Il y a deux manières de lire le «journal» (Ed. Flammarion) que vient de publier l’ancienne ministre française de la Santé Agnès Buzyn. La première est de se plonger dans ce livre de près de 500 pages pour y trouver les détails qui nous ont tant manqué pour comprendre l’attitude et les failles de l’État français durant la pandémie de Covid-19. La seconde est de s’intéresser, à travers ce livre, à la pratique du pouvoir en France et au fonctionnement clanique qui caractérise une partie des élites de la République, y compris lorsque le pays est menacé, ce qui fut le cas avec le coronavirus.
J’ai choisi, pour ma part, de lire l’ouvrage avec ce prisme-là. Que nous dit Agnès Buzyn de la République, des institutions, et de la présidence d’Emmanuel Macron?
Manque de confiance
La réponse tient en une phrase: cette professeure de médecine réputée n’a jamais vraiment obtenu la confiance des dirigeants politiques qui l’avaient choisi. A cause d’elle-même? Peut-être. Mais l’on sent bien, au fil du livre, les raisons de cette incompréhension. Agnès Buzyn, médecin, veut des diagnostics précis. Elle réclame des faits. Elle pense avoir le temps de les examiner, voire d’obtenir un deuxième avis avant d’agir. Elle pense aussi, au passage, pouvoir se protéger, éviter les attaques, bref, rester au-dessus du lot et de la bataille. Erreur fatale.
La politique et le pouvoir sont deux pièges impitoyables qui s’alimentent. Le PR, comme elle désigne Emmanuel Macron, n’a d’abord pas la pandémie pour priorité, malgré sa «déclaration de guerre» au coronavirus. Il est ensuite, en pleine crise sanitaire, obsédé par la mairie de Paris après l’explosion en vol de son candidat pour cause de photo indécente. Macron et son Premier ministre Édouard Philippe ont «leur» agenda. Et cela, Agnès Buzyn ne le comprend pas.
Aveux d’impuissance
Plus grave: l’ancienne ministre de la Santé, qui quitta son poste prématurément en février 2020 pour se lancer dans l’aventure des municipales à Paris, ne veut fâcher personne.
Ah, son récit des appels téléphoniques d’Emmanuel Macron! Ah, ses aveux d’impuissance lorsqu’elle admet ne pas avoir voulu fâcher le président qui exigeait son entrée en lice politique à Paris. Ah, ces déjeuners presque ridicules, remplis de promesses non tenues, avec l’ancien député mathématicien Cédric Vilani, qui choisira finalement de faire dissidence et d’aller seul à la conquête de la mairie de Paris, sur la base (erronée, puisqu’il échoua lamentablement) de sa seule popularité présumée…
A chaque fois, la même conclusion revient: désolé chère Agnès Buzyn, mais à l’évidence, vous n’étiez pas faite pour ce job ministériel. Et vous n’étiez sans doute pas taillée pour la politique, version 2023.
Sincérité, ou pas…
Le problème est que l’on ressort de la lecture de ce livre avec un sentiment mitigé sur la sincérité de son autrice. L’ancienne ministre est «témoin assisté» (après avoir été initialement mise en examen) dans la procédure initiée devant la Cour de justice de la République pour « «abstention volontaire de prendre les mesures propres à combattre un sinistre». Elle gère son risque judiciaire. Il lui faut donner sa version, convaincre qu’elle n’a rien raté, et donc distribuer au passage les bons et mauvais points.
Sans surprise, l’une de ses cibles favorites est le professeur marseillais Didier Raoult, en conflit personnel avec son mari. Agnès Buzyn s’en prend aussi au professeur genevois Didier Pittet, qui se vit confier une mission d’enquête par l’Élysée sur la gestion de la pandémie. Elle ne cesse aussi de présenter son successeur, Olivier Véran (lui aussi médecin), comme un élu pressé de prendre sa place. Bref, tout est écrit pour la faire passer pour une victime. Soit. Dans un tel contexte politico-judiciaire, c’est la règle du jeu…
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Trois leçons
Que retenir? Trois choses. La première est qu’Agnès Buzyn reconnaît, implicitement, l’impréparation administrative de son ministère à une crise majeure. Tout s’est plutôt bien passé côté médical. Mais la machine était enrayée. Il a fallu la dérouiller. Avec les conséquences que l’on sait.
La seconde leçon du livre est la responsabilité de la Chine. Pékin a caché des informations. L’ancienne ministre l’écrit noir sur blanc. Cette pandémie est aussi le résultat de l’aveuglement de la seconde puissance économique mondial.
Troisième enseignement: la misogynie pathologique du milieu médical et politique, lorsqu’une crise survient, à laquelle l’ex-ministre, de confession juive, ajoute l’ombre glaciale de l’antisémitisme. On vous l’avait dit: dans ce grand jeu masculin, sanitaire, industriel et géopolitique, la brave docteur Buzyn n’était peut-être, tout simplement, pas à sa place.
A lire: «Journal janvier-juin 2020» par Agnès Buzyn. Ed. Flammarion