Parler de droit humanitaire international à propos de la bande de Gaza après l’assaut mené par le Hamas contre Israël est très compliqué, voire inaudible. Pour des millions d’Israéliens terrorisés par les attaques des commandos palestiniens contre des civils, et par la pluie de roquettes qui s’est abattue sur Tel-Aviv, l’heure est venue de porter un coup fatal au Hamas.
Mais attention: deux millions de personnes vivent dans cette enclave de 360 km2, adossée à l’Égypte et à la mer. Même si Gaza est sans conteste la base opérationnelle du Hamas, qui a truffé son sous-sol de souterrains et de bunkers, l’assiéger comporte d’énormes risques pour les populations civiles palestiniennes épuisées par des décennies d’isolement et de frappes aériennes au fil des combats qui n’ont presque jamais cessé. Voici les obligations qu’Israël doit en théorie respecter.
Obligation N°1: Une riposte militaire proportionnée
Le terme «proportionné» est, en soi, un terrible piège. Les roquettes du Hamas, tirées depuis Gaza, ont visé des quartiers de manière indiscriminée. Les jeunes fêtards du festival «Tribe of Nova» massacrés par les commandos palestiniens n’étaient pas armés et ne constituaient pas une menace pour l’enclave.
Parmi les dizaines d’otages aux mains du Hamas, que celui-ci menace d’exécuter, figurent de nombreux civils. Alors? Le Haut commissaire aux droits de l’homme des Nations unies Volker Türk, basé à Genève, a clairement répondu. «Le droit international humanitaire est clair: Israël, comme le Hamas, ont l’obligation de veiller constamment à épargner la population civile et les biens de caractère civil. Cela reste applicable tout au long des attaques. Les principes de distinction et d’interdiction des attaques aveugles ou disproportionnées sont primordiaux.»
Le Comité International de la Croix Rouge (CICR), lui aussi basé sur les bords du Léman, rappelle cette évidence à chaque nouvelle flambée de violence: «Il y a conflit armé chaque fois qu’il y a recours à la force armée entre des États ou qu’il y a une violence armée prolongée entre des autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes à l’intérieur d’un État. Le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza répond à cette définition. Le Hamas est un groupe très organisé et bien armé qui a recours à la force armée contre Israël et qui considère d’ailleurs cette lutte armée comme sa mission première.» Tout en reconnaissant: «En fin de compte, la classification du conflit armé entre le Hamas et Israël en tant que conflit international ou non international dans le contexte actuel est essentiellement une question théorique.»
Obligation N°2: Ne pas utiliser n’importe quelles armes
Israël a signé, mais n’a pas ratifié la Convention créant la Cour Pénale Internationale (CPI) basée à la Haye, tout comme les États-Unis et la Russie (qui s’en est retirée en 2016, après l’occupation de la Crimée). Les commandants de son armée, et les dirigeants politiques de l’État hébreu n’ont donc pas à craindre, a priori, d’être un jour transféré devant cette institution chargée de juger les «crimes les plus graves touchant l’ensemble de la communauté internationale»: génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crime d’agression, (ajouté après sa création et évoqué pour l’Ukraine).
Signataire des Conventions de Genève, Israël doit en revanche respecter le principe suivant: «Même lorsque le recours à la force est justifié, […] le droit limite la manière dont un État peut exercer la force (jus in bello)» note le CICR. Il s’agit, pour Tsahal, l’armée israélienne, d’appliquer le principe de distinction entre cibles militaires et civiles «tout en tenant compte des nécessités et des exigences de la situation». Le type de bombes employées lors des frappes aériennes, le type de blindés engagés si une incursion dans Gaza intervient, les conditions de capture et de détention des combattants du Hamas, tout cela sera scruté.
Obligation N°3: Traiter prisonniers et civils de manière «humaine»
Ce point est le plus crucial, alors que l’eau et l’électricité sont coupées, et que la bande de Gaza est sous les bombes jour et nuit. Le Haut commissaire aux droits de l’homme l’a redit mardi 10 octobre. «L’imposition de sièges qui mettent en danger la vie des civils en les privant de biens essentiels à leur survie est interdite par le droit international humanitaire. Toute restriction à la circulation des personnes et des biens pour mettre en œuvre un siège doit être justifiée par des nécessités militaires ou peut, dans le cas contraire, constituer une punition collective.»
Et d’ajouter: «Nous savons par expérience que la vengeance n’est pas la solution et que ce sont des civils innocents qui en paient le prix». Il s’agit là du «principe d’interdiction des maux superflus et des souffrances inutiles»
Reste une réalité: le Hamas dissimule bel et bien des bases militaires sous des hôpitaux ou des établissements scolaires. Il met donc en danger la population palestinienne dont il a la charge. Les dispositions citées s’appliquent donc aussi à cette organisation considérée comme terroriste par les États-Unis, par l’Union européenne (ce que la Cour de justice de l’UE avait remis en cause en 2014) et désormais par la Suisse.
Une longue tragédie
Il faut redire enfin que la question du siège israélien de la bande de Gaza, aujourd’hui au cœur de cette guerre, est de longue date l’objet de résolutions de l’ONU depuis l’évacuation du territoire par l’État hébreu en 2005.
Dernier appel en date: celui lancé le 27 septembre dernier par Tor Wennesland, coordonnateur spécial pour le processus de paix au Moyen-Orient. Préoccupé par la situation à Gaza, le diplomate avait, quelques jours avant l’assaut du Hamas, «recommandé une levée des restrictions imposées par Israël, pour faire revivre l’espoir».
Il avait prié toutes les parties de rejeter toute rhétorique «dangereuse ou raciste» de la part de certains responsables. Enfin, il avait encouragé l’Autorité palestinienne à entreprendre des réformes, et toutes les parties prenantes à veiller à l’amélioration de la situation économique dans les territoires occupés. «Rien ne peut remplacer un processus politique légitime qui résoudra les problèmes fondamentaux à l’origine du conflit » concluait-il alors.