une dignité – mais pas de vertèbres. La loi sur la protection des animaux ne s’applique donc pas à eux. Cette loi donne à chacun le droit de tuer une guêpe. Ce qui ne me viendrait jamais à l’esprit. Les guêpes ont un droit à la vie! Selon le principe juridique de proportionnalité, des mesures d’expulsion douces sont appropriées lorsque vous êtes importuné par une guêpe.
Qu’en est-il des moustiques qui nous harcèlent la nuit?
Ils sont tout au plus irritants. Si l’on est piqué, il suffit d’utiliser une teinture de lavande pour faire disparaître les démangeaisons. J’avoue toutefois que j’ai déjà essayé de tuer un moustique qui me dérangeait pendant que je dormais.
En parlant de la chasse, en Valais, un chasseur a abattu un «faux» loup.
L’abattage d’un animal dont la mise à mort n’a pas été autorisée est puni par la loi. Il doit être sanctionné. Je serais surpris que l’on balaye cela d’un revers de main comme une peccadille.
Mais qu’en est-il des moutons qui ont été dévorés?
C’est tragique, bien sûr. Mais financièrement, les agriculteurs ne subissent guère de dommages. La plupart des cas sont couverts par l’assurance. Mais la vengeance n’est pas un motif valable et le lynchage est interdit. Pourtant, c’est précisément ce qui est déclenché par les images terribles d’animaux de rente tués dans les médias. Nous sommes en bonne voie en ce qui concerne le loup. Nous protégeons les animaux de rente de manière adéquate et mettons un espace à la disposition du prédateur. Il est donc d’autant plus gênant que quelques chasseurs contournent le consensus et tirent, le sourire aux lèvres, sur tout ce qui ressemble à un loup. C’est se moquer des efforts de ceux qui cherchent une solution et c’est inquiétant au regard de l’État de droit.
En septembre, nous voterons sur l’initiative contre l’élevage intensif. Les derniers sondages prédisent la victoire massive du non. Pourquoi?
La protection des animaux s’attache en partie à des objectifs idéologiques. Elle a perdu le sens de ce qui se passe dans la société. Or, la loi suit toujours le courant dominant. Et en ces temps incertains, la règle est malheureusement plus que jamais la suivante: on mange d’abord, la morale vient ensuite.
Vous n’avez pas l’air très optimiste.
Toute initiative qui apporte un bénéfice à l’animal doit être soutenue. Che Guevara disait: «Soyons réalistes, demandons l’impossible.» Mais malheureusement, on peut rarement attendre une solution de la part de ceux qui soulignent le problème. Et si le peuple rejette l’initiative sur l’élevage intensif, le statu quo sera cimenté. C’est frustrant.
Que proposez-vous?
Nous devons faire monter à bord une majorité pour les revendications animales et, en contrepartie, baisser un peu nos objectifs.
Comment?
Par exemple, les arguments pour et contre la chasse sont sur la table depuis des siècles. Lors d’une conférence devant 300 chasseurs, j’ai expliqué qu’il s’agissait avant tout de soulager les animaux des souffrances inutiles, de la traque, des mauvaises munitions, et de la quête de trophées. Si les chasseurs parviennent à surmonter tout ça, ils pourront promouvoir avec nous la protection et la santé des animaux. Ils seraient tout à fait crédibles et auraient, à long terme, quelque chose à gagner de la chasse. Car au rythme actuel, ils n’auront bientôt plus rien à chasser.
Le Conseil fédéral rejette l’initiative sur l’élevage intensif. Il affirme que la Suisse est bien placée en matière de protection des animaux.
Je suis fier de vivre dans un pays qui a inscrit la dignité de l’animal dans sa Constitution. La Suisse, avec son énorme capital intellectuel et financier, a l’obligation de défendre la dignité des animaux dans le monde entier. C’est précisément ce que demande notre association, Global Animal Law (GAL): une convention de l’ONU qui promeut le bien-être et la santé des animaux sur toute la planète.
Mais cette requête risque d’avoir du mal à passer.
