Deux visages. Deux pays. Deux réalités. Avec le Mondial de football organisé avec succès fin 2022, le Qatar était entré dans le peloton de tête des pays respectés et respectables. Moins d’un an après, changement radical après l’agression terroriste de la milice palestinienne Hamas sur Israël, les massacres de civils et le kidnapping de centaines d’otages. L’Émirat gazier est l’un des financiers du Hamas, dont le parrain logistique et militaire principal est l’Iran. Découvre-t-on, aujourd’hui, un tout autre visage de cet État de 2,5 millions d'habitants, dont l’Europe dépend pour ses importations énergétiques. Portrait de cet autre Qatar en cinq questions.
Le Qatar est-il l’ennemi d’Israël?
Certains discours prononcés à la tribune des Nations Unies devraient être scrutés. C’est le cas pour celui prononcé à New York, le 22 septembre 2023, par l’Émir du Qatar, le Sheikh Tamim ben Hamad al-Thani. Lors de son allocution, ce dirigeant reçu avec tous les égards dans les capitales occidentales a fustigé Israël, dont le gouvernement «répond aux initiatives arabes de paix et de normalisation par davantage d’intransigeance et d’extrémisme nationalistes et ultraorthodoxes […], comme en témoignent les coalitions gouvernementales et la poursuite de l’expansion des colonies, ainsi que la judaïsation de Jérusalem, les attaques contre les lieux saints et les mesures draconiennes prises à l’encontre de la population de Gaza».
Bref, pas question pour le très riche émirat sunnite d’emboîter le pas à son voisin, les Émirats arabes unis, qui ont normalisé leurs relations avec l’État hébreu en signant les accords d’Abraham, sous tutelle américaine, en décembre 2020. Plusieurs dirigeants du Hamas opèrent depuis Doha, sa capitale, dont Khaled Mechaal et Ismaël Haniyeh. Le paradoxe est que l’influence du Qatar sur la bande de Gaza s’est faite avec l’assentiment des gouvernements Israéliens, qui ont laissé déferler l’argent qatari (environ 30 millions de dollars par mois) pour payer les fonctionnaires et construire le palais de justice du territoire. Des diplomates de l'Émirat sont d'ailleurs basés dans la bande de Gaza et ils pourraient servir ultérieurement d'intermédiaires.
Le Qatar soutient-il le terrorisme?
La réponse est malheureusement oui. Le Qatar n’est pas un État terroriste à proprement parler, comme peuvent l’être l’Iran ou la Syrie. Il n’abrite a priori pas sur son sol de cellules terroristes actives, et il n’exporte pas directement la terreur. Son financement accordé au Hamas, qui gère la bande de Gaza et sa population de deux millions d’habitants, est en revanche utilisé par le groupe pour ses opérations militaires et ses approvisionnements en armes. On connaît aussi les liens entre le Qatar et les Frères musulmans, pourchassés et persécutés en Égypte. Ces liens ont été mis volontairement mis de côté par la Communauté internationale lors de l’effervescence liée au Mondial de football. Tout le monde a applaudi le nouveau visage du Qatar. Sauf que pour l’Émirat, la terreur du Hamas est utile. Elle maintient Israël sous pression, fait monter les prix de l’énergie et complique les affaires de son grand rival, l’Arabie saoudite. La force du Qatar est son double visage: adepte de la «realpolitik», il est indispensable, comme l'avaient compris les États-Unis lors de leurs discussions, à Doha, avec les Talibans. Avant leur retrait total d'Afghanistan.
Le Qatar doit-il être boycotté?
C’est sans doute le mot d’ordre qui va monter dans les prochains jours, au fur et à mesure que la guerre et les opérations terroristes contre Israël vont continuer. L’Iran, commanditaire des actes du Hamas, est déjà sous sanctions, et une attaque israélienne contre Téhéran serait un pas de plus vers un conflit impossible à maîtriser. Le Qatar, très intégré à la communauté internationale, est plus vulnérable. L’Émir Tamim ben Hamad al-Thani tient à sa réputation et à ses propriétés luxueuses à travers le monde. La collection d’art de sa famille est toujours exposée à Paris, à l’Hôtel de la Marine. Sans parler du club de football vedette qu’est le Paris Saint-Germain. C’est sans doute pour éviter de se retrouver ciblé que l’Émirat a annoncé son intention de négocier la libération des otages israéliens. Une main pour financer le Hamas, l’autre pour proposer ses bons offices. Le plus probable est que très vite, le Qatar va s'imposer comme un interlocuteur privilégié. Et ce pour une raison simple: il n'y en a pas d'autres.
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Le Qatar va-t-il perdre de l’influence?
La réputation de l’Émirat est déjà en chute libre depuis quelques mois. Son implication dans le scandale de corruption au parlement européen, les affaires de corruption en France, et son soutien au Hamas sont toutes de nature à éloigner ceux qui profitaient de ses subsides. Le «soft power» qatari pourrait donc bien refluer, voire s’enliser. Mais attention: avec ses immenses réserves de gaz, le Qatar a de quoi conquérir de nouveaux amis. Le 30 juin dernier, il a signé un accord pour le gaz liquéfié (GNL) avec la Chine. Coté européen, le pays a conclu en novembre 2022 un premier accord permettant de fournir du GNL à l’Allemagne pendant 15 ans. Or, sur fond de guerre en Ukraine, qui dit ressources énergétiques, dit influence.
Le Qatar a-t-il menti aux Occidentaux?
Non. Et c’est là l’élément le plus important. L’Émirat a su, mieux que d’autres, s’acheter une réputation à coups de centaines de milliards de dollars, en particulier en misant beaucoup sur les compétitions sportives et le mécénat culturel. Mais il n’a jamais promis de faire la paix avec Israël. Mieux: c’est l’État hébreu, encore une fois, qui l’a laissé, depuis 2009, financer de plus en plus le Hamas et de nombreuses infrastructures dans la bande de Gaza. Plus grave encore, au regard des événements actuels: des documents montrent que le Qatar a cherché à s’immiscer dans le processus électoral en Israël pour financer les campagnes de Benyamin Netanyahu, l’actuel Premier ministre. Qui a dupé qui? Les deux visages du Qatar sont ceux que ses partenaires ont acceptés. On en voit aujourd’hui le terrible résultat.