Il existe d’énormes intérêts économiques derrière la viande. C’est là que nous intervenons. Elle peut continuer à être produite, mais de manière plus décente. Plus de sorties en plein air pour les animaux, moins d’antibiotiques, des fréquences d’abattage plus faibles. Pour cela, il faut d’urgence des placements financiers respectueux: un producteur de viande brésilien, par exemple, recevrait un tas d’argent s’il respectait ces critères. Il se dirait peut-être: «Ils sont fous, ces Suisses.» Mais il le ferait.
De nombreuses personnes fortunées n’investissent pas dans la protection des animaux et continuent à porter de la fourrure.
Porter de la fourrure est une question de conscience, disait-on dans les années 1980. Intellectuellement et émotionnellement, cet argumentaire a fait long feu. Mais il ne permet plus aujourd’hui d’atteindre les fanas de manteau en bison. Au contraire, plus la campagne contre la fourrure est intense, plus les pro-fourrure se disent qu’ils veulent continuer à lutter contre le politiquement correct. Mais les projets liés au bien-être animal ont aussi besoin de l’argent de ces personnes! Ils pourraient donc porter par exemple de la fourrure certifiée, issue d’un élevage particulièrement respectueux des animaux. Et donc investir indirectement dans le bien-être animal.
Pourquoi cette soudaine clémence?
Elle est due à mon impatience. Nous n’avançons pas en matière de protection des animaux. La consommation de viande va augmenter dans le monde entier. Le marché ne semble pas particulièrement intéressé par une plus grande offre de produits respectueux des animaux. Leur protection n’est pas un objectif de durabilité de l’ONU. Mais la question de la relation entre l’homme et l’animal est pertinente pour la société! Je ne veux pas rester dans l’immobilisme de guerres de tranchées idéologiques. Je préfère faire partie de la solution: c’est une question de survie pour notre espèce. Si nous ne trouvons pas de réponses, nous irons droit dans le mur.
Qu’est-ce que vous voulez dire?
Regardez ce qu’il se passe ces dernières années! La réification des animaux et leur asservissement ont conduit à l’élevage de masse, à des conditions sanitaires telles que celles du tristement célèbre marché aux bestiaux sauvages de Wuhan, où le Covid-19 aurait trouvé son origine. Si la dignité de l’animal avait été plus importante au niveau mondial, nous aurions peut-être pu éviter cette pandémie.
On dit que celui qui connaît les animaux les protège.
Ce dicton est probablement présent dans tous les zoos. Mais dans les faits, il est prouvé qu’il est faux. Les Bâlois ont un beau zoo. Et pourtant, ils ont rejeté dans les urnes l’initiative pour les droits fondamentaux des grands singes. Avec leurs programmes d’élevage, les zoos fonctionnent tout au plus comme des organisations de protection des espèces, pour pouvoir continuer à exposer des animaux. Ils ne sont pas crédibles en tant qu’institutions puissantes, qui pourraient par exemple veiller à ce qu’il y ait des avocats pour les animaux dans le monde entier.
Les décès de trois éléphants au zoo de Zurich ont suscité la compassion. En revanche, peu de gens se soucient de la souffrance des poulets élevés en batterie. D’où vient ce décalage?
Notre rapport à l’animal est paradoxal et complexe. Il est humain de se sentir plus proche de certains animaux qui entrent en résonance avec nous et nous rappellent nos propres comportements. C’est pourquoi j’ai tant aimé la réponse du directeur du zoo de Zurich, Severin Dressen, à la question de savoir quel était son animal préféré. C’est le rat-taupe nu.
Vous portez des chaussures en cuir. Vous n’avez-vous pas mauvaise conscience?
Je porte ces chaussures depuis des décennies. Elles ont déjà passé plusieurs fois entre les mains du cordonnier. Je ne mange ni viande ni poisson. Je ne veux pas qu’un animal meure pour le plaisir de manger un sandwich au jambon. Mais réduire le débat sur les animaux en pointant du doigt qui est végétalien ou porte du cuir me paraît discutable. Cela bloque l’échange au sujet de l’essentiel: la reconnaissance de la dignité animale et de son bien-être.